Epilogue de l'épilogue : l'Audience nationale à Madrid a statué sur le scandale Gürtel, un système de corruption entre le Parti populaire, au pouvoir, et un réseau d'entreprises. Au total, 29 des 37 accusés ont écopé de 351 ans de prison. Pire : le PP en tant que parti a été condamné pour tirer des bénéfices à titre lucratif.
Correa, Crespo y El Bigotes, condenados a 13 años de prisión por la trama Gürtel de Valencia
El País 10/02/2017
En guise d'épilogue de l'affaire Gürtel, le tribunal de Valence a condamné les principaux protagonistes.
569 hommes politiques, banquiers, chefs d’entreprises ont des comptes secrets en Suisse. Une évasion fiscale de 44 milliards d’euros. Elle représente 74% de la fraude fiscale, selon une note du fisc espagnol. Une comptabilité bis du Parti Popular (PP) au pouvoir révèle que ses dirigeants bénéficiaient de confortables primes, dont une partie au noir. Et si la monarchie garde une majorité relative de partisans, elle est d’à peine 41%.
Décidément les Pyrénées sont plus que jamais là.
Alors que l’Italie, il est vrai avec des personnages hauts en couleurs et/ou en frasques – Berlusconi, Beppe Grillo, par exemple – a droit à quelques échos dans nos médias, l’Espagne point.
Même sa famille royale, des Bourbons pourtant, attire moins Stéphane Bern, le spécialiste des familles royales, que les Grimaldi. Eh quoi ! Cristina, l’infante cadette, qui se défend devant un juge pugnace d’être au courant des malversations de son ex-handballeur d’époux, ça ne mérite pas une chronique.
Quant au roi, Juan-Carlos, certes ses exploits cynégétiques ont quand même fait quelque bruit ; ces éléphants qu’il abat n’ont pas provoqué que l’indignation des disciples de BB, dans un pays qui connaît un chômage record, ces safaris avaient un côté provocant.
Rien par contre sur les amours (à peine) clandestines d’un digne successeur d’Isabel II : «En Espagne, il y a deux reines : l’officielle Sofia, 73 ans, mariée avec le roi Juan Carlos depuis 1962 ; et l’officieuse, la provocante et blonde ‘princesse’ Corinna zu Sayn-Wittgenstein, de 46 ans, séparée et amante depuis quatre ans du souverain le plus tombeur de femmes d’Europe. Corinna Larson, son roturier nom de jeune fille, est née à Ditzingen, et son sang est devenu bleu après son second mariage, en 2000, avec le prince Casimir zu Sayn-Wittgenstein. C’est l’aristocrate qui accompagne le roi dans ses voyages officiels et elle le représente même à l’étranger». (La Stampa) Elle pourrait être sa fille, puisqu’elle a l’âge de l’infante Elena. Mais qu’un Bourbon ait des maîtresses, même les prélats ibériques l’absolvent.
Qu’il ait des ‘bâtards’ fait aussi parti de la tradition. Ainsi il aurait engrossé une belge, quasi en même temps que sa légitime pour Elena, la première infante. Surtout, dans sa prime jeunesse, il aurait aussi engrossé une catalane et cela en 1956, sous Franco le bigot !
Les partisans du rétablissement de la République lancent des attaques plus violentes. Ainsi, revient périodiquement l’épisode obscur de la mort de son frère. Juan Carlos avait 18 ans, son frère, Alfonso, 15. Ce samedi, à Estoril où vivaient le Comte de Barcelone et ses enfants, les deux frères étaient seuls, s’entraînant au tir avec un pistolet calibre 22. L’aîné a tué son cadet. Accidentellement dira-t-il. Aucune enquête n’a eu lieu. Mais aucun indice non plus d’une quelconque volonté fratricide.
Revient aussi l’accusation récurrente d’avoir été l’âme du 23F, le coup d’état manqué. L’Anatomie d’un instant de Javier Cercas en démontant avec minutie ce 23 février 1981 remet le rôle du roi en perspective.
