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1) Luc Ferry : Jeunisme ou les concepts flous

 

Le mot « jeunisme » était apparu incidemment dans la bouche de notre philosophe ministre au moment de la transmission de pouvoirs avec Jack Lang.

 

Après tout le philosophe post moderne ne visait-il que cette propension – ma foi, fort ancienne, souvenez-vous de la jouvence de l’abbé Soury – à vouloir atteindre ou retrouver une éternelle jeunesse ; il n’est que de voir ces publicités pour des produits au pro-rétinol W bio-fluoré triple action qui vous retendent si bien la peau que quand vous froncez les sourcils ça vous serre les fesses ou bien cette eau des montagnes qui fait retomber physiquement en enfance nos vieillards, pardon, nos seniors ! Et bien nom, il ne s’agissait pas, mais pas du tout de l’analyse de ce phénomène sociétal, propre à servir de thème de débats à nos cafés philosophiques.

 

Car, si l’on en croit Le Monde du 11 Mai 2002, le ministre philosophe veut « rompre avec la démagogie » du « jeunisme », cette « idéologie qui depuis vingt ou trente ans assure que les jeunes et les vieux formeraient deux tribus à égalité ». « Paradoxalement si nous voulons nous adresser aux jeunes, il faut leur faire comprendre que le monde des adultes est bien supérieur au monde des jeunes. »

Expliquez et commentez, serait-on tenter d’écrire !

 

Sans évidemment donner dans les hautes sphères de la pensée spéculative, qu’on permette quelques réflexions, niveau café du commerce.

1°) La tribu des jeunes, en tout cas, sédentarise apparemment sans grande hostilité et de façon prolongée dans la tribu des vieux, l’esprit égalitaire se traduisant par « à nous le vivre et le couvert, à vous le soin de nous les fournir ».

2°) Ces derniers mois, voire années, on ne sentait pas une exaltation démesurée pour la jeunesse de notre beau pays, entre sauvageons, maisons de corrections – pardon centre éducatif fermé – abaissement de l’âge de la responsabilité légale (autrement dit, comme dans la perfide Albion, pouvoir mettre des gosses de onze ans en taule), pas vraiment un climat de franche démagogie à l’égard de ces « salauds de jeunes ».

3°) Et, là on entre au vif du sujet, le concept d’adultes est bien flou (comme celui de jeunisme d’ailleurs, mais là nous sommes peut-être au coeur de la démarche philosophique post moderne : comme il y a des informaticiens qui travaillent sur la logique du flou, nos philosophes forgent des concepts flous qui permettront de mieux appréhender la complexité de notre existence contemporaine). Prenons un exemple au hasard, M. Borloo – vous savez, celui qui vient de lâcher Bayrou – le voir téléphoner, sous la caméra exclusive de France 2 et sous celle tout aussi exclusive de TF 1 à son presque prédécesseur avait un côté d’une fraîche juvénilité et toute cette mise en scène, c’est le cas de le dire, téléphonée, était d’une rouerie si naïve, qu’elle en était attendrissante. Tout cela pour dire que définir l’adulte, c’est pas de la tarte et que définir le monde des adultes – ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas, ceux qui votent L...., non je m’égare – ça va être passablement coton.

 

Mais serait-ce faire preuve de mauvais esprit que de se demander si tout cela ne relèverait d’un subtil rapprochement avec les Finkielkraut, les Sallenave et autre hérauts de la rétropensée. Pour être précis, cette « idéologie », elle n’aurait pas exactement 34 ans ? Et n’est-ce pas elle qui a fait que, comme le dit si bien Jacques Julliard, l’école est devenue une garderie ! Les concepts flous ne vont-ils pas servir à fabriquer un bel épouvantail idéologique qui va permettre de balayer toutes ces foutaises de « collège pour tous », « aides individualisées », « IDD ou TPE »...

