Avec “Palme d'or pour une syntaxe défunte” Alain Finkielkraut (Le Monde 03/06/08) nous rejoue la fable d’Esope : le loup déguisé en agneau.
Il s’agit bien sûr de François Begaudeau et d’Entre les murs. Cela démarre sur un ton quasi bénin : « Sa joie [à Begaudeau] fait plaisir à voir ». Mais déjà le mépris transpire avec un « On lui pardonne même son brin de suffisance » (venant du parangon de modestie qu’est notre prétendu philosophe, ça prend tout son sel).
Ensuite, vient le grand couplet classique de la victimisation : non seulement, il n’a pas le triomphe modeste, notre auteur-acteur, mais il l’a acrimonieux et il s’en prend avec aigreur “aux fondamentalistes de l’école républicaine” « qui prônent » “l’approche exclusive de la langue française par les grands textes".
Si l’on lit bien la citation faite par notre indulgent prof de l’école polytechnique, il y a bien l’adjectif exclusive. Il feint évidemment de ne l’avoir point lu, pour, avec cet art consommé de l’amalgame qui fait tout son charme, convoquer Proust, Racine et Balzac, sous entendant très fort que l’agrégé de lettres les récuse.
Un moment de lucidité cependant dans cet autoportrait : « le fondamentalisme est arrogant, catégorique et binaire » ; « le fondamentalisme enferme l'esprit dans le cercle étroit d'une vérité immuable. » Tout-à-fait lui, quand il coupe la parole aux invités de sa propre émission (France culture) pour asséner, avec plus qu’un brin d’arrogance, sa Vérité absolue.
Mais où est passée la syntaxe ? Enfin la voilà : des jeunes filles se plaignent que leur prof les a insultées de pétasses. Dans le livre, comme dans le film, semble-t-il, Begaudeau se bat contre traiter et insulter qui subissent des destins croisés : à « M’sieu, untel il m’a traité » a succédé un « M’sieu, il m’a insulté de con ». Il avoue, avoir cédé, par souci d’efficacité à l’utilisation que l’on suppose ironique de cet insulter devenu transitif.
Alors là, on retrouve notre imprécateur des grands jours : « la civilisation ne demande pas à la langue d'être efficace, d'être directe, de permettre à chacun de dire sans détour ce qu'il a sur le cœur ou dans les tripes […] Naguère aussi, on respirait dans les œuvres littéraires ou cinématographiques un autre air que l'air du temps ».
Amalgame encore : bien sûr que la poésie n’a pas pour vocation d’être efficace, ni d’ailleurs le roman… mais il s’agit là, d’une relation prof/groupe classe dont le cher homme n’a aucune idée qui n’a jamais eu en face de lui, une classe black-blanc-beur de 4e. A-t-il d’ailleurs la moindre notion de ce qu’on appelle les niveaux de langage, sacré nom de dieu, comme écrivait Flaubert dans ses lettres ?
Le ton bénin du début s’emballe vers un pur délire, avec une exécution en règle de Sean Penn (Président du jury de Cannes et donc cause de cette horrible Palme d’or) qui s’achève par cette haute pensée : « l'idéologie règne et veille à ce que notre vie tout entière se déroule entre les murs du social ».
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