La nouvelle édition (Canal +) s’est livrée à une drôle d’opération en accueillant une prof et une mère d’élève d’un collège de Clichy-la-Garenne. Non pas qu’il soit scandaleux de leur part de protester contre le déclassement de leur collège. Mais parce que, outre une séquestration du principal filmée dans des conditions humiliantes, la séquence fut totalement à charge, le présentateur en rajoutant dans les accusations contre la Ministre de l’Education Nationale.
http://www.canalplus.fr/c-infos-documentaires/c-la-nouvelle-edition/pid6850-la-nouvelle-edition.html?vid=1184952
Le collège Jean Macé a donc eu les honneurs de La nouvelle édition le mercredi 17/12/2014 pour illustrer la réforme de l’éducation prioritaire lancée par la Ministre de l’Education nationale. Sorti de la carte, on peut comprendre que ses représentantes – une prof de lettres et une mère d’élève – soient mécontentes. On peut comprendre aussi qu’elles ne soient pas toujours d’une parfaite objectivité. On comprend moins bien qu’apparemment Ali Badou n’ait pas bénéficié d’une fiche un peu plus fournie. Et que, dans son style de prédilection de l’étonnement indigné – mais comment se fait-ce qu’alors que la ministre promet plus de moyens elle vous en enlève ? demande-t-il en substance – il donne dans le Najat-bashing.
Et surtout, l’équipe de l’émission a pu regarder sans broncher une assez pénible séquence où l’on voit le principal filmé, séquestré dans son bureau, dans une position humiliante. Séquence largement attentatoire à sa dignité. Diffusée sur les réseaux sociaux. Complaisamment reprise par les chaînes d’infos en continu (BFM, I-Télé) mais filmée par les enseignants geôliers d'une nuit eux-mêmes.
NB La photo est tirée d'un touitte @Maceendanger, le principal est donc filmé dans une position inférieure sur un lit de fortune avec trois preneurs d'images et de son qui le dominent.
Un principal ou un proviseur, même s’il est parfois ainsi nommé affectueusement ou ironiquement par les personnels de son établissement, n’a rien à voir avec un patron d’entreprise. Il n’a évidemment aucun pouvoir de licencier qui que ce soit. Il n’a même pas de véritable autorité statutaire sur les professeurs : ce qui se passe en classe n’est, en principe, que de la compétence des inspecteurs qui ne viennent que très rarement et en avertissant une semaine avant. Il est d’ailleurs au premier chef concerné par le volume d’heures – la dotation horaire globale DHG – attribué au collège ou au lycée qu’il dirige.
Les personnels qui ont séquestré ce principal se la sont jouée cégétistes de Goodyear, mais là ce n’est ni la boîte qui va fermer ni leur emploi qu’ils risquent de perdre. Un plagiat infantile d’une pratique déjà contestable. Avec pratiquement aucun risque de poursuites que le Recteur se gardera bien d’engager.
Mais l’essentiel n’est-ce pas est que ça bouzze. Splash !
DONNER PLUS Á CEUX QUI ONT MOINS
« Donner plus à ceux qui sont défavorisés pour rétablir l’égalité réelle » c’est le principe de base de cette éducation prioritaire lancée dès son arrivée à l’éducation nationale par Alain Savary*.
Plus de trente ans après, il reste malheureusement toujours d’actualité, puisque d’enquête PISA en enquête PISA, Le poids du déterminisme social est en France loin de diminuer se creuse. Le bilan des ZEP n’est donc pas a priori très satisfaisant. A cela, on peut rétorquer que le « plus » n’est pas suffisant et surtout que les enseignants qui y sont affectés sont pour beaucoup débutants à cause d’un fort turnover. La carte des ZEP s’est agrandie en 1989-90, sans qu’on touche aux ZEP lancées en 1982 et depuis les modifications ne se sont faites qu’à la marge (ou dans une complète dérive avec les « internats d’excellence »). D’où la décision de remettre tout à plat. Des critères objectifs, des moyens renforcés, une attractivité des postes (primes, mais surtout avancement) améliorée pour stabiliser les équipes…
Premier critère donc les catégories socio-professionnelles des parents : la parente rétorque que, certes la zone de recrutement n’est pas formée que de CSP défavorisées, mais les CSP + désertent le collège public pour le privé (ou, ce qu’elle n’ose dire, les dérogations). Le second est la proportion de boursiers : là elle objecte que des familles éligibles aux bourses, faute d’information, ne remplissent pas les dossiers. Là, l’objection est fragile car il est peu probable que ce phénomène, pour autant qu’il soit significatif, ne touche pas des familles d’autres secteurs.
