Ou la vraie fausse information
Le 2 février je reçois un courriel, transférant une lettre d’un Principal d’un collège ZEP « Ambition réussite » dont voici des extraits.
Vous vous souvenez tous de la promesse de notre président de la République pour ne pas laisser les "orphelins de 16 heures" à la rue ?
Vous vous souvenez des annonces de M. Darcos, Ministre de l'Education nationale, à propos de la mise en place de l'accompagnement éducatif, ce dispositif devant accueillir tous les collègiens de 16 heures à 18 heures ?
La circulaire a paru au journal officiel le 13 juillet 2007. Je l'ai découverte en détails au moment même où je prenais mes fonctions au Collège X fin août, comme tous mes autres collègues Principaux de Collèges en Education prioritaire (près de 1500 Collèges dans toute la France).
Je me suis mis en quatre pour mettre en place ce dispositif, car je suis un fonctionnaire responsable. J'ai mis mes opinions de citoyen dans ma poche, et j'ai tout fait pour que ce dispositif soit un succès.
Je rappelle à tous que cet accompagnement éducatif devait concerner les élèves volontaires, encadrés par des enseignants volontaires.
Sur 365 élèves, j'ai réussi à en convaincre 225: 61,5 % de l'effectif total. La moyenne dans le Rhône tourne autour de 28 %.
Sur 47 enseignants, j'en ai convaincu 29. Je suis allé solliciter la MJC du quartier pour mettre en place un atelier de danse urbaine. J'ai sollicité le Centre social pour mettre conjointement en place l'aide aux devoirs, 3 fois par semaine. 100 % des élèves de 6ème étaient inscrits à cette dernière action. J'ai sollicité une compagnie artistique pour mettre en place un atelier d'écriture. Les professeurs ont ensuite proposé un atelier de sciences physiques, un club journal des collégiens, une activité escalade, trois groupes de soutien en mathématiques, deux groupes de soutien en français. J'étais en pourparlers avec un club d'échecs et un autre de rugby pour enrichir l'offre.
L'Inspection académique et le Rectorat nous ont transmis courant octobre 2007 une enveloppe d'heures pour les professeurs et les intervenants extérieurs (pour ces derniers, ces heures devaient être transformées en vacations, payées 15 € de l'heure).
Je disposais de 1476 heures. C'est à partir de cette enveloppe que je n'avais pas demandé que j'ai construit mon offre. J'ai informé les parents d'élèves, et le 12 novembre, les actions se sont mises en place. L'aide aux devoirs avait commencé dès le 20 septembre. Les élèves étaient pour la plupart d'entre eux très heureux.
Début décembre, j'ai mis en paiement auprès du Rectorat les heures effectuées en septembre, octobre et novembre: 398 heures.
Cet après-midi, mardi 29 janvier 2008, réunion officielle à l'Inspection académique. L'inspecteur d'Académie préside la réunion, flanqué de ses deux adjoints et de deux chefs de service. Configuration inhabituelle. Curiosité puis inquiétude.
L'Inspecteur d'Académie ne le dit pas explicitement, car nous sommes tous soumis au même devoir de réserve. "Le dispositif n'est pas supprimé, mais on a réduit la voilure". On a seulement supprimé les heures pour le faire fonctionner. Au lieu des 1476 heures, je n'en ai plus que 397 pour terminer l'année scolaire. Cela vient directement du Ministère. C'est identique dans toutes les Académies, l'Inspecteur d'Académie nous l'a confirmé, comme s'il voulait nous consoler. Tous mes collègues sont dans la même stupeur (40 Principaux de Collège abasourdis).
J'ai dépensé 1 heure de plus que ce à quoi j'ai droit. Et les heures effectuées en décembre et en janvier ne sont pour l'instant pas honorées (j'ai compté 221 heures pour ces 2 mois). Je n'en ai plus les moyens. C'est noble le bénévolat, mais, là, on atteint des limites...
Concrètement, dès lundi prochain, 4 février 2008, toutes les actions décrites ci-dessus s'arrêteront, faute de moyens. Je ne vous fais pas de dessin.
L’Expresso du Café pédagogique du 12/02/08 titre Crédits d'accompagnement éducatif : à qui profite le hoax ? et poursuit :
« Si vous êtes abonné à une liste de discussion d'enseignants vous l'avez sans doute croisé. Il s'agit d'un message censé venir d'un principal d'un collège du Rhône expliquant qu'il n'avait plus de quoi payer les heures d'accompagnement éducatif. Au Café nous avons refusé de le publier : l'origine du message était pour le moins incertaine puisque dans aucune version l'expéditeur était l'auteur.
