Après l’Italie, l’Espagne ? Le gendre du roi – lui-même touché par le scandale de ses chasses aux éléphants – est accusé d’avoir détourné 6 millions d’euros de fonds publics destinés à une fondation. Surtout, Rajoy, le 1er ministre, et le Parti Popular sont touchés de plein fouet par le « caso Barcenas ».
Début février, El Païs, publie à la une copie des carnets secrets de la comptabilité de Luis Bàrcenas, ex-trésorier du parti Popular (PP). « Dans la comptabilité de Bárcenas, figure depuis 1997 Mariano Rajoy, président du gouvernement et du parti, avec des paiements toujours identiques qui représentent 25.200 euros par an », révèle El Païs. En liquide, non déclaré et à partir de fonds d’origines suspectes. Cette révélation, sur des enveloppes distribuées à des responsables du PP recoupe celles d’un autre quotidien, El Mundo, qui, cependant, en exonérait Rajoy.
Luis el cabrón
Luis Bàrcenas, qui connaît le PP mieux que le PP lui-même dira un membre de ce parti, avait déjà été impliqué dans un grand scandale, l’affaire Gürtel - blanchiment, trafic d’influence, favoritisme et fraude fiscale* - qui avait déjà touché des caciques du PP. Guillermo Ortega, maire de Majadahonda, à une soixantaine de kms de Madrid, avait acquis 8 voitures, 5 motos et 1 bateau entre 2001 et 2005, un niveau de dépenses sans aucun rapport avec ses revenus déclarés. Le maire de Madrid, Alberto Ruiz-Gallardón,, fut obligé de reconnaître avoir favorisé, avec une "manipulation du rapport technique", l’attribution d’un contrat à une entreprise de Correa (alias Gürtel). Le gendre de José Maria Aznar, ancien Premier ministre PP, est soupçonné d’avoir bénéficié des bienfaits de Correa. Mais surtout Luis Bàrcenas est au centre de cette enquête initiée par le juge Baltazar Garzón. Son nom, sous les initiales "L.B.", "L.B.G.", ou encore sous le pseudonyme "Luis el cabrón" - Luis l’enfoiré - apparaît à maintes reprises.
Barcenas, portant vieux beau avec ses costumes bien coupés, ses cheveux gominés, son teint hâlé, est entré au PP à 26 ans. Il a collaboré avec tous les trésoriers avant de le devenir lui-même en 2008. Un bon choix, si l’on en croit la manière dont il a fait prospérer son propre patrimoine. Patrimoine certes placé en Suisse – donc non déclaré – mais qui a atteint 30 millions d’euros, grâce à des opérations boursières et des investissements immobiliers, d’après lui. Rien à voir donc avec sa fonction de trésorier du PP !
Distribution d’enveloppes
Mais quand El Mundo révéle que des dirigeants du PP ont reçu pendant vingt ans des compléments de salaires non déclarés provenant d'entreprises privées, là Barcenas est directement mis en cause dans la distribution d’enveloppes. Et quand El Païs en remet une couche en publiant des comptes manuscrits de 1990 à 2008, établis par Barcenas et Alvaro Lapuerta, comptes qui font apparaître que l’actuel 1er ministre touchait 25 200 € annuels (en plus de son salaire de chef du parti) et que l’on note que Dolores Cospedal sa n° 2 ou Ana Mato, ministre de la santé avaient aussi droit à leur enveloppe, ça fait désordre.
"Je le dis, c'est une manipulation grossière", a clamé Bàrcenas, interrogé par la chaîne de télévision Antena 3. "Il n'existe pas et il n'a jamais existé de carnet secret" !
Le PP a également démenti que Rajoy en ait palpé. Mais c’est lui qui l’avait nommé trésorier. Après son inculpation dans l’affaire Gürtel, il ne lui a jamais demandé de démissionner. Mieux, c’est le PP qui lui payait un avocat et il gardait bureau au PP et voiture de fonction. En avril 2010, il aurait été chassé de tout rôle au sein du PP.
Coup de théâtre : Bàrcenas vient de porter plainte pour licenciement abusif. Loin d’être viré en 2010, il a continué à percevoir 21 300 € mensuels, jusqu’au 31 janvier 2013, comme consultant ! Quels secrets détient-il pour avoir été gardé au chaud au sein du PP ? Et quelle vengeance exerce-t-il en révélant ainsi que la n° 2 du PP, María Dolores de Cospedal, a menti en affirmant qu’il n’avait plus rien à voir avec le parti ?
L’Espagne, l’autre « homme malade » de l’Europe ?
Rien d’original penseront des mauvais esprits : rétro-commissions diverses, valises d’argent de la françafrique (merci Bongo et les autres) sans revenir à des emplois fictifs et autres menus mini-affaires style Woerth-Bettencourt, la France n’est pas avare de scandales politico-affairistes. Et ils alimentent aussi les vieilles racines poujadistes (qui remontent à bien avant le papetier de Saint-Céré).
Sauf qu’en Espagne, outre une vie démocratique encore récente, ces scandales viennent se greffer sur des forces centrifuges : des élus catalans appellent à l’auto-détermination vers l’indépendance. Et la situation économique est encore pire qu’en France ou en Italie avec un système bancaire pourri mais néanmoins prédateur, des régions en faillite, un quart de la population active au chômage, plus de la moitié des moins de vingt-cinq ans… et donc un PP hégémonique mais totalement déconsidéré.
Plus d’homme d’état comme Adolfo Suárez et surtout Felipe González et le roi du 23 février 1981 s’est déconsidéré. La rigueur s’est ajoutée à la rigueur dans une spirale à la grecque. Rajoy a autant de charisme qu’une planche à repasser. Son parti est miné par des querelles internes.
Le mouvement des Indignados (ou Mouvement 15-M car né le 15 mai 2011 à la Puerta del sol) a pour seul point commun avec le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, le bouffon italien, le rejet du système politique et en particulier du bipartisme PP-PSOE ; loin d’être né d’un leader aux propos quelque peu suspects, il repose sur des assemblées générales et sa démarche est non-violente. Il se réclame du petit livre de Stéphane Hessel Indignez-vous ! et se réfère aux Printemps arabes. Loin de la xénophobie, des groupes se mobilisent contre les expulsions d’étrangers. Leurs actions pèsent aussi contre les banques qui virent de leur logement les personnes insolvables tout en continuant de leur demander des remboursements. Et ces indignados ne risquent pas de surgir dans de futures élections, puisqu’ils refusent le jeu électoral. Mais ce refus – ô combien compréhensible – profite surtout à une droite appuyée par une église non dé-franquistée.
Une monarchie fragilisée, un premier ministre en danger s’il est prouvé qu’il a menti et touché des enveloppes, une Catalogne sécessionniste et une large fraction des citoyens rejetant une démocratie représentative en échec, sur fond de chômage massif, beaucoup d’ingrédients sont réunis pour faire de l’Espagne, autant que l’Italie, l’homme malade de l’Europe.
* Une vingtaine d’entreprises, liées à Francisco Correa (alias Gürtel) auraient bénéficié de traitements de faveur de la part des communautés autonomes de Madrid et Valence, de Castilla y Leon et de Galice, gérées par le PP.
Ci-dessous, le shéma de la corruption
"Chorizo" désigne, en argot, un voyou, un escroc (il se met au féminin : choriza)
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