 

Mais non, soyons sérieux, notre ministre philosophe n’a-t-il pas collaboré avec bonheur avec ce cher Jack Lang (et même avec Allègre). Et d’ailleurs, dans sa démarche philosophique hardie n’affirme-t-il pas dans un même élan que « la jeunesse a montré qu’elle pouvait se mobiliser[...] pour des projets éthiques, voire spirituels » et donc, si le monde des adultes est supérieur à celui de cette jeunesse là, les lendemains qui chantent sont devant nous !


 

2) Fillon et Le Gourou de Médréac

  Lettre ouverte à Monsieur le Ministre de l’Education Nationale, 15/X/04

 

Monsieur le ministre,

Si l’on en croit les propos que la presse vous prête, un de vos deux livres de chevet de l’été aurait été celui d’un directeur d’école de Médréac (Ille-et-Vilaine). Vous auriez même reçu l’auteur récemment au ministère.

À l’en croire, les méthodes d’apprentissage de la lecture dites mixtes ne seraient que l’honnie méthode globale, cachée sous d’autres oripeaux. Il faut revenir à la bonne vieille méthode syllabique qui a fait ses preuves, clame-t-il. Sinon « Vos enfants ne sauront ni lire ni écrire ! ». Sauf qu’il s’adresse à des parents qui, pour la plupart d’entre eux, ont bénéficié des méthodes qu’il dénonce.

Permettez-moi un exemple personnel. Ma fille a appris à lire avec sa mère, institutrice d’un cours regroupant section maternelle, CP et CE1, et une méthode mixte ; surcroît de malchance, elle est tombée en pleine vogue des mathématiques modernes(1) et elle a appris à compter en base cinq, en base douze ou en base deux comme en base dix. Autant dire, si l’on en croit notre prophète breton, qu’elle avait toute chance de finir semi-illettrée et d’être victime d’une dyscalculie aiguë. Une bonne trentaine d’années après, elle semble capable de lire autre chose que des BD et son travail implique une grande familiarité avec les chiffres. Ses enfants, qui ont aussi subi ces fameuses méthodes mixtes, semblent eux aussi avoir échappé à la malédiction.

 

À vrai dire, comme il y a des légendes urbaines, il y a des légendes scolaires. Plus qu’une légende un « mythe » titre Le Monde du 15/09/04, celui de l’âge d’or qui peut se traduire plus prosaïquement par c’était bien mieux avant. Et puisque votre pèlerinage à l’école du Grand Meaulnes peut autoriser, derrière votre éminent exemple, quelque évocation nostalgique, permettez-moi encore de regretter le temps lointain où les terminales philo écrasaient de leur mépris dilettante les polars de Math Elem et les bâtards de Sciences Ex, dans ce bon vieux Lycée David d’Angers (2) , à l’orée des années soixante !

 

Mais il y a quelques dangers à situer l’âge d’or dans sa prime jeunesse. Un Hervé Hamon, ou quelque autre ex-gauchiste à peine repenti, risque d’ironiser comme il le fait cruellement sur la reconstitution d’une pseudo classe des années 50 dans un vrai ex-petit séminaire de nos Pays de la Loire (3) : et que les filles n’avaient pas de souliers vernis ! et que surtout ce n’était pas mixte ! quelle mesquinerie ! Il convient donc de le situer dans une période suffisamment lointaine pour que les rares survivants, tout heureux que l’on évoque l’école de leur si lointaine jeunesse, se gardent de chicaner sur le degré d’imprégnation alcoolique des surgés (4) ou de leurs ancêtres. Entre Jules Ferry et Georges Clemenceau, le risque est faible de tomber sur un plus que centenaire pointilleux.

 

Autre légende scolaire, celle-là revivifiée par votre prédécesseur, le « désastre » de Mai 68, dont les méfaits continuent à se faire sentir trente-six ans plus tard. Alors même que les seules « buttes témoins » du grand mouvement qualifié parfois de libertaire, à peine visibles sur la plaine du retour à la conformité frontale, sont quelques lycées expérimentaux. En corollaire se développe la rumeur, que colportent allègrement les rétropenseurs comme Finkielkraut ou Sallenave, de professeurs transformés en animateurs de Maisons de Jeunes et de la Culture, avec tout ce qu’il y a d’un peu ringard dans ce sigle MJC.

