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19 mai 2014 1 19 /05 /mai /2014 09:33
Il y a quelque chose de pourri au Royaume d’Espagne

Epilogue de l'épilogue : l'Audience nationale à Madrid a statué sur le scandale Gürtel, un système de corruption entre le Parti populaire, au pouvoir, et un réseau d'entreprises. Au total, 29  des 37 accusés ont écopé de 351 ans de prison. Pire : le PP en tant que parti a été condamné pour tirer des bénéfices à titre lucratif.

 

https://www.nouvelobs.com/monde/20180525.OBS7219/corruption-en-espagne-motion-de-censure-elections-anticipees-rajoy-et-son-parti-isoles.html

Correa, Crespo y El Bigotes, condenados a 13 años de prisión por la trama Gürtel de Valencia

El País 10/02/2017

En guise d'épilogue de l'affaire Gürtel, le tribunal de Valence a condamné les principaux protagonistes.

 

 

 

569 hommes politiques, banquiers, chefs d’entreprises ont des comptes secrets en Suisse. Une évasion fiscale de 44 milliards d’euros. Elle représente 74% de la fraude fiscale, selon une note du fisc espagnol. Une comptabilité bis du Parti Popular (PP) au pouvoir révèle que ses dirigeants bénéficiaient de confortables primes, dont une partie au noir. Et si la monarchie garde une majorité relative de partisans, elle est d’à peine 41%.

 

Décidément les Pyrénées sont plus que jamais là.

Alors que l’Italie, il est vrai avec des personnages hauts en couleurs et/ou en frasques – Berlusconi, Beppe Grillo, par exemple – a droit à quelques échos dans nos médias, l’Espagne point.

Même sa famille royale, des Bourbons pourtant, attire moins Stéphane Bern, le spécialiste des familles royales, que les Grimaldi. Eh quoi ! Cristina, l’infante cadette, qui se défend devant un juge pugnace d’être au courant des malversations de son ex-handballeur d’époux, ça ne mérite pas une chronique.

     Quant au roi, Juan-Carlos, certes ses exploits cynégétiques ont quand même fait quelque bruit ; ces éléphants qu’il abat n’ont pas provoqué que l’indignation des disciples de BB, dans un pays qui connaît un chômage record, ces safaris avaient un côté provocant.

  Rien par contre sur les amours (à peine) clandestines d’un digne successeur d’Isabel II : «En Espagne, il y a deux reines : l’officielle Sofia, 73 ans, mariée avec le roi Juan Carlos depuis 1962 ; et l’officieuse, la provocante et blonde ‘princesse’ Corinna zu Sayn-Wittgenstein, de 46 ans, séparée et amante depuis quatre ans du souverain le plus tombeur de femmes d’Europe. Corinna Larson, son roturier nom de jeune fille, est née à Ditzingen, et son sang est devenu bleu après son second mariage, en 2000, avec le prince Casimir zu Sayn-Wittgenstein. C’est l’aristocrate qui accompagne le roi dans ses voyages officiels et elle le représente même à l’étranger». (La Stampa) Elle pourrait être sa fille, puisqu’elle a l’âge de l’infante Elena. Mais qu’un Bourbon ait des maîtresses, même les prélats ibériques l’absolvent.

Qu’il ait des ‘bâtards’ fait aussi parti de la tradition. Ainsi il aurait engrossé une belge, quasi en même temps que sa légitime pour Elena, la première infante. Surtout, dans sa prime jeunesse, il aurait aussi engrossé une catalane et cela en 1956, sous Franco le bigot !

Il y a quelque chose de pourri au Royaume d’Espagne

Les partisans du rétablissement de la République lancent des attaques plus violentes. Ainsi, revient périodiquement l’épisode obscur de la mort de son frère. Juan Carlos avait 18 ans, son frère, Alfonso, 15. Ce samedi, à Estoril où vivaient le Comte de Barcelone et ses enfants, les deux frères étaient seuls, s’entraînant au tir avec un pistolet calibre 22. L’aîné a tué son cadet. Accidentellement dira-t-il. Aucune enquête n’a eu lieu. Mais aucun indice non plus d’une quelconque volonté fratricide.

