Les religions se trompent dès l'instant qu'elles font de la morale et qu'elles fulminent des commandements (Camus, Chute,1956)
Lettre ouverte à Monsieur André Vingt-trois
Le cardinal A. Vingt-trois : 2e à droite
Monsieur,
Vous m’excuserez d’abord de ne pas utiliser des formules rituelles telles que Monseigneur, vu que je ne vous considère pas comme tel, ni Votre éminence, vu que, si aux yeux de vos fidèles votre fonction peut être considérée comme éminente, elle ne rend pas votre personne même éminente.
Mais laissons cette terminologie bien obsolète de côté. Venons-en au fait.
Vous avez donc envoyé, si j’ose dire, urbi et orbi, au nom je pense de vos collègues, une prière à prononcer le 15 août, dans toutes les paroisses en activité. Sur le texte même de la prière, le nul en orthographe que je suis ne vous reprochera pas dans le deuxièmement (« Pour celles et ceux qui on été récemment élus pour légiférer et gouverner ») un "on" que j’eusse pu commettre.
En revanche, c’est le contenu du paragraphe qui pose problème. Il est explicité, si besoin était, par l’introduction à l’envoi de votre texte : « Compte tenu de la situation et des probables projets législatifs du gouvernement sur la famille, il me semble opportun de donner un signe national à l’occasion du 15 août qui rassemble des foules de catholiques à travers le pays. C’est pourquoi je vous propose une formule de prière des fidèles à utiliser lors des célébrations du 15 août 2012. L’unité de la formule devrait faire signe et on peut espérer que certains de nos fidèles seront sensibilisés, même parmi des parlementaires... ». Et il est formulé, comme souvent, de la plus jésuitique façon, en voulant faire passer comme le « bien commun » ce qui n’est que la conception que vous avez de ce bien ; et de qualifier de « requêtes particulières » ce qui, du point de vue de ceux qui les formulent, est une demande de justice.
Qu’en tant que responsable de votre institution vous rappeliez à vos ouailles que l’église s’oppose au préservatif et plus globalement à la contraception (ne parlons pas de l’IVG), au divorce, au mariage des prêtres, aux femmes-prêtres* et, bien sûr, au mariage homosexuel, pourquoi pas ? Que certains de vos fidèles, voire même de vos propres clercs – je n’aurai pas la cruauté de rappeler les scandales qui ponctuent la vie de votre église - aient de la peine à suivre ces préceptes, voire les violent allégrement, c’est votre problème. J’entends le vôtre et celui de vos collègues.
Mais pour « l’avenir de notre pays » essayez de comprendre que ce n’est pas à une église ou à une obédience spirituelle quelconque d’en décider. Vous succombez à la terrible tentation du cléricalisme. Cléricalisme, cette volonté obstinée des papes et du clergé à subordonner la société civile à la société religieuse, à vouloir étendre à la société politique les règles et méthodes de cette Église, à utiliser des armes spirituelles à des fins temporelles, à se servir du pouvoir politique pour imposer sa vision morale, individuelle ou collective (d'après Marc Ferro). Cléricalisme qui sévit à grande échelle en Espagne avec une église nostalgique du franquisme. Mais que l’on voit ressurgir en France, votre prière, comme des prises de position sur des programmes scolaires, en témoigne.
Notre République est dotée d’institutions démocratiques. C’est au Parlement, si possible préservé de la pression de lobbys, fussent-ils spirituels et religieux, de décider, comme il l’a fait avec la loi Neuwirth, puis avec la loi Veil, des lois dites de société. Mariage et adoption pour les homosexuels notamment. Bien d’autres sujets sont en question – mères porteuses, suicides assistés, recherche scientifique sur les embryons surnuméraires, ou, dans un autre domaine, légalisation du cannabis… – sur lesquels réflexions et débats, les plus dépassionnés possibles, s’imposent.
En revanche, aucune des lois citées (divorce, contraception, IVG) ne s’impose à qui que ce soit. Pour mettre les points sur les i, aucun couple catholique n’est obligé de divorcer, il peut pratiquer la sainte méthode Ogino ou, plus sûr, l’abstinence, et, en revanche, ne pas se livrer à des pratiques solitaires, ou, pire encore, à la sodomie ou à l’adultère, etc. De la même façon, l’église catholique ne sera pas obligée de bénir les mariages homosexuels s’ils deviennent légaux.
La liberté d’opinion autorise évidemment l’église, la libre pensée, les obédiences maçonniques, les laboratoires d’idées, etc. à défendre des points de vues, notamment sur des sujets délicats où la frontière de l’interdit est difficile à tracer. Le débat actuel sur la prostitution en est un exemple. Mais en ne confondant pas émettre une opinion et édicter un précepte.
Monsieur Vingt-trois, laissez au législateur le soin d’écrire la loi, sans essayer de la lui dicter. Loi qui est faite non pour les croyants ou les agnostiques ou les athées, mais pour les citoyens. Lois qui peuvent ouvrir de nouvelles libertés offertes au libre choix de chacune et chacun. Lois qui peuvent reconnaître une égale dignité, aussi.
Je vous en prie, M. Vingt-trois, ne succombez plus à la tentation du cléricalisme.
J. F. Launay
Laïc laïque
* Ce cardinal est l'immortel auteur de cette déclaration : "Le plus difficile est d'avoir des femmes qui soient formées. Le tout n'est pas d'avoir une jupe, c'est d'avoir quelque chose dans la tête." Le tout n'est pas d'avoir une soutane...
Pour compléter une excellente opinion de YESHAYA DALSACE Rabbin de la communauté Dor Vador à Paris : "Un débat qui ne concerne pas la religion" (Libération 05/10/12), dont voici un extrait :
"Mais je m’étonne surtout de l’immixtion de la voix religieuse dans un débat civil. La République française a inventé le mariage civil totalement détaché de sa dimension religieuse, il y a ajouté le divorce contre l’approbation de l’Eglise. Les citoyens qui le désirent peuvent compléter la dimension civile par un mariage religieux de leur choix, à la condition de répondre aux critères émis par cette religion. Du point de vue de l’Etat, cette cérémonie religieuse est une affaire privée. Il va de soi que les conceptions religieuses de la famille, de la sexualité, de la procréation, de l’éducation ne concernent que ceux qui s’engagent dans un mariage religieux et s’y reconnaissent. Le mariage civil républicain a lui-même évolué au cours de ses deux siècles d’histoire. C’est dans ce contexte que le débat sur le mariage homosexuel doit avoir lieu. L’Etat doit traiter de cette question en tenant compte de la réalité de la société et dans l’intérêt de la protection de ses citoyens, homosexuels compris, des conjoints et des enfants et non pour défendre une conception religieuse de la famille. Il en est de même pour la question du divorce. Libre aux religions de suivre ou non.
La véritable question n’est donc pas celle des tabous religieux qui ne sont pas concernés par ce débat civil, mais celle du bien-fondé d’une décision qui touche la parentalité et le droit de la famille."