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4 novembre 2008 2 04 /11 /novembre /2008 11:27

L'expresso du 1er novembre épinglant un avis parlementaire qui porte essentiellement sur les personnels de direction a incité l'ex-PdD que je fus à lire ce texte.

 

L'avis de Frédéric Reiss[1] sur l'enseignement scolaire, dans le cadre du projet de loi de finances, est un document apparemment solide. La commission dont il est issu a multiplié les auditions (syndicats y compris lycéens, parents d'élèves, un IGEN, un directeur de l'administration centrale, plus deux déplacements à Lille et Rennes).  Les références documentaires sont peu nombreuses, mais de qualité. Cependant l'effet chef d'établissement sur la réussite des élèves repose sur la conviction du rapporteur et non sur des travaux scientifiques précis[2]. Rapporteur qui mettra sur le même plan des propos qu'il a pu échanger avec un directeur d'école et l'audition en commission d'un IGEN. Surtout, il tombe dans un défaut qu'il pointe pourtant, à propos de l'évaluations des personnels de direction du secondaire, celui de ne prendre le pilotage des établissements que sous l'angle individuel du seul chef d'établissement.

 

Le charisme prêté, à juste titre, à certains chefs d'établissement est une curieuse alchimie. Il y faut une personnalité empathique (sens de l'écoute, du dialogue ...), mais si on en reste là, au mieux, ce chef fera régner, comme on dit, une bonne ambiance.  Il faut y ajouter des convictions, une ligne directrice, qui feront que les inévitables compromis ne compromettront pas l'atteinte des objectifs fixés. Et, pour avoir eu la chance de travailler, comme adjoint,  avec deux personnalités charismatiques, je peux témoigner que le contexte joue un rôle non négligeable. L'une s'est retrouvée à la tête d'un collège où le PC-SNES dominait chez les enseignants (et où il avait maintenu à flot cet établissement d'une banlieue ouvrière avec le chef d'établissement précédent qui s'était bunkérisé dans son bureau), l'autre dans un nouveau collège avec  des enseignants jeunes et/ou volontaires. L'impulsion qu'a pu donner d'entrée le second contrastait avec la lente reconquête du pilotage qu'a dû mener avec intelligence et ténacité la première.  Mais, ce charisme finit par s'user.  Si l'une a su changer d'horizon, l'autre s'est sans doute essoufflé en restant  à la tête du même établissement.

 

Et plutôt que de charisme, on est en droit de demander aux personnels de direction du professionnalisme

Qui dira qu'un emploi du temps peut handicaper ou favoriser la réussite des élèves ? La tentation est grande, pour acheter la paix interne,  de favoriser les vœux des enseignants, selon le principe cynique que les élèves passent et les profs restent. Et c'est tout un art, qui repose certes sur des acquits techniques mais aussi sur une vision pédagogique, que de mettre en place des emplois du temps équilibrés pour les élèves, tout en prenant en compte, au mieux, les demandes des enseignants qui, comme tout salarié, sont en droit d'espérer des conditions de travail optimales.

Ne parlons pas d'actes tout autant, sinon plus, pédagogiques comme la répartition de services, préalable à la fabrication de l'emploi du temps, ou la constitution des divisions. Classes « Camif » ou classes également hétérogènes :  choix capital, avec, en parallèle celui de la constitution des équipes d'enseignants. Et ne croyons pas que ces choix obéissent à une logique manichéenne. La création de classes de 6e avec deux langues vivantes peut viser  à sauver l'Allemand LV1 (mais son effet pervers peut être de faire une « classe de niveau »). Faut-il tendre à regrouper les enseignants les plus dynamiques  pour favoriser le travail d'équipe quitte à confier les autres classes à des enseignants plus routiniers ? 

 

Surtout, « l'établissement scolaire est un jeu collectif »[3]. Cet avis souligne l'importance et la montée en puissance du conseil pédagogique. Il peut en effet permettre un véritable « maillage de l'établissement » avec des « missions négociées »[4].

Autrement dit le mythe du chef d'établissement omnipotent (ou déficient) a vécu. Diriger un établissement scolaire n'est plus (s'il l'a jamais été) un exercice solitaire. L'équipe de direction restreinte (chef, adjoint, gestionnaire, CPE, chef de travaux) ou élargie (responsables de niveaux ou de projets, par exemple, avec parfois les professeurs principaux et coordinateurs de disciplines) forment l'exécutif d'une EPLE où le mille feuilles des diverses instances devrait ne laisser place, outre bien sûr le conseil pédagogique, qu'au Conseil d'administration avec des commissions qui en émaneraient (un peu sur le modèle des conseils municipaux) mais non réservées aux seuls élus du C.A. : une commission budget animée par le gestionnaire pourrait impliquer des parents d'élèves, hygiène et sécurité ne serait plus comme trop souvent l'objet d'une commission purement formelle, la dotation globale ne serait plus que le casse-tête du chef et de son adjoint, etc. Autrement dit, on passerait de structures formelles à des structures fonctionnelles qui contribueraient à donner à l'autonomie de l'EPLE une substance. A qui peut-on faire croire qu'un micro-collège de 200 élèves ou moins doit compter (au CVL près qui mérite un sort à part) le même nombre d'instances qu'une cité scolaire de 2000 élèves ou plus ?