Revient aussi l’accusation récurrente d’avoir été l’âme du 23F, le coup d’état manqué. L’Anatomie d’un instant de Javier Cercas en démontant avec minutie ce 23 février 1981 remet le rôle du roi en perspective.

 

Il y a quelque chose de pourri au Royaume d’EspagneIl y a quelque chose de pourri au Royaume d’Espagne

L'affaire Gürtel

Mais les frasques du roi, les malversations d’un de ses gendres, même avec la complicité de l’infante Cristina, ne sont rien à côté de la gigantesque corruption du Parti Popular au pouvoir. C’est le juge Garzón –depuis révoqué, le seul actuellement ‘condamné’ dans cette affaire pour de sombres questions de procédures – qui a soulevé le lièvre de l’affaire dite Gürtel, en fait Correa.

Bon d’accord, les espingoins n’ont rien inventé : rétro-commisions, dessous-de-table, surfacturation, c’est pas à Schuller et Balkany qu’on va apprendre cela, eux qui, si l’on en croit Schuller, se vautraient sur un lit de billets, provenant de sombres opérations.

Donc, comme pour URBA ou les marchés publics de l’Île de France, les entreprises retenues pour un marché public, parfois grâce à des pots-de-vin, devaient reverser une commission, évidemment en dessous de table. S’y ajoutait, pour les entreprises du groupe de Correa, retenues du coup par piston, une surfacturation manifeste. Tout cela contribuait d’abord à l’enrichissement personnel des organisateurs, ainsi Francisco Corréa et Pablo Crespo se seraient gentiment mis dans la poche 85 millions d’euros, chacun. Mais, il fallait aussi rétribuer les politiques à la tête des municipalités ou des communautés (Madrid et Valence) qui octroyaient les juteux marchés. Puis arroser le PP dans son ensemble par le biais du fameux Luis el cabrón Bàrcenas qui n’a pas oublié de se sucrer au passage (une quarantaine de millions).

Es la primera vez en democracia que un tesorero reconoce todo un sistema de financiación ilegal, con carácter permanente.

Il y a quelque chose de pourri au Royaume d’Espagne

Le parti popular, c’est la roue de la fortune !

Finalement, Bàrcenas a fini par, sinon passer aux aveux complets, du moins à reconnaître le système de financement illégal du PP. Et il y a sans doute peu de démocraties où le siège du parti est quasi au tiers payé au noir. Mais outre les sièges locaux et national et les campagnes électorales, l’argent sale servait à compléter les primes que recevaient les caciques du Parti en dessous de table, qui donc échappaient au fisc.

Il y a quelque chose de pourri au Royaume d’Espagne

    El Païs, pour avoir révélé qu’Aznar, alors chef du gouvernement, avait cependant continué de recevoir des primes du PP, a été attaqué en justice par celui qui avait fait payé la noce de sa fille par Correa ! Pour atteinte à son intimité, à son image et à son honneur, il réclamait 100 000 euros, pour un article intitulé « Le PP a versé une prime à Aznar quand il était Président du gouvernement ». Il était précisé qu’il en avait reçu à trois occasions pour frais de représentation, en 1996, pour 2,7 millions de pesetas (16 755 €). De telles primes étaient évidemment incompatibles avec l’exercice d’une responsabilité gouvernementale. Aznar s’est embrouillé dans une histoire d’arriérés dus pour des prestations précédentes dont il n’a pas plus été capable de démontrer la réalité que Copé l’existence de ses conventions-bidons. L’antipathique personnage a été débouté.

 

   Le non moins antipathique Alberto Ruiz-Gallardón, du temps où il était sénateur, a reçu, en 1994, en sommes déclarées, 2.275.000 pesetas du PP. Mais, la même année, à la fin de chaque mois, il recevait un petit surplus – quasi de l’argent de poche - de 53.769 pesetas. En juin et décembre – on peut comprendre pour décembre, les frais de cadeaux de fin d’année, mais pour juin ? – ça a doublé avec 107.538 pesetas. Mais, ce n’est pas tout, pour différentes (‘varios’) autres prestations en juin 1994, il a eu droit à 609.392 pesetas après que le mois d’avant, sans autres explications, il a eu droit à 304.696 pesetas. Faut-il ajouter que, cependant, il touchait son salaire de Sénateur ?

