"Ce qui m’intéresse c’est la passion politique en tant que passion viriliste, phallocratique, coercitive. Et comment on s’en déprend. Ce qui m’intéresse c’est la vie du corps. C’est la psychologie."
Comment ne pas parler d’un individu né à Luçon, et dont la prime enfance a eu lieu à St Michel-en-L’Herm quand, bien que natif de l’Anjou, on a élu domicile dans l’évêché le plus crotté de France ? Surtout que dans les premières pages, il évoque entre autres un Gérard Mercier dont j’ai tout lieu de croire qu’il n’est autre qu’un collègue chef d’établissement (à qui je voue un éternel – enfin n’exagérons pas, disons un profond – ressentiment pour avoir rejeté méchamment mes courriels annonçant les magnifiques articles de mon deblog-notes). D’autant que ledit individu, devenu Nantais fut un soutien indéfectible d’un club dont le fameux jeu – à la nantaise – est la matrice du jeu à la Barça. Et, j’allais l’oublier, il a fait ses premières armes avec un tuteur maoïste au Lycée Chevrollier (Angers) où je fus pion.
Mais de quoi est-il question ? De deux singes ou ma vie politique, de François Begaudeau (eh oui ! rappelez-vous l’auteur et acteur de « Entre les murs »).
Introspection – Begaudeau devenu Chouchou se dit le détective de lui-même - se transformant en quasi-flagellation de soi-même, tout cela dans un bouquin de plus de 400 pages, a priori pas de quoi m’intéresser, moi qui me suis toujours défié de la contemplation de mon nombril, de peur sans doute de n’y voir que du vide.
Tout part d’un singe – Boubou – ramené clandestinement par un oncle africaniste et logé au fond du jardin vendéen pour se terminer sur un autre – le même ? – confié au narrateur par une voisine. « Narrateur » car, bien que l’ouvrage ait tous les traits d’une autobiographie avec un récit à la première personne, rien ne prouve qu’il ne soit pas « fictionnel » (et que mon Mercier ne soit pas le collègue dont j’ai dit tout le mal que je persiste à penser).
Entre les deux macaques un itinéraire certes, mais aussi son commentaire par le narrateur à l’auto-flagellation assez complaisante. Fils de profs – le père deviendra chef d’établissement – il participe avec fougue aux épreuves trimestrielles que propose le maître de CM1 : « je me souviens moins du contenu des exercices que de leur verdict, et encore moins des apprentissages qu’ils évaluaient […] Un champion de l’école de la République ne gâche pas son énergie à s’intéresser à ce qu’on lui enseigne. » Le bon élève, s’il échoue à l’oral de Normale sup. pour ne pas avoir voulu déchoir de son rôle de leader de son groupe en faisant la fiesta la veille, sera reçu à l’agrég !
Parents profs mais aussi parents communistes. En 1981, à dix ans, il parie sur Giscard. Il avoue même un racisme dû au caillassage par des ados locaux de la DS familiale au Maroc en 1980 (lapidation qu’on peut supposer rifaine, car Meknès, où ils font étape, et sa région sont fort pacifiques). Mais ces errements seront de courte durée « un goût pour les mots en tant que tels », insufflé par son père, le mène aux plaisirs phrastiques que recèle la politique, à l’orgasme performatif où nomination vaut argument, il accède à « une logocratie où le mot tient lieu de jugement, et de réel » (les pages 82 et 83 forment un remarquable morceau de bravoure).
L’ouvrage est singulier, aussi l’auteur, incidemment, se place sous le patronage de Montaigne. Cette clarification de soi-même est parsemée de formules ciselées, sortes de pensées de Begaudeau. « Je suis d’extrême-gauche parce que je suis extrêmement juste » Mais avec une lucidité tout aussi extrême, le héros avoue que c’est surtout parce qu’il aime l’ouvrir, sa grande gueule. « Le lexique de la déploration est ma première option linguistique (…) Parler et pester sont des quasi-synonymes. » Parmi ses belles formules, celle-ci que je dédie à Clémentine Autain : « On décrète le peuple révolutionnaire sans le consulter puis on lui reproche son manquement au rôle historique qu’on a eu la paternelle libéralité de lui confier. »
On ne déflorera pas cette belle enquête psychologique d’autant que si on partage avec l’auteur l’amour du jeu à la nantaise – Ah Coco Suaudeau tu n’as plus d’héritier ! – le punkrock est terre inconnue. L’auteur tisse son livre avec des citations de morceaux du parolier du groupe Zabriskie Point, qui en était aussi le chanteur, lui-même.