 

Reste la légende des légendes, celle de la catastrophe engendrée par la terrible « méthode globale » (5) que le gourou de Médréac semble désigner sous le nom de méthode naturelle . De combien de dys en tout genre (lexie, orthographie, etc.) est-elle coupable ? C’est là le hic : on n’en sait strictement rien ! Et comme les cabinets d’orthophonistes, malgré son excommunication, n’ont pas désempli, il a donc fallu décréter que les méthodes qui, comme une motion radicale, tentaient la plus harmonieuse synthèse entre l’analyse et la synthèse, ou l’inverse, étaient impures, contaminées. Qu’il fallait revenir à la source fondamentale, la méthode syllabique pure et dure : B A ba B A ba !

 

Notre gourou est d’ailleurs dépassé par plus précoce et plus lucide que lui, car une jeune professeure des écoles, ayant à peine quitté le sein au lait amer de l’IUFM – une autre légende qui ne fait que croître et embellir - du haut de sa totale inexpérience, fière résistante des temps modernes, dans son Journal d’une institutrice clandestine, décrit comment elle employait, en pionnière de la désobéissance civique, cette miraculeuse méthode. Elle n’a pas attendu des années, comme son aîné, pour dire « Je sais que ça ne marche pas » ce qu’on préconise.

 

Que les données sérieuses démontrent que ces affirmations péremptoires ne reposent sur rien et que ce n’est pas la méthode qui compte mais le maître ou la maîtresse qui la met en œuvre et sa foi dans la réussite de l’élève – c’est cela Monsieur le Ministre le sens profond de la formule Placer l’élève au centre du système éducatif – importe peu. Ainsi, une étude récente de l’INSEE* sur les difficultés de l’adulte de 18 à 65 ans face à l’écrit montre que les difficultés s’accroissent avec l’âge : 4 % de personnes en difficulté dans la tranche 18-24 ans, 19 % dans celle des 55-65 ans. L’évidente supériorité proclamée des bonnes vieilles méthodes ne saute pas aux yeux.

 

D’entretien en déclaration, votre propos montre peu à peu sa cohérence. Un jour, sans avoir l’air de trop y toucher, vous évoquez les redoublements. À l’objection : les redoublements ont montré leur inefficacité, vous répondez, superbe, les non-redoublements ont-ils prouvé leur efficacité ? Puis c’est l’autorité du maître qui vient sur le devant. La synthèse se fait quand vous concluez un entretien récent par “Le savoir est chose sacrée, l'autorité ne doit plus être une conquête permanente des maîtres, la décision scolaire appartient en dernier lieu à l'enseignant qui est l'unique capitaine de son vaisseau.” Les deux thèmes se rejoignent : l’autorité telle que vous la concevez s’assoit en quelque sorte sur le pouvoir de décider du redoublement (juste avant vous dénonciez “le redoublement à la carte”). Elle repose aussi sur une vision disciplinaire : « Les punitions collectives sont interdites, le fait de mettre 0 à une copie, aussi. Ainsi, il est pratiquement impossible pour un professeur de sanctionner. » (Le Parisien 20/09/04) Outre que ces propos émettent une contre vérité (un élève qui remettra copie blanche aura 0 comme devant, ce qui n’est pas tolérable c’est le zéro disciplinaire), que l’évocation des punitions collectives est un peu inquiétante, ils dénotent une ignorance des textes surprenante. Une circulaire du 11 juillet 2000 donne une liste indicative et non limitative des punitions qui permettent à tout enseignant de sanctionner des manquements à la discipline.

