Dans la série courrier de lecteur, je fais un sort à part à cette lettre ouverte à Robien.
Rappelons que celui-ci avait lancé une vaste polémique sur l’apprentissage de la lecture, soutenu par tous les anti-pédagos qui avaient leur relais dans son cabinet.
Roland Goigoux, un des meilleurs spécialistes de la lecture, pour s’en être tenu à un arrêté, en récusant une circulaire, a été interdit d’intervention à l’Ecole Supérieure de l’Education nationale (ESEN censée formée les « cadres » de l’EN, en l’occurrence des inspecteurs).
Cette interdiction et les attaques ad hominem du directeur de l’ESEN et du ministre ont suscité des réactions. Cependant, suivant une tradition bien ancrée (voir http://deblog-notes.over-blog.com/article-13394636.html), ma « lettre ouverte » ci-dessous a été taxée d’attaque ad hominem et le rappel de règles de droit d’inutile. Le respect de ces règles – fondement d’un état de droit – reste d’actualité quand on voit un président de la république décider la lecture d’une lettre dans toutes les classes de France, car tel était son bon plaisir, un ministre en faire une circulaire, et un porte parole prétendre que c’était une obligation (sans sanction, toutefois).
Cette lettre ouverte a amené une réponse qui élargit le débat au-delà de la question de la lecture : une politique de négation des marges d’autonomie des Etablissements Publics Locaux d’Enseignement (EPLE) là aussi, au mépris des textes réglementaires.
Lettre ouverte à Monsieur de Robien,
Avec tout le respect que je dois à la fonction de Ministre – fût-elle occupée par des personnes qui illustrent à la perfection le Principe de Peter – je me permets de trouver un peu incongru que vous traitiez de chauffard un universitaire qui connaît mieux que vous le code d’apprentissage de la lecture que vous êtes censé avoir édicté.
En effet, M. Roland Goigoux*, assez ignominieusement éjecté de son enseignement à l’ESEN, rappelle dans l’ouvrage qui a servi de prétexte à son éviction – Apprendre à lire à l’école (coécrit avec Sylvie Cèbe) – l’arrêté du 24 mars 2006 (http://www.education.gouv.fr/bo/2006/13/MENE0600958A.htm) que vous avez signé (sans le lire ?), arrêté qu’il qualifie d’heureux et qui continue de préconiser une double approche : analyse de mots entiers en unités plus petites référées à des connaissances déjà acquises, synthèse à partir de leur constituants, de syllabes ou de mots réels ou inventés.
Qu’en tant que M. de Robien, oubliant cet arrêté, vous vous fassiez le propagandiste effréné d’une prétendue « méthode syllabique » n’autorise qu’à se poser quelque question de cohérence intellectuelle. Que vous preniez vos préjugés pour des vérités scientifiques relève du droit imprescriptible pour chacun de se mettre le doigt dans l’œil. Mais que vous confondiez ces propos, voire un quatre pages « ministériel » ou une circulaire**, avec des directives relève d’une méconnaissance difficilement compréhensible de la part du ministre bénéficiant des conseils d’un cabinet.
Il faut donc rappeler qu’une circulaire n’a aucun pouvoir réglementaire, a fortiori un quatre pages même qualifié d’officiel ou des propos fussent-ils ministériels. Les seuls textes réglementaires sont le décret et l’arrêté ! A l’état de droit, en l’occurrence, vous avez préféré l’arbitraire.
Monsieur Roland Goigoux n’est en aucun cas allé à l’encontre « des textes de l’Etat sur la lecture » et vous qualifiez abusivement de directives des propos qui n’ont guère plus de valeurs que ceux tenus au zinc du Café du commerce.