Entre 1991 et 2011, le PP a distribué en primes et frais de représentations 46 millions d’euros. Inutile de souligner que c’était au cœur d’une crise dont l’Espagne fut une des grandes victimes.

Ainsi, en 2007, le PP a réparti plus de 3 millions d’euros entre ses principaux leaders, un peu plus en 2008 et 2009, un peu moins en 2010 et 2011.

Ne parlons plus d’Aznar même si ses fameux frais de représentations ont atteint 780 000 euros entre 1990 et 1996. Mais on découvre des seconds couteaux comme José María Michavila, qui a droit à 400.000 euros ou le président du Sénat, Pío García Escudero, il est vrai un vétéran du parti, auquel Génova*, en frais de représentation et primes, a payé plus de 1.100.000 euros…

Encore plus surprenant ce député quasi inconnu, Juan Carlos Vera, mais un homme clé pour l’expertise en élections – une sorte de Buisson, sans doute - qui, à ce titre, a perçu 1.500.000 euros. Mariano Rajoy fait à peine mieux, quand il était secrétaire général du PP. Luis Bárcenas, non content de prélever à la source, s’attribuait des primes (1.471.662 euros).

Mais plus marrant : Francisco Álvarez Cascos, qui a été secrétaire général de 1989 à 1999, a perçu en primes déclarées 575.795,49 euros et en dessous-de-table, de Bárcenas, 410.226 euros. Javier Arenas bien que moins longtemps dans la charge (de 1999 à 2003) a eu droit en primes déclarées à 1.154.138,48 euros et selon Bárcenas, seulement 230.713 euros au noir. Mariano Rajoy, qui ne fut secrétaire général qu’un an (2003-2004), mais qui accéda au poste de Président National du Parti, a donc eu droit à une prime déclarée de 1.580.752,81 euros (mais il aurait palpé au noir 406.610 euros) !

En plus, bien sûr, pour tous, de leurs émoluments liés à leurs mandats ou postes.

Il y a quelque chose de pourri au Royaume d’Espagne

Mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg

 

   Emilio Botín, Président de la Banque de Santander, détient quelques comptes secrets (dont certains datent de la guerre civile !) dans la banque suisse HSBC. Un employé de cette banque, Hervé Falciani, a dévoilé des titulaires étrangers de comptes. On y touve 569 espagnols. Outre Botín et sa famille, José María Aznar; Dolores Cospedal; Rodrigo Rato; Narcís Serra; Eduardo Zaplana; José Folgado; Josep Piqué; Rafael Arias-Salgado; Pío Cabanillas; Isabel Tocino; Josu Jon Imaz; José María Michavila; Juan Miguel Villar Mir; Anna Birulés; Abel Matutes; Julián García Vargas; Ángel Acebes; Eduardo Serra; Marcelino Oreja...

 

Selon le fisc espagnol, ces comptes représentent 74% de la fraude fiscale, avec un total de 44 milliards d’euros. Ces 44 milliards que les super-riches ont escamotés auraient évité les coupes claires dans les comptes sociaux que Rajoy a réalisés.

 

L’énorme concentration de la rente et de la propriété fait de l’Espagne un des pays d’Europe où les inégalités sociales sont les plus prononcées et où la redistribution sociale est la plus réduite. Un pays où, aux dires même d’Aznar, "los ricos no pagan impuestos en España", les riches ne payent pas d’impôt.

 

   

Stephanie Claudia Müller, correspondante en Espagne de divers journaux économiques allemands, explique que les 2/3 de la dette sont dues aux collectivités territoriales. Chacune des 17 régions fonctionnent un peu comme des états indépendants, avec des institutions multipliées par 17 (ainsi y a-t-il 17 services météo, 50 chaînes de télés régionales en perdition, même des ambassades) ; les 4000 entreprises publiques servent à dissimuler la dette et à y placer membres de la famille et amis.

Pour elle la cause des problèmes de l’Espagne est d’abord ce modèle d’état non viable, miné par le népotisme et la corruption, saigné par une oligarchie politique en totale connivence avec l’oligarchie économique et financière, avec le pouvoir judiciaire sous sa coupe. Cette caste politique corrompue et incompétente risque de ruiner la nation pour plusieurs générations.

