Une enseignante d’un Lycée professionnel de Béthune est morte quelques jours après une tentative de suicide. Le « Café pédagogique », d’habitude mieux inspiré,
comme une contributrice du Plus (Nel Obs), a
rebondi sur ce fait divers. Oubliant, qu’à chaud, les réactions ne sont pas très propices à la réflexion.
Le décès qui a eu lieu le 19 octobre a été annoncé par un syndicat autonome des LP le 23. Si l’on en croit
L’Humanité – mais sa version est identique à celles d’autres médias - "Sa dernière volonté était que
personne de l'Education nationale ne soit présent à ses obsèques". La sœur de cette enseignante de 48 ans a retrouvé sur son ordinateur
un brouillon de courrier électronique dans lequel elle évoque sa souffrance professionnelle.
"Dans ce message, elle expliquait que ça n'allait pas cette année parce qu'elle avait des classes surchargées à 36, qu'elle avait un emploi du temps assez lourd et qu'elle se
sentait oppressée par la hiérarchie de l'établissement", a indiqué Sylvie Vinsard (secrétaire académique du syndicat autonome). Elle craignait également que son poste soit supprimé à la prochaine rentrée scolaire, ce qui l'aurait contrainte à redevenir
titulaire sur zone de remplacement (TZR), c'est-à-dire destinée "à parcourir les deux départements du Nord/Pas-de-Calais".
Une histoire individuelle sur laquelle Le Café
pédagogique assène quand même : Personne ne sait grand chose sur
les motivations de Marielle. Mais tout le monde reconnaît que cette enseignante de 48 ans, en mourant, a désigné l'institution scolaire. Dans ce qu’elle aurait écrit, elle désigne d’abord
une politique (classes surchargées et emploi du temps lourd, c’est le résultat d’une politique affichée de suppressions de postes), puis la hiérarchie certes mais de l’établissement. Certainement
qu’elle n’a pas bénéficié d’une écoute de l’équipe de direction, comme le dénonce la responsable syndicale, mais pas non plus de cette syndicaliste qui travaillait dans le même
lycée.
A ce sinistre jeu de la culpabilisation le risque de dérives dangereuses est
grand.
Un mal être enseignant
Qu’il y ait un mal être enseignant n’est pas étonnant. Comment échapperaient-ils au
pessimisme qui mine l’ensemble du corps social. Paradoxe français, alors que ce pays contrairement à ses voisins maintient un taux de natalité relativement élevé – indice d’une confiance dans
l’avenir – il est l’un des plus inquiets sur le futur qui attend ses rejetons.
Que le mal être enseignant ait des causes plus spécifiques des rapports cités par Le Café
pédagogique le démontrent. Tout en appelant à la nuance. Ainsi l'enquête menée par Eric Debarbieux et Georges Fotinos en 2011 et qui porte sur 11 820 enseignants du premier degré montre que 92% des
enseignants trouvent le climat scolaire de leur école bon ou plutôt bon. La situation n’est
évidemment pas toute rose. Ainsi un enseignant sur sept (15%) souffre d'ostracisme de la part
de ses collègues ou de harcèlement là aussi fréquemment de la part de collègues. Un bon tiers dit se heurter à des élèves gravement
perturbés. Et huit sur dix critiquent, si j’en crois la synthèse du Café, de façon virulente la hiérarchie. Et l’Inspecteur (IEN) est la première cible. Sauf que ses injonctions sont celles de la politique ministérielle. L’exemple des évaluations est pris, mais l’abandon calamiteux des évaluations
6e est dû à une décision arbitraire et absurde de Darcos (et
c’est le moindre de ses exploits puisqu’il aura supprimé la formation professionnelle des enseignants et instauré la semaine de 4 jours en primaire).
L’apparente rébellion contre la paperasse peut
aussi cacher un rejet d’évolutions que les pédagogos comme dit élégamment Jacques
Julliard ont prônées. La notation-sanction est plus facile à manier que l’évaluation des compétences qui nécessite des grilles d’observation jugées fastidieuses. La recherche d’un consensus sur un projet d’école ou
d’établissement est plus chronophage que la pratique individualiste du métier…
Dérive autoritaire et caporalisme
La dérive autoritaire que Darcos symbolisa, mais que Chatel, avec un peu plus d’onctuosité, a poursuivie
(et qui s’inscrit dans une continuité) est indéniable. La transformation des Inspecteurs d’Académie - Directeurs Départementaux, en pleine responsabilité du primaire et, en partie, des collèges –
en subordonnés directs de recteurs qui devaient s’inscrire dans une « culture du résultat », en l’espèce les suppressions de postes, est
symptomatique d’une reconcentration. Le refus de fait de tout dialogue social a aussi marqué ces dernières années.