Mais sur le troisième critère évoqué par A. Badou, la part d’élèves entrant en 6e avec un an de retard ou plus, la prof s’est lancée dans une diatribe sur les redoublements qu’on interdisait pour raisons d’économies, allant jusqu’à oser dire « J’ai claqué la porte du conseil de classe ! » à cause de cela, démontrant sa méconnaissance totale de l’inutilité globale des redoublements et une conception des plus singulières de ses obligations professionnelles. Comme porte-parole, ses collègues ne pouvaient rêver pire.
Personne n’a réagi sur le plateau. Bien qu’en fait l’enseignante n’ait pas répondu sur ce critère (il ne s’agit pas des redoublements en 6e,mais avant). Et la fiche de l’animateur ne devait pas indiquer que la France, bien que battant des records de redoublements parmi les pays de l’OCDE (PISA 2009 : 39% de redoublants à 15 ans, contre 13 % en moyenne des pays concernés) est à un rang très médiocre dans ses résultats.
On a eu droit pour conclure, avec le ricanement approbateur d’A. Badou, à l’invitation à la Ministre de prendre ses classes une journée. Car les ministres, c’est bien connu, ne connaissent rien à la réalité du terrain. La prof nous a même appris qu’un collège de Clichy qui, lui, venait de bénéficier** du classement REP, soutenait leur action. Et pour conclure, une petite observation sournoise du présentateur sur l’habileté de la Ministre qui annonce ces décisions « à la veille de vacances ».
Répétons-le, il n’est pas étonnant ni scandaleux que les établissements sortis de la liste des prioritaires ne l’acceptent pas de gaieté de cœur. Il n’est cependant pas sûr que celui qui était invité ne le fût pas pour de très mauvaise raisons. Et il est sûr que le téléspectateur, peu au fait, des décisions prises pour la réussite des élèves, en auront une image négative. D’autant plus qu’elles n’ont jamais été présentées.
Rappelons d’abord que les établissements qui ne relèveront plus de l’éducation prioritaire bénéficient d’une clause de sauvegarde : pendant trois ans, les enseignants verront leur régime indemnitaire spécifique maintenu. La remise à plat, après plus de 30 ans, n’est a priori pas scandaleuse. D’autant qu’elle repose sur quatre critères relativement objectifs. Qu’elle apporte un plus en moyens notamment pour la concertation des équipes d’enseignants. Avec un coup de pouce aux primes et le maintien d’avantages en avancement. Et ces REP ne sont qu’un élément de nouveaux critères d’attribution des moyens non plus seulement au nombre d’élèves mais aussi en intégrant le revenu des familles et les caractéristiques des territoires. Par exemple, l’académie de Lille dont les effectifs en primaire vont baisser aurait dû perdre 20 postes, avec ces nouveaux critères elle en gagnera une centaine !
Toutes les revendications ne sont pas légitimes, et même si elles l’étaient, La nouvelle édition, en l’occurrence, a failli à l’honnêteté intellectuelle en ne les situant pas dans un contexte de moyens globalement accrus pour l’école. En n'instruisant qu'à charge le procès de la Ministre de l'Education Nationale.
* Alain Savary, dont le nom rime avec Ferry, fut sans doute un des plus grands ministres de l’éducation nationale de la Ve République. Mais il fut victime de la bêtise et de la lâcheté.
Chargé par Mitterrand de créer un service public laïque de l’enseignement englobant l’école privée, par la négociation, il arrivera à un compromis accepté par ses interlocuteurs de l’enseignement confessionnel. Compromis saboté par des laïcistes modèle A. Laigniel, dit le Joxe-terrier, avec le silence peu courageux de Mauroy. Résultat, triomphe des tenants les plus acharnés de l’enseignement privé. Manifestation monstre. Compromis à la poubelle.
** Réaction typique de l'Education nationale. Non seulement on ne voit pas les établissements nouvellement intégrés dans les REP clamer leur joie, mais selon l'inoxydable principe qu'on n'habille pas Pierre en déshabillant Paul, ils soutiennent des pauvres exclus.