L'affaire Gürtel
Mais les frasques du roi, les malversations d’un de ses gendres, même avec la complicité de l’infante Cristina, ne sont rien à côté de la gigantesque corruption du Parti Popular au pouvoir. C’est le juge Garzón –depuis révoqué, le seul actuellement ‘condamné’ dans cette affaire pour de sombres questions de procédures – qui a soulevé le lièvre de l’affaire dite Gürtel, en fait Correa.
Bon d’accord, les espingoins n’ont rien inventé : rétro-commisions, dessous-de-table, surfacturation, c’est pas à Schuller et Balkany qu’on va apprendre cela, eux qui, si l’on en croit Schuller, se vautraient sur un lit de billets, provenant de sombres opérations.
Donc, comme pour URBA ou les marchés publics de l’Île de France, les entreprises retenues pour un marché public, parfois grâce à des pots-de-vin, devaient reverser une commission, évidemment en dessous de table. S’y ajoutait, pour les entreprises du groupe de Correa, retenues du coup par piston, une surfacturation manifeste. Tout cela contribuait d’abord à l’enrichissement personnel des organisateurs, ainsi Francisco Corréa et Pablo Crespo se seraient gentiment mis dans la poche 85 millions d’euros, chacun. Mais, il fallait aussi rétribuer les politiques à la tête des municipalités ou des communautés (Madrid et Valence) qui octroyaient les juteux marchés. Puis arroser le PP dans son ensemble par le biais du fameux Luis el cabrón Bàrcenas qui n’a pas oublié de se sucrer au passage (une quarantaine de millions).
“Es la primera vez en democracia que un tesorero reconoce todo un sistema de financiación ilegal, con carácter permanente”.
Le parti popular, c’est la roue de la fortune !
Finalement, Bàrcenas a fini par, sinon passer aux aveux complets, du moins à reconnaître le système de financement illégal du PP. Et il y a sans doute peu de démocraties où le siège du parti est quasi au tiers payé au noir. Mais outre les sièges locaux et national et les campagnes électorales, l’argent sale servait à compléter les primes que recevaient les caciques du Parti en dessous de table, qui donc échappaient au fisc.
El Païs, pour avoir révélé qu’Aznar, alors chef du gouvernement, avait cependant continué de recevoir des primes du PP, a été attaqué en justice par celui qui avait fait payé la noce de sa fille par Correa ! Pour atteinte à son intimité, à son image et à son honneur, il réclamait 100 000 euros, pour un article intitulé « Le PP a versé une prime à Aznar quand il était Président du gouvernement ». Il était précisé qu’il en avait reçu à trois occasions pour frais de représentation, en 1996, pour 2,7 millions de pesetas (16 755 €). De telles primes étaient évidemment incompatibles avec l’exercice d’une responsabilité gouvernementale. Aznar s’est embrouillé dans une histoire d’arriérés dus pour des prestations précédentes dont il n’a pas plus été capable de démontrer la réalité que Copé l’existence de ses conventions-bidons. L’antipathique personnage a été débouté.
Le non moins antipathique Alberto Ruiz-Gallardón, du temps où il était sénateur, a reçu, en 1994, en sommes déclarées, 2.275.000 pesetas du PP. Mais, la même année, à la fin de chaque mois, il recevait un petit surplus – quasi de l’argent de poche - de 53.769 pesetas. En juin et décembre – on peut comprendre pour décembre, les frais de cadeaux de fin d’année, mais pour juin ? – ça a doublé avec 107.538 pesetas. Mais, ce n’est pas tout, pour différentes (‘varios’) autres prestations en juin 1994, il a eu droit à 609.392 pesetas après que le mois d’avant, sans autres explications, il a eu droit à 304.696 pesetas. Faut-il ajouter que, cependant, il touchait son salaire de Sénateur ?
Entre 1991 et 2011, le PP a distribué en primes et frais de représentations 46 millions d’euros. Inutile de souligner que c’était au cœur d’une crise dont l’Espagne fut une des grandes victimes.
Ainsi, en 2007, le PP a réparti plus de 3 millions d’euros entre ses principaux leaders, un peu plus en 2008 et 2009, un peu moins en 2010 et 2011.