 

Grand sujet qui fâche, le pilotage par les objectifs ! Le raisonnement de la commission n'est pas faux : la rançon d'une véritable autonomie des EPLE est bien une évaluation sur les performances. Que cette évaluation ne porte que sur les acquis des élèves peut être contesté, mais l'évaluation même reste incontournable. Et l'exigence que les indicateurs ne soient pas que quantitatifs est irréfutable, même si il est surprenant de lire que seule l'académie de Toulouse s'intéresserait à la différence entre les taux attendus et observés de réussite scolaire (notions introduites dans les IPES[5]). Mais l'exemple pris des contrats d'objectifs est celui même d'une excellente idée... sur le papier.

En effet, le chef d'établissement reçoit une lettre de mission sur trois ans, ce contrat est sur cinq ans. Ledit chef peut changer d'adjoint dans les trois ans et quitter l'EPLE avant cinq ans. L'optique très individualiste de l'avis devient un peu surréaliste : comment  ajuster lettre de mission et contrat d'objectifs ? comment imputer à un chef d'établissement arrivant en cours de route des objectifs non atteints ? Poser ces questions (et sans doute beaucoup d'autres) ne permet pas, pour autant, d'évacuer la question de l'évaluation des performances.

 

Le directeur d'école, pour le moment, ne ressort pas des personnels de direction. Il est le « Primus inter pares ». Dans une comparaison sportive, il serait le capitaine de l'équipe qui mouille son maillot comme les autres sur le terrain. Sauf que, on l'accable en sus de tâches diverses qui relèvent plus d'un secrétariat que d'une « direction ». Sauf que, aussi, le « coach » comme disent les footeux, l'IEN, a X équipes à manager. Parler, en l'occurrence, de surencadrement  est paradoxal (en moyenne, 1 IEN pour 230 professeur des écoles et pour une quarantaine d'écoles).

 

La création d'EPEP, que préconise le rapporteur, est excellente... sur le papier. Sur le modèle des EPLE, obligatoire dès quinze divisions, possible dès treize, elle s'inscrit dans une logique cartésienne classique. Mais postule, a priori, l'inefficacité des petites structures de 1 à 3 classes (20 000, maternelles comprises). Surtout, elle s'inscrit encore dans la logique individualiste d'un directeur thaumaturge. Reprenant un « constat » de la commission Pochard, l'avis déplore le manque d'esprit collectif dans le primaire, les démarches collectives y « restent... insuffisantes pour permettre la prise en charge différenciée des élèves ». Mais l'enseignement du primaire n'est pas balkanisé en disciplines (qui donnent naissance à des associations dites de spécialistes, au rôle souvent rétrograde), nécessitant des instances fédératives. Outre qu'il n'est pas si sûr que le conseil des maîtres fonctionne aussi mal que le dit le rapporteur, en s'appuyant sur un témoignage de directeur d'école, ne faudrait-il pas essayer d'inciter à un fonctionnement plus collectif.  A quelque chose, malheur est bon : la baisse des horaires du primaire doit permettre un travail collectif réel. Plutôt que de plaquer une structure du secondaire sur le primaire, chercher des solutions plus souples, ne serait-ce que pour les adapter au contexte géographique et démographique (un réseau d'écoles rurales est plus facile à faire vivre dans des régions de plaines ou plateaux que dans des zones montagneuses, par exemple). Et, sans aller jusqu'à l'école du socle commun (du CP à la 3e), pourquoi ne pas encourager des convergences écoles-collèges ?

 

Un IGEN (cité d'ailleurs dans le rapport) racontait autrefois cette anecdote : visitant deux établissements lyonnais, il avait assisté à la récréation  à peu près au même épisode, une bagarre violente entre deux élèves, dans un cas les enseignants faisaient semblant de ne rien voir et filaient vers la salle des profs, dans le second, ils intervenaient aussitôt ne pensant pas déroger ce faisant.

Suffirait-il d'un chef charismatique pour faire sortir les premiers de leur conception très étroite de leur métier (c'est pas mon boulot, mais celui des surveillants) ? Croire comme le fait le rapporteur que des « chefs », aussi bien sélectionnés et formés fussent-ils, peuvent seuls insuffler le sens du travail collectif semble un peu illusoire. Sans pouvoir le démontrer, je ne suis pas persuadé que dans le primaire l'instauration d'un directeur à temps plein soit vraiment bénéfique. Au contraire  je suis tenté de penser qu'il serait même préférable, quand une possibilité de décharge complète existe, de la répartir sur deux têtes pour que le directeur garde l'autorité du praticien auprès de ces collègues. Mais j'avance sur un terrain que je connais mal, l'ex-instit que je fus n'ayant fait qu'un très court et lointain passage en primaire.