 

* Le siège du parti est rue de Gênes, Genova, et Los Genoveses désigne les caciques du PP

 

En annexe, l'article de S. C. Müller, traduit en Espagnol

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Et en cadeau bonus

Petite série de dessins antimonarchiques (cliquer sur le symbole son)

Il y a quelque chose de pourri au Royaume d’Espagne
adaptation française

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26 novembre 2013 2 26 /11 /novembre /2013 16:41
Anatomie d’un instant, Javier Cercas
Anatomie d’un instant, Javier Cercas

23 F : golpe de Estado de 1981 en España

 

J’ai raté ce livre à sa sortie en août 2010 parce que je suis nettement moins attentive aux parutions en période estivale. Réédité récemment en format poche, il n’a cette fois pas échappé à ma vigilance : le premier ouvrage de Cercas, un «roman-document» intitulé Les soldats de Salamine avait suscité mon enthousiasme il y a une dizaine d’années au point que je l’ai prêté et offert à plusieurs reprises autour de moi. Après le succès mérité de ce livre mêlant réalité et fiction sur les derniers moments de la guerre civile espagnole, Cercas (natif de Caceres, mais établi depuis sa plus tendre enfance en Catalogne) a voulu rééditer l’exploit à propos du coup d’état du 23 février 1981. Cependant, son brouillon achevé, il renonce à la fiction comprenant « que les faits du 23 février possédaient en eux-mêmes cette force dramatique et ce potentiel symbolique que nous exigeons de la littérature ».

Anatomie d’un instant, Javier Cercas
Anatomie d’un instant, Javier Cercas

Cerclé en rouge : Adolfo Suarez essayant de retenir Manuel Guttiérrez Mellado

Beaucoup d’entre nous se rappellent les images du lieutenant-colonel portant le tricorne de la Guardia Civil et de ses hommes prenant d’assaut les Cortes le jour de l’investiture de Calvo Sotelo (qui doit remplacer Adolfo Suarez comme chef du gouvernement)  et exigeant sous la menace et les coups de feu que les députés et le personnel se couchent au sol. Tous obtempèrent, à l’exception de trois « rebelles » : Adolfo Suarez, président démissionnaire du gouvernement, Manuel Guttiérrez Mellado, vice-président en charge de la défense et de la sécurité nationale et Santiago Carrillo, élu du PCE. Ces images ne furent pas diffusées en direct (seule la radio continuait à émettre) mais le caméraman de la RTE continuait à filmer. Cependant, Cercas ne s’en est pas tenu à la séquence très partielle diffusée a posteriori : il a vu, revu, scruté la totalité de la bande qui constitue le « fil rouge » de son texte et qui en amorce chaque partie ; il a aussi enquêté sur les acteurs de la conspiration, recueilli des témoignages sur les jeux et les rivalités politiques, accomplissant, sans a priori, un travail de précision tout en faisant partager au lecteur ses hésitations et ses doutes (comme en témoigne l’utilisation récurrente de la conjonction ou). Par ses investigations, son esprit critique, il règle son compte au mythe d’un putsch d’opérette et fait véritablement œuvre d’historien contemporain.

 

Ce n’est pas le seul mérite de l’ouvrage. En effet, Cercas  développe longuement le comportement et le parcours des trois rebelles aux injonctions des putschistes.

