Chaleur aidant – ou plutôt l’inverse – un billet de fainéant, sur une tribune du Monde, daté du 21 juin 2017, de Jérôme Perrier, « La nouvelle trahison des clercs : les intellectuels français et le libéralisme ».
Inutile de dire que le passage sur Todd et Onfray m’a semblé plus que bienvenu : « Avec l’air rogue dont il ne se départit jamais, Emmanuel Todd a ainsi déclaré dans l’émission Arrêt sur images que contrairement à un autre invité qui se vantait d’aller voter Macron « comme on sort les poubelles »[O. Tonneau : à mon sens tout aussi con que lui], lui s’abstiendrait « dans la joie ». Quant à Michel Onfray, qui a compris de longue date que l’outrance est plus rentable que la nuance, il s’est fait une spécialité de la dénonciation rituelle du libéralisme, y voyant « une idéologie dont l’utopie fait des dégâts considérables avec des victimes et des morts jamais comptabilisés » ; assurant même avec le ton docte qui sied à un philosophe indigné que « les suicides, l’alcoolisme, la drogue, la violence, les antidépresseurs, la délinquance, la criminalité en procèdent largement ». Fichtre ! Par chance la peste a de longue date disparu de nos contrées, faute de quoi il y a fort à parier que cette tête pensante qui manie la plume comme d’autres la kalachnikov, y aurait vu un effet supplémentaire du bacille libéral. »
Comment ne pas le suivre encore quand il dénonce ensuite « des comportements (…) préoccupants, comme ces jeunes défilant durant l’entre-deux-tours dans les rues de Paris aux cris de : « Ni fascisme ni libéralisme », comportement qui, pour lui, témoignent d’une ignorance crasse. Mais lorsque dans son élan dénonciateur il en déduit qu’un tel degré d’aberration témoigne simplement d’une défaillance profonde de notre système d’enseignement, qui ne peut s’exonérer de toute responsabilité dans la syncope idéologique qui est la nôtre, malgré la chaleur qui m’accablait, j’ai eu un léger sursaut.
Comme si on accusait les auto-écoles d’être responsables des accidents de la route.
Certes il n’est ni le premier – les rétropenseurs usent et abusent de cette imputation – et hélas pas le dernier à mettre en cause l’enseignement dans des stupidités qui, elles aussi, ne datent pas d’aujourd’hui : souvenez-vous de CRS-SS ! D’autant que les exemples qu’il donne -Todd, Onfray, Badiou, Lordon - sont les produits d’un système d’enseignement bien antérieur.
Je ne disputerai pas de sa conception du libéralisme, d’autant que dans la tribune il insiste surtout sur la caricature et la méconnaissance dont il est l’objet, plus que sur le contenu assez polysémique du mot. Entre des disciples de l’école de Chicago qui sévissaient au FMI dans les années 80-90 et qui s’accommodaient fort bien des dictatures militaires en Amérique latine et le libéralisme dont se réclame Mario Vargas Llosa il y a plus que des nuances.
Et la grande complainte libérale sur les prélèvements obligatoires, en mélangeant allègrement impôts et taxes avec cotisations sociales, passe sous silence le fait que si on privatise la protection sociale, on remplacera l'affreux prélèvement par le joyeux paiement d’assurances privées... qui risque fort d'être plus élevé !
« Je suis un libéral, parce que si on ne le limite pas, si on ne le tient pas sous une vigilance incessante, le pouvoir devient une monstruosité (…) Pour moi, être libéral, c'est surtout avoir une méfiance systématique du pouvoir. Si vous croyez à la liberté, le pouvoir, c'est l'ennemi à contrôler.
[…]
Je m'inscris dans la tradition de Schumpeter, de Hayek, d'Aron et d'Ortega y Gasset en Espagne. Le libéralisme n'est pas une idéologie mais plutôt une doctrine, on y trouve toutes les variétés que vous voulez. Le libéralisme est défendu parfois par des conservateurs et parfois par des socialistes. Nous avions des libéraux en Amérique latine, parce qu'ils refusaient le contrôle de l'Eglise sur la vie des citoyens. Mais ils ne s'intéressaient pas du tout à l'économie, et à vrai dire le libéralisme qui ne se préoccupe que du marché, du libre-échange est très limité. Le libéralisme, c'est la tolérance, la coexistence dans la diversité, la communauté d'idées différentes, la foi dans le progrès, c'est la civilisation.»
Mario Vargas Llosa “Le pouvoir, c'est l'ennemi”
Pour en revenir à l’école, elle peut et elle doit, plus encore qu’elle ne le fait, tenter d’inculquer les notions de base de la citoyenneté, mieux, faire vivre cette citoyenneté en son sein, initier, comme le prône quelques pionniers, dès le plus jeune âge, à la discussion à visée philosophique, mais elle ne nous préservera jamais des aberrations idéologiques… qui ne frappent pas que les jeunes.
Pour illustrer la discussion à visée philosophique ce document de Michel Tozzi, téléchargeable gratuitement : http://www.yapaka.be/livre/livre-prevenir-la-violence-par-la-discussion-a-visee-philosophique
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