Charles Chabert* Député de la Drôme, dans cette riche séance du 26/06/1905 présenta un amendement : « Les ministres des différents cultes ne pourront porter un costume ecclésiastique que pendant l’exercice de leurs fonctions. »
« Il est étrange, il est véritablement incompréhensible, qu’un projet de loi si longuement et si mûrement étudié […] ne dise pas un mot d’une question qui a une importance extrême, capitale, le port du costume ecclésiastique.
Cette omission est-elle voulue ? […] En tout cas elle a surpris bien des gens dans tous les camps.
Pour tous les républicains, pour nombre de catholiques et pour nombre de prêtres, il est clair dans leur pensée, qu’aussitôt le nouvel ordre des choses établi, aussitôt voté la loi de séparation, le costume ecclésiastique, s’il n’était pas radicalement aboli, serait rangé parmi les vieux accessoires démodés et hors d’usage, disparaîtrait des places publiques et ne sortirait plus de l’ombre des sacristies et des sanctuaires.
Est-ce que par hasard la Chambre estime indigne d’elle de s’occuper de tels détails ? Veut-elle laisser libre le port de la soutane ? […]
Dans les premiers siècles de la chrétienté, les ecclésiastiques s’habillaient comme tout le monde et ce n’est que plusieurs siècles après la naissance de la religion nouvelle qu’ils jugèrent à propos de se différencier des autres citoyens.
[…] Pourquoi maintiendrait-on aux ecclésiastiques le privilège de conserver et de porter un costume qui jure si étrangement avec les mœurs et les goûts modernes ? […] sous le régime que nous allons installer, alors que l’État se sera installé dans la neutralité la plus absolue serait-il possible que nous aurions quand même le port d’un costume spécial. […]
Il importe d’autant plus de statuer sur ce sujet que le costume ecclésiastique [soulève des controverses nombreuses et donne lieu à des polémiques].
Ce costume favorise [l’autorité sur une partie de la population] et c’est précisément une des raisons principales pour lesquelles l’Église attache au costume de ses ministres une telle importance.
Par l’effet du costume qui les sépare et les distingue du vulgaire, les prêtres apparaissent aux yeux des fidèles – et c’est là ce que veut l’église – comme autre chose et plus que les hommes.
Le prêtre se considère comme l’intermédiaire entre Dieu et la créature […] d’un mot, il peut absoudre, d’un mot il peut réaliser les plus inouï des miracles : faire descendre son Dieu dans un morceau de pain.
[Il cite un passage d’un ouvrage d’un sulpicien pour les futurs prêtres : « L’avons-nous prise (la soutane) avec joie, comme un habit d’honneur qui nous dégage de l’ignominie de l’habit séculier… »]
Le costume religieux n’est-il pas essentiellement un emblème ? Son port n’est-il pas au premier chef une manifestation confessionnelle ? […] Les choses de la conscience, dans la conscience : tel est bien l’esprit de la loi que nous élaborons. Mais la soutane en public, ce sont les choses de la conscience dans la rue.
D’autre part, vous avez pu être témoins des manifestations diverses que provoque assez souvent dans nos villes le passage d’une soutane […] ils exposent les prêtres à de désagréables surprises. Eh bien ! ne devons-nous pas empêcher que cet état de choses se perpétue ?
[En Suisse, en Angleterre, en Amérique] les ecclésiastiques s’habillent comme tout le monde…
Libre à chacun de s’habiller comme il lui plaît, voilà qui paraît simple et facile. Oui, quand vous aurez ôté à telle ou telle façon de se vêtir sa signification ou son prestige.
[…] Le prêtre obligé de sortir en soutane est aussitôt remarqué, ses moindres démarches sont connues et commentées. […] Supprimez le costume et aussitôt le prêtre devenu une unité ordinaire dans la foule immense, échappe à son supérieur, s’évade de cette tyrannie de tous les instants […] le costume le rend prisonnier de sa propre ignorance, je dirai presque de sa propre bêtise. […] c’est à cause du costume qu’il y a une telle distance entre les séculiers et les ecclésiastiques.
[…] Voyez ce jeune prêtre qui passe dans la rue : son regard est timide, presque fuyant, son pas est lent et compassé, sa tête est penchée sur l’épaule, ses mains qui se perdent dans de larges manches sont croisées sur sa poitrine : est-ce un homme ?
[…] Il y a des prêtres, je le reconnais, qui pour rien au monde ne consentirait à quitter leur habit, mais un plus grand nombre d’entre eux – et ce sont les plus intelligents, les plus instruits – attendent avec anxiété cette loi qui les rendra libres.