Pour autant, écrire qu’il faut changer la culture de l'encadrement que 10 ans de gestion autoritaire ont fait glisser vers le discrédit et le caporalisme relève peut-être d’une globalisation
excessive. Entre les impulsions brutales d’un Darcos et la gestion du Principal du collège de Montcuq* (Lot), il n’y a pas, obligatoirement une
transcription caporaliste. Et même des Recteurs peuvent, comme celui d’Aix-Marseille, J.P. de Gaudemar, devenu conseiller de François Hollande,
infléchir dans leur académie, les injonctions de leur ministre.
Un pouvoir de nuisance réduit
Globalement, le pouvoir de nuisance que certains prêtent aux Inspecteurs ou personnels de direction est -
faut-il le rappeler ? - très faible. Les Inspecteurs n’inspectent les enseignants – prévenus une semaine à l’avance – qu’une fois tous les 6 ou 7 ans, au mieux.
Les personnels de direction n’ont aucune autorité pédagogique officielle : le recrutement direct des
personnels par le chef d’établissement envisagé pour les établissements difficiles est, pour le moment, et sans doute pour longtemps, dans les cartons. Ne parlons pas de la notation dite
administrative qui est une pure mascarade. Mais s’ils ne peuvent agir directement dans la classe, ils ont une intervention pédagogique plus globale avec la constitution des équipes enseignantes
de chaque classe – la répartition de services dans notre jargon – l’équilibre des emplois du temps, l’animation des conseils de classe, du conseil pédagogique, etc. Un prof peut donc se dire
qu’il n’a que des classes pourries, un emploi du temps à trous et que son avis est méprisé en conseil de classe…
Ne tirez pas sur le pianiste
Que certains chefs d’établissement ne soient pas à l’écoute des personnels, emportés qu’ils sont, non par
le caporalisme – les personnels se plaindraient plutôt de ne pas assez les voir que trop – mais par le désir de développer leur établissement, de
faire prospérer leur GRETA, de se faire valoir au Rectorat par leur présence dans les équipes de formation des futurs personnels de direction, etc.
est indéniable. Mais s’ils bénéficient d’un (ou d’)adjoint(s) présents sur le terrain le climat du lycée peut être parfaitement vivable.
Quelques-uns peuvent être de redoutables petits tyranneaux. Sont-ils plus nombreux que les enseignants qui
abusent de leur autorité ou sabotent leur travail ?
Certains, dans les établissements difficiles où le collège est souvent le seul service public
qui reste, sont d’anonymes
héros ; vivant sur place, présent avec leur adjoint et/ou CPE à l’entrée du collège, vigilant dans la
journée à juguler tout incident, s’efforçant de créer ou maintenir un esprit d’équipe chez tous les personnels, ils s’usent souvent à la tâche.
Mais le plus grand nombre des chefs et adjoints sont des
professionnels, tout simplement, pour la plupart d’ailleurs issus des corps enseignants, professionnels qui se servent d’outils un peu plus perfectionnés que le pifomètre, tels que les
indicateurs de pilotage, qui ne sont pas tous non plus adeptes du doigt mouillé pour se mettre dans le sens du vent rectoral. Ils s’efforcent, avec plus ou moins de succès, d’impulser un
projet d’établissement. Ils ont souvent l’impression que le rocher qu’ils ont poussé en haut, leur retombe sur les pieds.
Mais comme disait Albert Camus
« Il faut imaginer Sisyphe heureux ». J’ajouterai quand même « Ne tirez pas sur le pianiste » même s’il commet quelques
fausses notes. Et n’en faites pas un trop facile bouc émissaire.
*Choix tout-à-fait
arbitraire ou plutôt dû à un souvenir encore vif d’un reportage de Daniel Prévost, pour « Le Petit Rapporteur », dans cette charmante
commune.
Pour ceux qui voudraient aller plus loin deux ouvrages toujours d’actualité :