Tablo-grapho maniaque, je fus, autrefois, un praticien des Indicateurs pour le pilotage des établissements secondaires (IPES), des plus convaincus. Et comme j’ai le cerveau lent, Jean-Claude Emin, un des maîtres d'oeuvre de ces IPES, peut témoigner de mon assiduité à conférence, séminaire et stage sur le sujet. J’ai quand même réussi à en tirer un site (personnel d’abord puis incorporé dans un site académique) sur les outils pour piloter l’EPLE. Obsolète bien sûr. Et voilà qu’au hasard d’un coup d’œil sur le Huffington Post, je suis tombé sur une article d’une ex-collègue, mais bien plus prestigieuse, Madame Katia Blas*, « Qui, encore, pour croire au classement des lycées? » (08/04/14), qui a ranimé ma flamme IPESsienne.
Eternel marronnier, les résultats complets du bac dans tous les établissements de France. Autrefois, du temps du Monde de l’éducation, la légende disait que le mensuel faisait la moitié de son chiffre de ventes annuel sur le « palmarès du bac ». L’Express, entre deux numéros sur les francs-maçons, renifla le filon.
Le ministère sous l’impulsion de Claude Thélot, sauf erreur, et d’une équipe de la DEPP mettant sur pied une batterie d’indicateurs de pilotage pour les établissements secondaires (IPES), tenta de dépasser le stupide « palmarès » qui faisait que les grands lycées – Henri IV, Louis-le-Grand, etc. à Paris, Clemenceau à Nantes, Corneille à Rouen… - au recrutement dans les quartiers huppés ou des établissements privés qui pratiquaient le tri sélectif (sélection à l’entrée, élimination en cours de route) soient en tête du palmarès. L’ambition des trois indicateurs était même de jeter ce classement ridicule à la poubelle.
Il n’en a rien, été, bien sûr. Ainsi voit-on, L’étudiant, à partir des trois indicateurs du ministère, mettre des coefficients, noter sur 20 et faire la moyenne. Son classement, favorable au privé, permet de noter que les établissements baptisés « Saint-Joseph » ont une chance de cocu. Le Parisien, lui, ne retient que la valeur ajoutée sur le 1er indicateur, le résultat au bac. Enfin, chacun fait sa petite salade pour délivrer son classement national ou régional.
Mais que sont donc ces indicateurs ministériels qui tombent fin mars ? et quelle est donc cette « valeur ajoutée » ?
Trois indicateurs : les résultats au bac bien sûr, le taux d’accès de la seconde et de la première au bac, la proportion de bacheliers parmi les sortants de l’établissement à tout niveau. Et les trois indicateurs sont comparés à des moyennes académiques et nationales qui tiennent compte de l’âge, de la PCS d’origine et des résultats au brevet des collèges (DNB). En comparant les résultats du lycée avec ces moyennes on détermine une valeur ajoutée** (ou soustraite). Passons sur la méthode de calcul, on peut faire confiance aux statisticiens de la DEPP. Reste évidemment le recueil des données. Fiable à 99,99% pour l’âge, à peu près autant pour le Brevet, mais plus suspect pour la PCS (Profession et catégorie sociale ex CSP).
C’est ce qu’objecte Mme Katia Blas (ex-proviseure) : « Quand le métier du père est déclaré « peintre », s'agit-il d'un milieu artistique, d'un ouvrier peintre en bâtiment ou d'un patron d'une entreprise de peinture ravalement? » Outre qu’il est peu probable que le Picasso ne précise pas qu’il est artiste et que le patron ne le dise pas non plus, les PCS sont regroupés dans de grands agrégats qui font que si la secrétaire coche O.P. pour opérateur alors qu’il s’agit d’une appellation nouvelle pour les O.S., cela ne changera rien. On pourrait objecter que d’autres facteurs sont aussi, voire plus pertinents pour influer sur la réussite scolaire, comme le niveau d’études de la mère ou la place dans la phratrie. Mais la DEPP a voulu justement utiliser des facteurs robustes et disponibles.
Mais Madame Blas va plus loin : « Un indicateur introduit par le ministère pour contrecarrer cette pratique [obtenir un taux élevé de réussite brute en éliminant des élèves] a été "l'indice de stabilité dans l'établissement", c'est-à-dire que le taux de réussite au bac est corrélé au nombre d'élèves entrés en seconde... Astucieux? Oui, sauf que le nombre d'élèves de seconde pris en compte N'EST PAS celui de N-2, mais celui de l'année en cours et défavorise ainsi les établissements qui grossissent. ».
Ayant commis pour mon académie, il y a une quinzaine d’années un morceau de site internet consacré aux IPES (disparu corps et biens), j’ai eu quelque peine à reconnaître ce prétendu « indice ». Avant de replonger dans mon obsolète production, j’ai eu recours au site ministériel. Le descriptif de l’indicateur sur le taux d'accès au baccalauréat n’a qu’un rapport lointain avec l’indice qu’elle a inventé. Indice d’ailleurs que chaque établissement, s’il fait un suivi des cohortes d’élèves, peut calculer lui-même : que deviennent les élèves que j’accueille en 6e pour un collège, en 2de pour un lycée à N+1,2,3,4, voire plus, si affinités ? (Dans les années 60, le vénérable Lycée David d’Angers dont je vous laisse deviner la localisation, lycée de centre-ville, a su mener jusqu’au bac un gars de mon bled en 6 ans, deux secondes, deux premières, deux terminales).
Cohortes fictives, mais vrai indicateur !