 

Après quelques propos bénins sur le retour aux fondamentaux – fondamentaux qui font auberge espagnole : chacun y met ce qu’il veut – vous assénez qu’il faut revenir à la lecture, la dictée, la récitation, la rédaction, tous les exercices qui demandent un effort personnel, sous-entendant – on retrouve ici la légende du prof animateur de MJC - que ces exercices sont en déshérence.

 

Votre circulaire est trop timide ! Suivez le conseil du gourou de Médréac : rendez obligatoire « La méthode Boscher, méthode syllabique par excellence ».

Je vous laisse Monsieur le Ministre à votre livre de chevet, pour retourner au mien « Tant qu’il y aura des élèves », de cet Hamon qui sent le soufre et je vous prie de croire en mon plus profond respect.

 

Jean-François Launay

CAP d’Instituteur (6), CAPEGC

Ancien principal de collège

 

* Les Difficultés de l’adulte face à l’écrit - Avril 2004 http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/IP959.pdf

 

1 Ces mathématiques dites modernes ont plus troublé les adultes que les élèves qui cultivaient les patates ensemblistes et les étiquetaient sans grand problème ; elles initiaient autant à la logique qu’aux mathématiques ; la résistance des enseignants – et des parents – a eu tôt fait de les faire disparaître.

 

2  Nous parlons d’un temps que les moins de 55 ans ne peuvent pas connaître. Angers, ville provinciale typique, comptait deux lycées classiques et modernes, le Lycée Joachim du Bellay pour les jeunes filles et le Lycée David d’Angers pour les garçons. Le bac se passait en deux parties et il fallait décrocher la première (qui, ça tombe bien, se passait en première) pour pouvoir passer la seconde, mais du coup en terminale. Pas de secondes « indifférenciées » mais des secondes A, B, C avec des A’ et des C’ pour la partie « classique » avec latin pour tous et grec pour l’ « élite », M et M’ (le dépotoir puisqu’il accueillait des élèves issus des CC, les Cours complémentaires : j’en fus) formaient les sections Modernes ; les terminales se réduisaient à trois : Philosophie (Philo), Mathématiques élémentaires (Maths élem), Sciences expérimentales (Sciences ex). Les maths ne tenaient pas encore le haut du pavé et les Philos, au verbe haut, méprisaient les matheux « polarisés » et les sciences ex mi chèvre, mi chou.

 

3  Le fameux pensionnat de Chavagnes de M6, sur lequel H. Hamon a ironisé, était logé dans un ancien petit séminaire vendéen qui héberge maintenant un Collège privé anglais catholique d’une quarantaine d’élèves.

 

4 Surveillant général, ancêtre du CéPéEu.

 

5  Jack Lang, dans la préface aux nouveaux programmes de l’école élémentaire(2002), écrit : « on sait par exemple, depuis longtemps que la fameuse méthode globale d’apprentissage de la lecture a eu des conséquences catastrophiques, même si elle était très rarement utilisée… ». Luc Ferry, pour ne pas être en reste, parlera de méthode calamiteuse.

La paternité de la méthode dite « globale » peut être attribuée à O. Decroly, médecin et psychologue, pour qui l’apprentissage de la lecture devait se faire à partir de messages ayant un sens et non plus par la méthode syllabique qui part de la lettre pour aller à la syllabe puis au mot (P-A, PA, P-I PI, P-O, PO…).  Les Instructions Officielles de 1923 estiment que c’est à l’instituteur de choisir sa méthode. En 1964 un directeur de la recherche pédagogique, Roger Gal, a voulu faire une étude comparative... et y a renoncé, faute de trouver suffisamment d’enseignants utilisant cette méthode globale ! Les méthodes dites mixtes (Daniel et Valérie naguère, Ratus aujourd’hui, par exemple) essaient de partir de messages ayant un minimum de sens (la lutte contre le tabagisme prive les CP du fameux papa fume sa pipe mais Mémé ramasse un melon reste bon), pour décomposer en syllabes et en lettres et ensuite faire la démarche inverse. Les adultes jusqu’à environ 50 ans ont très majoritairement appris à lire et à écrire par ces méthodes, donc, si l’on en croit le gourou de Médréac devraient ne savoir ni lire ni écrire…