[…] De ce serf, de cet esclave faisons un homme. C’est ce que je vous demande au nom de la logique, au nom de l’humanité. »
Aristide Briand, rapporteur, lui répond : « Au risque d’étonner l’honorable M. Chabert, je lui dirai que le silence du projet de loi au sujet du costume ecclésiastique qui paraît le préoccuper si fort, n’a pas été le résultat d’une omission mais bien [celui] d’une délibération mûrement réfléchie. Il a paru à la commission que ce serait encourir, pour un résultat plus que problématique, le reproche d’intolérance et même s’exposer à un danger plus grave encore, le ridicule que de vouloir, par une loi qui se donne pour but d’instaurer dans ce pays un régime de liberté au point de vue confessionnel, imposer aux ministres des cultes de modifier la coupe de leurs vêtements.
[…] Ce que notre collègue voudrait atteindre dans la soutane, c’est le moyen qu’elle procure de se distinguer facilement des autres citoyens.
Mais la soutane une fois supprimée […] si l’église y trouvait son intérêt, l’ingéniosité combinée des prêtres et des tailleurs aurait tôt fait de créer un vêtement nouveau […] pour permettre au passant de distinguer au premier coup d’œil un prêtre de tout autre citoyen.
[…] Quant au prestige dont jouit la religion dans nos campagnes, je crois qu’il serait téméraire de l’attribuer uniquement [à la soutane].
[La commission] a pensé qu’en régime de séparation la question du costume ecclésiastique ne pouvait plus se poser. […] La soutane devient dès le lendemain de la séparation un costume comme un autre […] C’est la seule position qui nous ait paru conforme au principe même de la séparation. »
Extraits du débat du 26 Juin 1905 http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/eglise-etat/sommaire.asp#compte_rendu.
On peut déplorer que les photos des pages de comptes rendus des débats soient d’une telle médiocrité technique rendant certaines colonnes illisibles et les autres difficiles à déchiffer.
Tout est déjà dit. La soutane n’est pas une obligation religieuse, puisque dans certains pays les prêtres n’en portent pas. C’est donc l’expression d’un catholicisme obscurantiste, fanatique…fondamentaliste, pour tout dire. En portant cette soutane, les prêtres veulent établir une « barrière infranchissable entre eux et la société laïque ». Et en même temps, cette longue robe noire est une atteinte évidente à leur dignité masculine ! (cf Jean Baubérot) On croirait lire du Valls sur la burka !
* Né le 16 décembre 1852 à Saint-Donat-sur-l'Herbasse (Drôme), mort le 30 septembre 1923 à Saint-Donat-sur-l'Herbasse.
Député de la Drôme de 1899 à 1908.
Sénateur de la Drôme de 1908 à 1923.
Sous-chef de bureau à la direction de la Caisse d'épargne postale, Charles Chabert militait dans les rangs du parti radical-socialiste et devint ainsi maire de sa commune natale et conseiller général de la Drôme.
Un siège de député s'étant trouvé vacant dans la deuxième circonscription de Valence pour le remplacement de M. Bizarelli élu sénateur le 9 avril 1899 et démissionnaire de son mandat le 15 mai suivant, une élection partielle eut lieu le 25 juin de la même année. Charles Chabert fut élu au premier tour de scrutin, par 10.012 voix contre 5.852 à M. Servan, son principal adversaire, sur 16.170 votants.
Dans son programme électoral il réclamait l'abrogation de la loi Falloux, se déclarait partisan de l'impôt progressif sur le revenu, de la réduction à deux ans du service militaire, des lois d'assistance et de solidarité sociales, de la réduction des dépenses, de la protection de l'agriculture, du petit commerce et de la petite industrie, de l'amélioration des chemins de fer, de la suprématie absolue du pouvoir civil sur tous les autres pouvoirs, du respect absolu de la liberté de conscience et de la laïcité complète de l'État.
Inscrit au groupe radical-socialiste et membre de diverses commissions, il participa à la discussion : du budget du Ministère de la Justice de l'exercice 1901, pour demander la suppression des « messes rouges » lors de la rentrée des tribunaux[…]
Lorsque vinrent en discussion le projet et les propositions de loi sur la séparation des Églises et de l'État, il déposa un amendement demandant l'interdiction du port du costume ecclésiastique en dehors des Églises (1905).
Il soutint constamment la politique des Ministères Waldeck-Rousseau, Combes, Rouvier, Clemenceau, et vota notamment la loi sur les associations (1901), la loi interdisant tout enseignement aux congrégations (1904), la loi de séparation des Églises et de l'État (1905), la loi militaire sur le service de deux ans (1905), la loi d'assistance aux vieillards et aux incurables.
Il fut encore réélu au premier tour de scrutin, aux élections générales du 6 mai 1906, par 10.609 voix, contre 6.114 à M. Vinay, sur 18.575 votants. Dans sa profession de foi, il réclamait le monopole de l'enseignement pour l'État, au moins pour les deux premiers degrés, un impôt unique et progressif sur le revenu et l'achèvement de la loi sur les retraites ouvrières et paysannes. …
http://www.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche.asp?num_dept=1589
PS Sans doute était-il Franc-Maçon, car plusieurs interruptions font clairement allusion à cette affiliation.