Dans ce qu’il a appelé une « postface » à son livre il évoque « Le gout du rock, ou plutôt la délimitation mentale d’un périmètre nommé rock conjuguée à la conscience que son exploration méthodique serait source de joie et d’émancipation, m’est venue en fin de collège, en même temps que le goût de la littérature, ou plutôt la délimitation mentale d’un périmètre nommé littérature conjuguée à la conscience que son exploration méthodique serait source de joie et d’émancipation. » Rock, pourquoi pas, mais « punk » c’est trop demander à quelqu’un qui appartient à la génération de ses parents, pour lesquels il déploie une tendresse assez vache.
11 septembre, le ressentiment part de bêtise de la gauche (« il n’y a rien à attendre d’une révolte qui s’origine dans le ressentiment », philosophe-t-il à coups de rosé), Le Pen 2002, « La gauche ne déçoit jamais le désir de déception » car « La gauche est la nostalgie anticipée de ce qui ne sera jamais (…) sans cesse la gauche appelle et échoue à sa refondation » « la passion politique est jouissive aussi longtemps qu’elle demeure incantatoire », version pessimiste de ma vision sisyphienne de la gauche « Il faut imaginer Sisyphe heureux » (Camus).
Cet itinéraire du petit vendéen-nantais, passé à la moulinette d’une lucidité un peu masochiste, ne se lit certes pas comme un roman. Il irrite, énerve, provoque ! Mais aussi et surtout il interroge et, sur des événements vécus par tous, offre des points de vue, des éclairages qui ne peuvent qu’intéresser les citoyens conscients que nous croyons être.
Et les deux singes ? Le premier Boubou, en cage, au fond du jardin de St Michel-en-L’Herm, échangeait des grimaces avec «Chouchou », grimaces annonciatrices du factice de son communisme verbal. L’improbable second Boubou, parisien, sauvé de l’ingestion de sa gamelle en plastique, symbolise la vie. Boubou ou la vraie vie !
Deux singes ou Ma vie politique
Collection Verticales, Gallimard 22 €
4e de Couverture
«La France des années 70 est un banquet gaulois où l'on boit et mange en parlant fort sous le regard magnanime de nos hommpolitiques punaisés au mur comme on place un patriarche en bout de table.
Moi je suis à l'autre bout, disposé à imiter ce qui passe, à devenir un adulte comme ceux qui me nourrissent, me servent des grenadines, me reprennent si je jure, me déposent à l'école publique. Bientôt je prendrai leur place, puis celle du patriarche. Une vie se sera passée et dedans il y aura eu de la politique, dès le début et jusqu'à la fin.
Elle ne s'est pas passée comme ça.»
Ni manuel de conduite, ni texte prosélyte, ni justification complaisante, ni examen de conscience, ni autoportrait générationnel, Deux singes ou ma vie politique emprunte à l'ensemble de ces registres, tout en les détournant de leurs lieux communs.
A lire : Pourquoi je ne suis pas devenu un intello de gauche
...et le chanteur ègrène le nom de groupes contemporains avec puta en anaphore (...) ce puta n'est pas une insulte mais un hommage, un salut amical...
Faut-il préciser que la face punk de l'auteur échappe totalement à ma comprenette de jazzophile qui ne jure que par "My favorite things" de John Coltrane ?
A voir aussi :
Finkielkraut et "Entre les murs"
"Entre les murs", F. Bégaudeau et le Nel Obs
Entre les murs et les "pédagogues"
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