 

Pour autant, je ne pousse pas le masochisme jusqu'à nier qu'un chef d'établissement ou mieux qu'une équipe de direction[6] puisse jouer un rôle non négligeable dans « la qualité de la vie scolaire » de l'établissement et donc instaurer un climat propice à l'action pédagogique. Si ce chef ou cette équipe anime avec professionnalisme les conseils de classe, avec des outils permettant de sortir de « l'absolutisme » de moyennes en les relativisant, par exemple, il se peut que les diagnostics s'améliorent. Et il arrive même que le hasard des nominations forme un attelage chef-adjoint capable de transformer en profondeur un établissement en révélant les potentialités latentes et en déclenchant une dynamique. Mais cela ne peut se faire sur le seul plan émotionnel : il y faut une force de conviction, une stratégie et du temps.

 

Alors effet chef d'établissement ?

Comme dans chaque profession, il existe des personnels de direction extraordinaires (au sens propre), en 18 ans de carrière de PdD, j'en ai croisé quelques uns, mais ils ne sont pas légion. En revanche, par fonction, les membres de l'équipe de direction sont les seuls qui peuvent avoir une vision globale de l'établissement. S'ils n'ont pas à partager ce qui ressort de leur responsabilité tout aussi globale et en même temps si parcellisée (et c'est en cela qu'ils sont hommes orchestres faisant face avec le gestionnaire, le CPE, l'AS, etc. - seuls parfois aussi, souvent - aux multiples aléas de la vie de l'EPLE), ils doivent s'efforcer de faire sortir la tête du guidon à chacun et à tous : le prof de sa discipline, le gestionnaire des problèmes d'intendance, etc

 

Ce pourrait être cela "l'effet chef d'établissement".

 

 


 

[1]  Avis de la commission des affaires culturelles familiales et sociales sur le projet de loi de finances pour 2009, rapporteur Frédéric Reiss

[2] De manière empirique, on peut cependant le constater, au moins négativement : si le redressement d'une situation dégradée dans un collège, demandant du temps et de la persévérance, sera difficilement crédité au chef d'établissement, dans le cas inverse la paternité lui en sera facilement attribuée.

[3]  « L'établissement scolaire : un jeu collectif » J-Y Langanay et C. Rebaud Hachette éducation

[4]  « Diriger un établissement scolaire L'exigence du possible » J. Fouque Hachette éducation

[5]  IPES : Indicateurs pour le Pilotage des Etablissements Secondaires

[6]  Charisme ou pas, on n'est pas loin de l'héroïsme dans certains collèges (derniers bastions du service public dans le secteur) où personnels de direction et gestionnaire sont les seuls à habiter le quartier dans leurs logements de fonction ! Collèges qui, vaille que vaille, poursuivent leur mission grâce notamment à ces chefs et adjoints capables de cristalliser la solidarité de tous.

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commentaires

J
Reçu par courriel :<br /> "L’efficience de quelque responsable que ce soit dépend d’abord du cadre juridique dans lequel on lui permet d’évoluer. Comment agir auprès des enseignants alors que son statut de chef d’établissement ne lui reconnait pas la compétence pédagogique ? Faut-il seulement compter sur du charisme, de l’influence, de la veulerie, ou l’achat des consciences pour parvenir à ses fins ? A mon sens L’éducation Nationale a trois missions, éduquer, former et insérer. Tant que les statuts des personnels n’intègreront pas ces trois dimensions, le mal vivre et l’ambigüité du mode de fonctionnement des établissements persisteront. Le statut des gestionnaires intendants doit évoluer leur donnant le rang d’adjoint administratif chargé de l’ensemble de la gestion administrative de l’établissement déchargeant d’autant le chef d’E. pour le consacrer entièrement à son rôle d’animateur du projet pédagogique de son établissement, dimension reconnue dans son statut au même titre que sa capacité à inspecter et à évaluer à l’égal des prérogatives des corps d’inspection IA IPR. Tant qu’une réflexion de fond menée sur le fonctionnement de l’EPLE ne sera pas menée à l’initiative de l’Etat avec toutes les parties prenantes, toutes les catégories professionnelles présentes dans la communauté scolaire, mais aussi les élèves et les parents pour déboucher sur une redéfinition précise du rôle de chacun coulée dans son statut nous vivrons ces à peu près qui obligent les chefs d’établissement à être au mieux ces funambules artistes, au pire ces éplucheurs de dossiers terrés dans leurs bureaux." Daniel Tran
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