  •  
  • Adolfo Suarez, issu des rangs du franquisme, est désigné en 1976 par Juan Carlos président du gouvernement pour mener la Transition démocratique. Habilement, il construit « les fondements d’une démocratie avec les matériaux de la dictature », obtient la légalisation des partis, la liberté de la presse, la rédaction et le vote d’une constitution... mais peine à faire appliquer les décisions. Le 23-F, il s’interpose pour dégager Guttiérrez Mellado de son affrontement avec les putschistes. Il est considéré comme un « foutriquet » et un traître par sa famille politique d’origine et  bien d’autres.
  •  Le général Manuel Guttiérez Mellado fut un franquiste de la première heure : il participa activement en 1936 à la rébellion de son unité contre le Frente Popular. Cependant, nommé en 1976 à Valladolid, il fait publiquement référence dans son discours d’investiture à l’Etat de droit et exige de ses subordonnés une totale et inconditionnelle soumission au pouvoir civil. Vice-président du gouvernement Suarez, chargé de la réforme militaire, il est acquis à la  monarchie constitutionnelle. Le 23-F, il se dresse furieusement contre les putschistes. Il est considéré comme un traître par ses pairs
  • Santiago Carrillo, d’abord secrétaire des Jeunesses socialistes, adhère au PCE en 1936 et rejoint le Bureau politique. En exil, il continue d’être actif mais prend ses distances avec l’URSS pour se rapprocher des eurocommunistes. A son retour en Espagne (1976), pour obtenir de Suarez la légalisation (1977) de son parti il reconnaît la monarchie parlementaire, le drapeau national, est élu député, fait participer le PCE à la rédaction de la constitution adoptée par référendum en 1978 : homme de compromis, il est accusé de révisionnisme par nombre de ses camarades. Le 23-F, il continue, impavide, à tirer sur sa cigarette : celle du condamné ? Allez, encore un traître !

 

Voilà donc trois traîtres ou trois (néo) adeptes de la légalité, ou trois soutiens de la transition démocratique, ou trois partisans de la réconciliation nationale (pour plagier Cercas) qui accomplissent « un geste de courage, de grâce, de révolte, de liberté. »

El rey Juan Carlos, en su mensaje difundido por RTVE en la noche del 23-F.

El rey Juan Carlos, en su mensaje difundido por RTVE en la noche del 23-F.

Une absence de réponse populaire

 

Ce n’est évidemment pas l’audace de ces trois hommes qui fit échouer le golpe ; quant à la réaction citoyenne, elle fut inexistante : « Telle fut la réponse populaire au coup d’Etat : l’absence de réponse ».

C’est en explorant les arcanes des préparatifs et du déroulement du complot que l’auteur dégage les facteurs déterminants de la faillite des trois militaires conspirateurs. Si la volonté d’éliminer Suarez était commune au général Armada (ex-conseiller de Juan Carlos, dévoré d’ambition), au général Milans del Bosch (responsable militaire de la région de Valence) et au lieutenant-colonel Tejero (un récidiviste !), au moment des faits, il apparaît clairement « que leur coup d’Etat était en réalité trois coups d’Etat différents. » Milans décrète l’état d’exception à Valence où les chars sont dans la rue mais il a surestimé son charisme puisqu’il se heurte à la défection de la division Brunete à Madrid (la plus puissante d’Espagne) tandis qu’Armada s’agite dans un jeu trouble qui entraîne la suspicion au Palais Royal et...chez Tejero. L’intervention digne et ferme de Juan Carlos à la télévision portera l’estocade à la tentative qui, en définitive, consolidera la monarchie (mais Cercas n’absout pas totalement le roi*).

 

Après avoir démontré la complexité du coup d’Etat, l’auteur s’étend sur la difficile cohabitation entre éthique et politique et c’est passionnant, très nuancé, jamais ardu grâce à la plume à la fois claire et sensible de l’écrivain (on retrouve dans cet ouvrage son goût pour la géométrie, la symétrie, les parallèles). Il clôt sur une note personnelle qui est un symbole de la réconciliation, du respect d’autrui, de l’affermissement de la démocratie. Plus que d’une chronique, il s’agit bien là d’une œuvre littéraire.

 

* Lothar Lahan, ambassadeur d'Allemagne à l'époque, aurait estimé que le roi avait montré de la compréhension, sinon de la sympathie pour les putschistes ("mostró comprensión, cuando no simpatía frente a los golpistas aquel infausto 23-F")

 

 

Rappel : la rubrique MLF - Mes lectures favorites - est l'oeuvre de MFL - Marie-France Launay - sauf rare exception.

Anatomie d’un instant, Javier Cercas
Anatomie d’un instant, Javier Cercas

Actes Sud, collection Babel 10,50 €

 

 

 

 

Quelques images du putsch

Anatomie d’un instant, Javier Cercas
Anatomie d’un instant, Javier Cercas
Anatomie d’un instant, Javier Cercas

Mort de Franco, le roi Juan-Carlos prête serment, Adolfo Suarez aussi devant Juan-Carlos comme 1er ministre.