 

Pour aller plus loin : un article « Méthode globale, fin de polémique ? »* et pour ceux qui veulent approfondir deux communications de Roland Goigoux, Professeur des universités : « L’évolution de la prescription adressée aux instituteurs : l’exemple de la lecture 1972-2002 »** et un « Document envoyé au PIREF en vue de la conférence de consensus sur l’enseignement de la lecture à l’école primaire les 4 et 5 décembre 2003 ». ***

 

* http://www.bienlire.education.fr/04-media/documents/globale.pdf

** http://www.ergonomie-self.org/self2002/goigoux.pdf

*** http://www.bienlire.education.fr/01-actualite/document/goigoux.pdf

 La méthode synthétique “ Boscher ” (pi..pe, pa .pa pa, pa ,pe, pi, po, pu) a dominé le marché très longtemps. Des lectrices de Madame Figaro qui voudraient que leurs chers petits sachent lire dès le 1er trimestre de CP les assomment de cette méthode…

 

6  Titre qu’il faut arborer : ayant eu l’impudence dans le courrier des lecteurs de Ouest-France de mettre en doute les propos du gourou de Médréac, je me suis fait rembarrer dare dare par une groupie : l’ex- principal de collège n’avait évidemment aucune compétence à parler de choses que seul l’instituteur connaît. Le CAPEGC est le certificat d’aptitude  des PEGC, espèce en voie de disparition.

 

Robien : nouveau Lyssenko

 Un ministre de l’éducation nationale qui joue les maires contre les maîtres, convoque les éditeurs scolaires, voilà qui est inédit !

 

Et qui, Lyssenko du 3e millénaire, nous dit la vérité scientifique officielle en affirmant, dans une récente opinion dans Libération, qu’une science toute jeune – la neuroscience cognitive – a tranché en faveur de la méthode « syllabique ». « Plus aucune fausse science ne pourra révoquer l'expérience. » (Il oublie au passage
1°) de préciser où, quand et surtout comment cette neuroscience, cognitive ou pas, a tranché sur l’efficacité d’une « méthode » aussi mal définie ;
2°) quelle est cette fausse science dont on voit mal d’ailleurs comment elle « pourra révoquer » une expérience pour le moment inconnue).
Mais le très lisse de Robien doit avoir un effet anesthésiant car sa démarche n’a guère provoqué de remous.

C’est la première fois sans doute qu’un ministre intervient dans le détail même du choix d’une méthode précise et propose aux éditeurs de suivre l’exemple de Léo et Léa (“Les éditeurs scolaires nous ont fait un compte-rendu de leur entrevue avec le ministre le 14 décembre. Celui-ci veut obliger tous les instituteurs à suivre une méthode syllabique : il prend pour modèle la méthode Léo et Léa dont il a demandé aux éditeurs scolaires de s’inspirer.” Roland Goigoux). Et un Recteur zélé de vouloir mettre à l’index des méthodes jugées hérétiques (même si le secrétaire général du très officiel Observatoire National de la Lecture n’est pas étranger à la conception de l’une d’entre elles).

 

Le « pur pragmatique », comme il se définit, est en fait la marionnette d’un puissant lobby idéologico-réactionnaire dont les groupes se disputent d’ailleurs la paternité de la parole ministérielle condamnant « la méthode globale et assimilée ». Dans cette nébuleuse, on retrouve bien sûr, Sauvez les lettres*, mais aussi un SOS-Education dirigé par un « cadre commercial » ce qui lui donne sans doute toute compétence sur les méthodes d’apprentissage de la lecture.

