Rencontre encore au hasard du net, que cette artiste d’origine marocaine qui fait dans la photo mais aussi dans la création de vêtements qu’elle met en scène dans des défilés-performances. A travers son art c’est la condition des femmes dans le monde musulman, mais aussi le regard occidental sur ces femmes et sur l’Orient qu’elle évoque.
Majida Khattari est née en 1966 à Erfoud, dans le Tafilalet, berceau de la dynastie régnante des alaouites, oasis sur le Ziz fleuve qui se perd dans le Sahara. « Au collège, un professeur a repéré que je dessinais bien. Il m’a orientée vers les arts plastiques. » Etant d’une famille libérale, elle a donc pu s’inscrire à l’École des beaux-arts de Casablanca, avant de poursuivre ses études à l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris (Ensba) dont elle sort diplômée en 1995.
''J'habite Paris depuis 1988, j'avais vingt-deux ans quand j'ai quitté Casablanca. J'y retourne voir ma mère trois fois par an. Mais, à force de présenter mes défilés en France, en Europe, toujours dans des pays riches et démocratiques, j'ai commencé à me demander ce que je pouvais faire dans mon pays natal, pour accompagner l'ouverture politique du régime. Je me suis aperçue que je ne connaissais pas la ville ni ses habitants. J'ai vécu dans un milieu familial très protégé, symbolisé par l'appartement de ma sœur, rue d'Agadir, dont le balcon panoramique domine un centre-ville dense, architecturé. La ville coloniale et bourgeoise est blanche et bleue comme la mer le long des plages aménagées de la Corniche. La ville des pauvres, bricolée, brûlée par le soleil, est cassée, jaune comme la terre, dans le quartier de Sidi Othman comme dans le bidonville de El Hank."
Ses photographies jouent avec les codes de l’orientalisme dont Etienne Dinet - Nasr Eddine fut un représentant, avec des artistes plus prestigieux comme Ingres, Gérôme ou Delacroix. Un Orient fantasmé, rêvé et fantaisiste, images de harems peuplés d’odalisques, atmosphères d’oisiveté hédoniste. Dans « Luxe, désordre et volupté » que présente l’Atelier 21, avec de belles reproductions, on découvre des variations sur le voilé dénudé qui auront des échos dans ses futurs défilés-performances avec le voilé-dévoilé.
Arrivée en France en plein débat sur l’interdiction du voile dit islamique – en fait un foulard – à l’école, elle va s’emparer de ce thème :
« C’est l’actualité sur le voile islamique et la violence en Algérie qui m’ont poussée à travailler sur l’idée de culture et d’identité. J’ai cherché la forme juste permettant un dialogue entre les Occidentaux et les Orientaux » Son projet est de «sortir le voile du religieux» en montrant qu'il a une histoire culturelle et n'a pas à être pris en otage par ceux qui veulent le bannir ou l'imposer. «Je travaille sur l'apparence, le visible et l'invisible, de la même façon que les islamistes jouent sur l'apparence»
''L'idée de dessiner des robes qui figurent la situation des femmes dans l'islam contemporain m'est venue en 1995, au moment des polémiques sur le foulard islamique : fallait-il accepter dans les écoles de la République des jeunes femmes voilées ? Je présente ces robes dans des défilés conçus comme des performances. Ce ne sont pas des prototypes, et je n'ai jamais collaboré avec l'industrie de la mode. Mais je reconnais volontiers que mon travail résulte du goût que j'ai toujours eu, depuis mon adolescence à Casablanca, pour le contraste de l'apparat moderne du corps féminin avec les normes de la tradition islamique. Je suis une musulmane vivant en France, j'adhère à l'Islam, mais je tiens à dénoncer les usages répressifs de la foi et de l'ignorance (55 % d'analphabétisme au Maroc) dans tout régime théocratique.''
Sans doute son défile-performance le plus récent (20 mars 2014), à Francfort, que celui des Houris. Dans le cadre d’une exposition réunissant des artistes africains, intitulé « La divine comédie, ciel, enfer et purgatoire » que Majida Khattari, avec 72 jeunes femmes, sélectionnées localement après un casting réalisé plusieurs semaines avant, a présenté cette performance. Khattari interprète donc la promesse faite aux martyrs de bénéficier dans l’au-delà de 72 houris, jeunes pucelles. La grille de la burka est ici représenté par un masque et les jeunes vierges sont à peine vêtues de blancs atours, voire dénudées…
Le reportage porte sur toute l'exposition : Houris apparaît à 1'23"
Pour compléter
- Le site de l'artiste, bien sûr
- Majida Khattari : la provocation douce Jeune Afrique
- Tous voiles dehors Le Monde
- Entretien avec Héla Fattoumi et Majida Khattari TV5Monde
- Défilé-performance à Tulle Peuple et Culture
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L’artiste Majida Khattari fait sensation pendant la FIAC à Paris
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