* "Il est normal qu'un formateur de cadres ne puisse pas dire le contraire de ce qui est voulu par l'Etat", déclare le ministre de l'Education nationale Gilles de Robien ce mercredi 27 septembre 2006, à propos du non renouvellement du chercheur Roland Goigoux comme formateur sur la lecture à l'ESEN (Ecole supérieure de l'Education nationale). "C'est comme payer un moniteur d'auto-école chauffard", poursuit le ministre. Il soutient la décision [d’éviction] du directeur de l'ESEN qui avait estimé qu'il "n'est pas possible d'aller à l'encontre d'une directive ministérielle"
** « Une circulaire n’est en principe destinée qu’à exposer l’état du droit résultant de la loi ou du règlement qui justifie son intervention en vue d’assurer sur l’ensemble du territoire une application aussi uniforme que possible du droit positif : dans cette mesure elle ne saurait évidemment ajouter à cet état du droit soit en édictant de nouvelles normes, soit en en donnant une interprétation erronée. Par voie de conséquence, il faut éviter de confondre la circulaire avec le texte – loi ou décret – qu’elle présente en laissant entendre que telle décision sera prise en application de celle-ci et non de celui-là. » Ce « guide de Légistique » ajoute : « Une circulaire peut être déférée au juge administratif, y compris lorsqu’elle se borne à interpréter la législation ou la réglementation, dès lors que les dispositions qu’elle comporte présentent un caractère impératif. […] On rappellera en effet que les ministres ne disposent pas du pouvoir réglementaire […]».
Voir :
Le Guide de Légistique (Légifrance) http://www.legifrance.gouv.fr/html/Guide_legistique/guide_leg.htm#137
Le dossier lecture d’Education & Devenir http://education.devenir.free.fr/Lecture.htm
Lettre de 18 scientifiques au Monde de l’Education Mars 2006 http://www.lscp.net/persons/ramus/lecture/
Dies irae dies illa...
Je pense, divin imprécateur, que tu as touché le dessus de l'abcès. Non pas sur la méthode de lecture. Nous savons et avons suffisamment pratiqué l'inertie de l'institution pour prendre avec recul l'irruption d'une mode dont l'excès porte en lui-même sa fin. Mais sur un contexte qui se généralise depuis deux ou trois ans et qui est parfaitement perceptible lorsqu'on pilote ou essaie de piloter un bahut : le retour insensible (au sens étymologique) à l'irresponsabilité des établissements. Gastounet le décentralisateur serait effaré s'il nous faisait le coup d'Hibernatus.
D'abord, on a vu revenir les projets d'établissements sous forme d'une commande formatée des rectorats. Voilà la grille : les axes du projet académique sont en abscisse ; placez en ordonnée, dans les cases, les actions du projet de votre établissement. Ce qui sous entend que le projet n'est pas celui de l'établissement, mais celui du rectorat, l'établissement étant conçu comme un effecteur (comme disent les ingénieurs d'un outil ou d'un automate). En d'autres termes, cette nouvelle pratique affirme que l'établissement n'a et de doit avoir d'autre projet que celui de concrétiser le projet académique. Cela s'appelle un projet de service. Inculture au sommet ou glissement sémantique manipulateur ?
Ensuite, chassez la naturel de notre culture d'entreprise et elle revient au galop : la circulaire, voire le compte rendu d'interview, redevient injonction : le ministre a dit, le ministre pense que... Nous étions pourtant nombreux à avoir appris (souvent en quasi autodidacte) durant les nineties, ce qu'était "la hiérarchie des normes" chère aux juristes de tous poils et de toutes obédiences. Là aussi, on hésite à pointer, au sommet, une inculture juridique inquiétante ou une confusion de concepts "à la people".
Chacun fera son choix. Je note simplement qu'ironie de l'histoire cette gauche au couteau (sanglant, ça va de soi) entre les dents avait libéré les énergies et ouvert la porte aux initiatives alors que cette droite si libérale manie jusqu'au TOC(1) un vieux principe léniniste (et trotskyste) : la courroie de transmission.
A la botte,
Mon pote !
GéGé
(1) Trouble Obsessionel Compulsif
"En quinze jours, un caporal ne parvient pas à faire marcher au pas vingt appelés du contingent, mais, en un instant, cinq mille spectateurs se mettent à applaudir en cadence un chanteur qui les a séduits : ils se sont auto-organisés parce qu'ils ont un projet commun (faire bisser le chanteur) et qu'ils sont libres, alors que les appelés ne sont pas libres et que marcher au pas ne les intéresse en rien. Combien d'énergie et d'argent gaspillés dans nos entreprises pour faire mal exécuter des tâches [que les personnes] réaliseraient infiniment mieux si elles étaient libres de s'auto-organiser, pour peu qu'elle y trouvent leur compte et qu'elles en comprennent les enjeux". (Hubert LANDIER, Vers l'entreprise intelligente).