 

Dans ses déclarations, de Robien n’a donc pas craint de faire appel aux neurosciences et à invoquer un mystérieux « rapport qui récapitule quelque 200 études réalisées par des scientifiques ». La grotesque affirmation, faite à l’assemblée nationale que « les spécialistes de neurosciences expliquent que le cerveau est ainsi fait que c'est par la méthode syllabique que l'on apprend le mieux à lire », a été jugé « fallacieuse », même par Franck Ramus, scientifique qui cependant paraissait le soutenir sur la « syllabique ». Quant au lien entre dyslexie et méthode globale, que le ministre prétendait démontré par les orthophonistes, il a été immédiatement démenti par la fédération Nationale des orthophonistes.

 

Dans un 1er temps, le cabinet du ministre a été incapable de lui glisser un nom de scientifique à l’appui de ses thèses. Cependant, Franck Ramus, s’il rejetait la référence aux neurosciences et le lien de la méthode globale avec la dyslexie, son domaine de recherche, parlait de « recherches expérimentales » démontrant la supériorité de la méthode syllabique. Puis deux noms apparaissaient : L. Sprenger-Charolles et J. Grainger. Si la 1ère apportait de fait un soutien clair, le second fut plus timide.

 

Sans vouloir trancher dans ce débat, il semble cependant un peu biaisé, puisque si F. Ramus et L. Sprenger-Charolles insistent énormément sur l’obligatoire apprentissage de la liaison phonéme-graphème, ils ont infléchi (ou précisé) leurs positions, dans un texte signé avec 16 autres scientifiques, se rapprochant ainsi de ceux qui avec Roland Goigoux rappelle que cet apprentissage, de la grande section de maternelle au CE1, doit aboutir à une maîtrise non seulement du déchiffrage mais de la compréhension et de la production de textes et surtout à entrer dans la culture de l’écrit.

 

Reste surtout que l’affirmation d’un ministre prétendant « faire baisser le nombre d’illettrés en 6e » par « les effets » de sa circulaire serait grotesque, si elle n’était pas scandaleuse (Le Monde de l’éducation, Janvier 2006).

 

Car au-delà de prétendues études scientifiques, il y a des chiffres assez massifs pour montrer que la querelle des méthodes est seconde. Ce qui ressort avec une clarté aveuglante de l’évaluation 6e, c’est que le score moyen des élèves de ZEP en français est de 11 points inférieur à celui des élèves « non ZEP » et que l’écart monte à 13 points en maths où les querelles de méthodes ne se posent pas !  Et, comme le rappelle J.-E. Gombert : “ L'évaluation de la lecture que passent les jeunes entre 17 et 18 ans lors de la Journée d’Appel de Préparation à la Défense (JAPD) et dont je suis responsable révèle en 2004 que si 11% des jeunes français sont en grande difficulté avec l'écrit, c'est le cas de 14,2% des jeunes gens et de 7,8% des jeunes filles”.

Comme il le demande ironiquement filles et garçons de nos écoles mixtes auraient-ils appris à lire par des méthodes différentes ? Quant aux enfants arrivant dans nos collèges en ZEP ont-ils tous été victimes de la maléfique méthode globale ?

 

Foutaises, bien sûr. Léo et Léa, méthode recommandée, ne changerait rien à ces écarts filles-garçons ou d’origines sociales. M. de Robien a dû être HarryPotterisé pour croire en une circulaire magique (voir l’appel de 12 chercheurs et formateurs : « Sauvons la lecture »). Et Franck Ramus et ses 17 collègues précisent que l’obligation d’enseigner le déchiffrage dès le CP ne réduirait que marginalement l’illettrisme.


* Brighelli écrit, dans son blog, au lendemain d’une prestation avec Robien dans une émission pipeul assez stupide : " Il y avait un jeu assez complice entre moi et De Robien, plus ou moins planifié d'avance. Le fait de nous mettre dans des camps opposés n'était que de la frime "

Pour plus d'informations :
http://education.devenir.free.fr/Lecture.htm

 

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