Céder sur l’accessoire

pour ne pas céder sur l’essentiel

 

« La Transition fait déjà partie de l’Histoire, écrivit en 1996 le sociologue J. Linz. Aujourd’hui, elle n’est plus un sujet de débat ou de lutte politique. » (…)

[Mais] depuis la Transition est (…) un objet de lutte politique. (...) ce changement est la conséquence d’au moins deux phénomènes : le premier est l’arrivée au pouvoir politique, économique et intellectuel d’une génération de gauche (…) qui n’avait pas pris part au passage de la dictature à la démocratie et qui considère que ce passage a été mal fait (…) ; le second est le renouvellement (…) d’un vieux discours d’extrême gauche selon lequel la Transition avait été le fait d’une tromperie négociée entre les franquistes désireux de rester coûte que coûte au pouvoir, menés par Adolfo Suárez, et des gens de gauche assujettis, menés par Santiago Carrillo, une tromperie dont le résultat ne fut pas une véritable rupture avec le franquisme (…) configurant ainsi une démocratie (…) insuffisante. Entre une bonne conscience aussi granitique que celle des putschistes du 23 février (…) et (..) la simple méconnaissance de l’Histoire récente, les deux phénomènes risquent d’attribuer le monopole de la Transition à la droite (…) alors que la gauche, cédant au double chantage d’une jeunesse narcissique et d’une gauche ultramontaine, semble par moments prête à se désintéresser de la Transition (…).

 

Même si on ne connut pas cette joie particulière qui aurait accompagné l’écroulement instantané d’un régime d’épouvantes, la rupture avec le franquisme fut néanmoins une rupture authentique. Pour y parvenir la gauche a fait de multiples concessions, mais faire de la politique suppose de faire des concessions, parce qu’elle consiste à céder sur l’accessoire pour ne pas céder sur l’essentiel ; la gauche céda sur l’accessoire, mais les franquistes cédèrent sur l’essentiel : le franquisme disparut et ils furent obligés de renoncer au pouvoir absolu qu’ils avaient détenu pendant un demi-siècle. La justice, certes, ne s’est pas faite pleinement, la légitimité républicaine violée n’a pas été restaurée, les responsables de la dictature n’ont pas été jugés, les victimes n’ont été (…) complétement dédommagées, pourtant on a construit une démocratie qu’il aurait été impossible de construire si l’objectif  prioritaire n’avait pas été de construire l’avenir mais (…) de corriger le passé : le 23 février 1981, (…) après quatre ans de pouvoir démocratique, l’armée tenta un coup d’état qui faillit réussir, ainsi est-il facile d’imaginer qu’elle aurait pu être la durée de vie de la démocratie si (…) à ses tout débuts, un gouvernement avait décidé de pleinement imposer la justice (…) Que le système politique issu de cette époque-là n’est pas une démocratie parfaite est un truisme : peut-être que la dictature parfaite existe (…)  mais la démocratie parfaite n’existe pas car ce qui définit une véritable démocratie est son caractère flexible, malléable (…) toujours perfectible (…)  La démocratie espagnole n’est pas parfaite, mais (…) bien plus solide que la démocratie fragile que le général Franco avait renversée par la force. Tout cela fut essentiellement une victoire pour l’antifranquisme, une victoire pour l’opposition démocratique, une victoire pour la gauche qui obligea les franquistes  à comprendre que le franquisme n’avait d’autres avenir que son extinction complète. Suárez l’a immédiatement compris (…) nous lui devons (…) la période la plus longue de liberté que l’Espagne ait connue dans son histoire. (…) Le nier est nier la réalité, ce vice suranné d’une certaine gauche  encore gênée par la démocratie (…) Enfin, le franquisme fut une histoire malheureuse,  mais sa fin ne l’a pas été.

 

(extraits d’Anatomie d’un instant, édition « babel » pages 498 à 501)

 

PS C'est évidemment moi qui ai mis en relief certains passages.

 

A noter un article de Javier Cercas Adolfo Suárez, l’homme qui tua Francisco Franco dans Libération du 7 avril 2014

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