Mais s’agissant de ce taux d’accès, il s’agit de « cohortes fictives ». Il calcule le taux d’accès brut d’un niveau à l’autre. Par exemple, sur 100 élèves de seconde 87 passent en 1ère et 11 redoublent ; sur 101 en 1ère, la même année, 84 passent en terminales et 3 redoublent, et sur 87 en terminales 76 ont le bac et 9 redoublent, on calcule un taux brut de 2de en 1ère, en divisant 87 par 89, c’est-à-dire par le nombre total d’élèves de seconde (100) moins les doublants (11) et ainsi de suite. La multiplication des trois taux d’accès bruts donnera le taux d’accès brut global de la seconde au bac, ici 0,82, autrement dit l’élève de seconde de ce lycée a 82% de chances d’avoir son bac en restant dans ce même lycée.
Les explications qu’elle dit avoir eu du ministère soit elle les avait mal comprises soit elle n’avait pas voulu les comprendre.
Là encore, on peut objecter que les taux bruts observés la même année peuvent être démentis en fait deux ans après pour l’élève de seconde. L’indicateur ne se veut pas prédictif mais diagnostique. En cas d’écart significatif et négatif avec ce qu’on peut attendre, il doit logiquement amener à corriger le tir.
Il ne s’agit bien sûr pas de « croire », il s’agit de se situer et d’analyser. Ces indicateurs bacs ont certes eu pour but premier de mettre fin à un palmarès brut de brut des taux de réussite au bac qui faisaient donc que les « grands » lycées qui recrutaient dans les quartiers les plus huppés ou les établissements privés qui triaient et éliminaient étaient au sommet du palmarès. Ils répondaient en même temps à une nécessité en démocratie qui est de rendre compte.
Leur but aussi, comme l’ensemble des indicateurs, est d’aider les établissements à y voir plus clair et, s’il le faut à corriger la trajectoire.
Il ne les dispense pas d’avoir leurs propres outils pour essayer de mesurer leur valeur ajoutée en joie d’apprendre et plaisir d’enseigner de leurs élèves et enseignants, par exemple.
* Katia Blas, professeur d’Allemand, puis personnel de direction, a connu la redoutable épreuve de diriger le Lycée Balzac à Paris.
Balzac est un établissement contrasté, "car, même si on se refuse à l'admettre, deux établissements coexistent en un", expliquait-elle au Monde. D'un côté un collège-lycée de quartier, avec 60% de réussite au brevet et au baccalauréat. De l'autre, un collège-lycée international, avec des sections espagnole, allemande, anglaise, italienne, arabe et portugaise, sélectionnant des adolescents bilingues, frôlant les 100% de réussite au baccalauréat et raflant les mentions. Pour encadrer, une majorité de professeurs de l'éducation nationale côtoit des enseignants recrutés et rémunérés par leurs ambassades dans les sections portugaise, espagnole et italienne.
Conformément à sa lettre de mission, K. Blas a voulu "Mettre en articulation les sections internationales et les sections générales. Doter Balzac d'un projet fondé sur la mixité scolaire et sociale. Autrement dit, répartir les bons élèves dans toutes les classes, faire disparaître les classes poubelles."
A peine eût-elle émis cette volonté qu’elle fut ignoblement descendue par « Causeur » dans un article qui est un condensé d’abjections. Dénonçant, le cancer de la bien-pensance égalitariste qui ronge la société française, il décrit le Collège-Lycée Honoré de Balzac (Porte de Clichy à Paris) comme formé pour moitié d’élèves bilingues, qui intègrent Balzac en 6e grâce à leur maîtrise parfaite d’une langue étrangère et à un dossier scolaire immaculé, pour l’autre des élèves issus du quartier avec un fort pourcentage de cancres en difficulté. Parmi ces cancres, il y a bien entendu quelques brutes encagoulées qui n’hésitent pas à mettre des baffes aux « bouffons » des classes internationales, voire à leur piquer leurs Choco BN, quand ce n’est pas leur portable. Avec un aplomb digne d’un Benoît Hamon expliquant son projet « d’égalité réelle », Madame Blas s’est émue des différences de résultats entre les classes « d’élite » (93% de reçus au brevet) et les classes générales (à peine 45%). Pour la proviseure l’idée même de classes d’élites est insupportable. Comme de bien entendu, le mot « discrimination » fait partie de son vocabulaire. Mme Polony du Figaro s’est empressée de faire écho à ces saloperies.
A la rentrée suivante, Mme Blas a tenté de mixer les 6e, par exemple, 16 de Section Générale dont 6 bilangue (c’est-à-dire démarrant simultanément les deux langues dès la 6e) allemand-anglais, 11 de Section Internationale anglais. Elle a été balayée en novembre par une longue grève des enseignants et des élèves du lycée. Son successeur s’est empressé de faire marche arrière ne prolongeant même pas les 6e dites mixées en 5e !
Jean-Pierre Obin, inspecteur général honoraire intervenant devant une salle comble de parents sur le thème de la mixité, a été frappé par la virulence de quelques- uns. "J'ai passé une demi-journée à expliquer que mélanger les niveaux, ça profite aux élèves les plus fragiles sans pénaliser les meilleurs... et rien, dans mon exposé, n'a retenu leur attention, se souvient-il. Je reste persuadé que pour certains, la solution passe par la scission pure et simple de l'établissement." (Le Monde)
** Valeur ajoutée : Il ne s’agit pas de comparer, bien sûr, avec une moyenne brute, mais avec une "référence", une moyenne recomposée : quel résultat auraient eu mes terminales s’ils avaient tous obtenus la moyenne académique ou nationale correspondant à leur âge, PCS et résultats au brevet ? Si le résultat réel est supérieur à telle ou telle référence, il y a « valeur ajoutée ».
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