Ne parlons plus d’Aznar même si ses fameux frais de représentations ont atteint 780 000 euros entre 1990 et 1996. Mais on découvre des seconds couteaux comme José María Michavila, qui a droit à 400.000 euros ou le président du Sénat, Pío García Escudero, il est vrai un vétéran du parti, auquel Génova*, en frais de représentation et primes, a payé plus de 1.100.000 euros…
Encore plus surprenant ce député quasi inconnu, Juan Carlos Vera, mais un homme clé pour l’expertise en élections – une sorte de Buisson, sans doute - qui, à ce titre, a perçu 1.500.000 euros. Mariano Rajoy fait à peine mieux, quand il était secrétaire général du PP. Luis Bárcenas, non content de prélever à la source, s’attribuait des primes (1.471.662 euros).
Mais plus marrant : Francisco Álvarez Cascos, qui a été secrétaire général de 1989 à 1999, a perçu en primes déclarées 575.795,49 euros et en dessous-de-table, de Bárcenas, 410.226 euros. Javier Arenas bien que moins longtemps dans la charge (de 1999 à 2003) a eu droit en primes déclarées à 1.154.138,48 euros et selon Bárcenas, seulement 230.713 euros au noir. Mariano Rajoy, qui ne fut secrétaire général qu’un an (2003-2004), mais qui accéda au poste de Président National du Parti, a donc eu droit à une prime déclarée de 1.580.752,81 euros (mais il aurait palpé au noir 406.610 euros) !
En plus, bien sûr, pour tous, de leurs émoluments liés à leurs mandats ou postes.
Mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg
Emilio Botín, Président de la Banque de Santander, détient quelques comptes secrets (dont certains datent de la guerre civile !) dans la banque suisse HSBC. Un employé de cette banque, Hervé Falciani, a dévoilé des titulaires étrangers de comptes. On y touve 569 espagnols. Outre Botín et sa famille, José María Aznar; Dolores Cospedal; Rodrigo Rato; Narcís Serra; Eduardo Zaplana; José Folgado; Josep Piqué; Rafael Arias-Salgado; Pío Cabanillas; Isabel Tocino; Josu Jon Imaz; José María Michavila; Juan Miguel Villar Mir; Anna Birulés; Abel Matutes; Julián García Vargas; Ángel Acebes; Eduardo Serra; Marcelino Oreja...
Selon le fisc espagnol, ces comptes représentent 74% de la fraude fiscale, avec un total de 44 milliards d’euros. Ces 44 milliards que les super-riches ont escamotés auraient évité les coupes claires dans les comptes sociaux que Rajoy a réalisés.
L’énorme concentration de la rente et de la propriété fait de l’Espagne un des pays d’Europe où les inégalités sociales sont les plus prononcées et où la redistribution sociale est la plus réduite. Un pays où, aux dires même d’Aznar, "los ricos no pagan impuestos en España", les riches ne payent pas d’impôt.
Stephanie Claudia Müller, correspondante en Espagne de divers journaux économiques allemands, explique que les 2/3 de la dette sont dues aux collectivités territoriales. Chacune des 17 régions fonctionnent un peu comme des états indépendants, avec des institutions multipliées par 17 (ainsi y a-t-il 17 services météo, 50 chaînes de télés régionales en perdition, même des ambassades) ; les 4000 entreprises publiques servent à dissimuler la dette et à y placer membres de la famille et amis.
Pour elle la cause des problèmes de l’Espagne est d’abord ce modèle d’état non viable, miné par le népotisme et la corruption, saigné par une oligarchie politique en totale connivence avec l’oligarchie économique et financière, avec le pouvoir judiciaire sous sa coupe. Cette caste politique corrompue et incompétente risque de ruiner la nation pour plusieurs générations.
Le siège du parti est rue de Gênes, Genova, et Los Genoveses désigne les caciques du PP
En annexe, l'article de S. C. Müller, traduit en Espagnol
Et en cadeau bonus
Petite série de dessins antimonarchiques (cliquer sur le symbole son)
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