Le Monde a enquêté. Selon Luc Cédelle, à l'origine il y a bien une lettre authentique d'un chef d'établissement, remaniée et publiée sans l'accord de l'intéressé victime d'un cafouillage administratif réparé depuis. Le ministre confirme : il a bien les crédits pour payer les heures d'accompagnement éducatif de cette année.
Or la lecture dudit article qui commence par « L’information est fausse » montre que cette affirmation première est à nuancer fortement.
- Le courriel de départ est AUTHENTIQUE.
- La situation qu'il décrivait, à l'époque, était réelle.
- Et - ô miracle - il a permis de s'apercevoir que l'IA - quel étourdi quand même - avait oublié de se renseigner auprès du rectorat pour savoir exactement quelle était l'enveloppe.
Mais tout est bien qui finit bien : le rectorat a confirmé que tout serait financé.
Parler de "hoax" (canular) pour ce courriel est un peu exagéré.
Décortiquons un peu plus : au départ (29/01/08), il s’agit bien d’un courriel authentique : "il a bien été écrit par un collègue chef d'établissement, mais dans un contexte purement privé et il circule sans son accord", confirme la représentante locale du SNPDEN. Passons sur la circulation (sans son accord, mais avec son désaccord ?).
Les faits qu’il dénonce, au moment où ce courriel est envoyé sont-ils faux ? Que nenni, si on lit bien : « Xavier Darcos, attribue l'incident à un cafouillage local, l'inspecteur d'académie ayant omis de "faire le point avec son recteur sur les enveloppes budgétaires" disponibles. » Donc, cet IA-DSDEN a bien annoncé ce qui était indiqué dans le courriel originel. Or cet IA-DSDEN, à la tête d’un très gros département depuis plus de sept ans n’est pas du genre à sortir sans parapluie quand le temps est couvert. Et ce courriel primitif qui a circulé à l’insu du plein gré de son auteur a eu un effet quasi immédiat : « Le recteur, alerté par les réactions, a adressé le 1er février une note aux chefs d'établissement concernés ».
Evolution, il y a eu (il fallait bizarrement « faire le point » sur des enveloppes en principe annuelles). Avant le 29/01, ou après vu les réactions ? mais l’IA n’a jamais pu dire ce qu’il a dit si des restrictions n’avaient pas été annoncées.
L’information était vraie quand elle a été émise. Elle a eu du succès !
Ce que confirme l’Expresso du café pédagogique de ce jour (15/02/08) sous le titre Accompagnement éducatif : Darcos s'engage.
Le ministre s'est-il avancé en affirmant au Monde qu'il s'agissait d'un "cafouillage local" ? Des témoignages venant d'autres établissements sont arrivés au Café évoquant des faits similaires (arrêt des heures d'accompagnement éducatif faute de crédits). Interrogé lors de la conférence de presse sur le plan banlieue, Xavier Darcos a promis qu'il réglerait tous les problèmes. "Si les principaux sont en difficultés qu'ils m'appellent directement. Je ferai le nécessaire" a promis le ministre.
Donc, Darcos confirme que son ministère en disant que « L’information est fausse » a quelque peu tordu la vérité, que l’on a fait porté le chapeau d’un prétendu cafouillage à un IA-DSDEN expérimenté et extrêmement méticuleux (l’ayant eu comme IA en Vendée, et bien que nos rapports professionnels n’aient pas été toujours franchement cordiaux, je peux témoigner que ce bourreau de travail n’était pas du genre à inventer une restriction de crédits).
L’explication la plus vraisemblable est que les services financiers ministériels (sans l’aval du cabinet ?) en mal d’économies, ont dû prévoir ici ou là ce que du temps de Balladur on appelait une régulation budgétaire, en fait un gel des crédits prévus sur telle ou telle ligne. Mais, patatras, on s’est rendu compte, grâce notamment à ce courriel qui courrait partout, que ça allait avoir un effet désastreux, surtout juste au moment où on allait annoncer des mesures du plan banlieues.
Le plus drôle reste quand même cette invite très sarkozyenne du sieur Darcos aux principaux en difficultés de l’appeler directement !
Allo Xavier bobo, on me sucre mes heures !
Démagogie et jésuitisme vont de pair dans notre adocratie.
PS Qui n’a rien à voir : le moteur à émotions est relancé à plein régime avec cette annonce de parrainage par les CM2 d’un enfant juif déporté ! L’ado attardé qui nous sert de président jette cela, comme il balance la fin de la pub dans les télés publiques, sans aucune réflexion (le mot doit lui être inconnu, il semble n’obéir qu’à des impulsions) et encore moins concertation.