PODEMOS après un coup de mou reprend la tête au sondage de janvier 2015. Mais un nouveau venu CIUDADANOS – CITOYENS-Parti de la citoyenneté – apparaît en 4e position. Et son leader, Albert Rivera, est le seul politique espagnol à recueillir plus d’appréciations positives que négatives.
Le Parti de la citoyenneté est apparu en 2006, mais essentiellement en Catalogne. Comme son nom l’indique, il veut une démocratie de citoyens et non de territoires. Son leader Albert Rivera– élu à sa tête par le hasard d’une liste en ordre alphabétique de prénoms prétend un chroniqueur politique – va prendre la tête de liste aux élections catalanes, contre le statut d’autonomie et pour le bilinguisme.
Son affiche est des plus dépouillées et dit bien la philosophie de son parti : seules nous importent les personnes et non où elles sont nées, la langue qu’elles parlent, les sous-vêtements qu’elles portent ! Ciutadans-Partit de la Ciutadania en Catalan va faire 3% aux élections de la Généralité de Catalogne en 2006 mais 7,6 % en 2012.
Aux Européennes de 2014, ils font 3% (2 élus) quand PODEMOS en faisait 8% (5 élus). Les voir surgir dans le sondage de Janvier 2015 à 8 %, en 4e position, devant la Gauche Unie (Izquierda Unida, IU) et Union, Progrès et Démocratie (UPyD) est inattendu. D’autant qu’Albert Rivera, Président de Ciudadanos, est le seul leader politique à afficher un solde positif d’approbation +5 (il est vrai qu’il n’est connu que par 58 % des sondés). Il fait la quasi unanimité dans son parti (+92). Alors que Pablo Iglesias, leader de PODEMOS, connu de presque tous, voit sa cote de confiance devenir négative -13 et s’effriter dans son propre parti (+73).
CIUDADANOS : motivations du choix
Intentions de votes Janvier 2015
Réponses spontanées sur les intentions de vote
Le PSOE, qui avait connu un sursaut en décembre retrouvant presque son score des élections générales de 2011, perd plus de 4 points et régresse en 2e position. En revanche, le tassement connu en décembre par PODEMOS – contre-coup peut-être de sa structuration en parti politique – reprend la tête des sondages. Le PP, plombé par les affaires, après la chute brutale de Novembre, se tasse encore un peu. L’émergence de Ciudadanos, parti laïque de centre-gauche, semble se faire sur le dos des partis autonomistes et du vote blanc, puisque, à peu de choses près, le total IU/ICV+UPyD est le même d’un mois à l’autre.
Le bipartisme, sur lequel a reposé la transition démocratique puis la consolidation de ce régime, semble mort, dans l’état actuel des choses. Le total des intentions de votes PSOE+PP n’atteint même pas le score du seul PP en 2011. Mais PODEMOS, même avec des alliés comme IU/ICV ou C’s n’aurait pas non plus une majorité. Et, il cristallise plus un électorat protestataire que d’adhésion.
A noter que nos sondeurs ibériques donnent les intentions de vote spontanés (ce qu’à ma connaissance ne font pas nos sondeurs hexagonaux) : la cuisine permettant de passer de ces intentions brutes aux estimations est expliquée dans PODEMOS renversera-t-il l’échiquier politique espagnol ?
Un peu moins de pessimisme qu'en janvier 2014...
79% des espagnols – soit 10 points de moins qu’en janvier 2014 – pensent que la situation économique de l’Espagne sera encore pire cette année. Même les électeurs potentiels du PP sont 51% à partager ce pronostic négatif. Se dessine aussi une répartition entre les ultra-pessimistes (IU à 94 et Podemos à 91%) et les pessimistes plus modérés (C’s à 74 et UPyD à 76%) le PSOE à 82% se situant entre les deux.
En revanche, s’agissant de leur situation personnelle les estimations connaissent une inflexion positive, modérée mais claire. Ils ne sont plus que 5%, contre 11 un an avant, à craindre le pire. Plus de la moitié à penser qu’elle sera stable et même 3% de plus à penser qu’elle va s’améliorer. Les plus optimistes sont bien sûr PP, mais aussi, plus inattendus, uPyD (50%). Les plus nombreux à penser que la situation sera équivalente (78%) sont à IU (il est vrai qu’à un certain stade, ça peut difficilement être pire).
Solde des opinions positives et négatives
Sur le plan des opinions positives, le seul à tirer son épingle du jeu est le roi Felipe VI, avec un solde positif de +57 et dans tous les électorats, des moins monarchistes IU avec +8 aux +88 du PP, on trouve Podemos à +31, PSOE +75, UPyD +76 (à noter une inversion sur le tableau du bas entre IU et UPyD), Ciudadanos +85 !
On l’a vu, de tous les leaders de partis, seul celui de Ciudadanos, Albert Rivera, a un solde légérement positif (+5) et c’est aussi celui qui obtient le score le plus positif chez ses potentiels électeurs (+92). Pablo Iglesias qui était le seul légèrement positif en Novembre 2014 (+1), passe en solde négatif (-13) ; chez les électeurs potentiels, il perd aussi 15 points passant de + 87 en novembre 2014 à +72. Pedro Sanchez ne décolle pas (-16), même s’il gagne un peu en crédibilité dans l’électorat potentiel du PSOE (+56 contre +40 en novembre 2014). Si Rajoy est la lanterne rouge avec -50, il améliore son score global (-63 en novembre) et retrouve du crédit au PP passant de +49 en novembre à +70.
NB Juantxo Lopez de Uralde qui apparaît dans ce classement, un quasi inconnu même des espagnols (10%), est le leader d’un nouveau parti Vert (l’autre ICV est allié à IU).
PODEMOS : d'où viennent les électeurs potentiels de ce nouveau parti ?
PODEMOS : un électorat potentiel moins à gauche que son parti ?
D’après El País, les électeurs potentiels de PODEMOS sont majoritairement masculins, avec un travail, un niveau d’études au moins du second degré et résident, toujours majoritairement, dans des villes de moins de 100 000 habitants. Ils appartiennent à la classe moyenne, et comme ceux d’IU, ils se déclarent non pratiquants, agnostiques ou athées. Leur âge moyen est de 43 ans, seuls les électeurs d’UPyD sont plus jeunes, 40 ans.
Sur une échelle qui va de 0=extrême-gauche à 10=extrême-droite, ils se positionnent à 3,9, mais ils perçoivent PODEMOS comme étant plus à gauche qu'eux à 2,8. Ils sont finalement assez proches des électeurs PSOE qui se positionnent eux, en moyenne à 4,2.
Il est vrai que l’électorat potentiel de PODEMOS provient pour un tiers du PSOE+UPyD, donc d’électeurs socialistes ou sociaux-démocrates. Seuls 7% de ces électeurs se définissent comme d’extrême-gauche ou communistes, bien que 16% votèrent IU en 2011.
PODEMOS : motivations des électeurs
La principale motivation du choix des sondés en faveur de PODEMOS reste la déception, le désenchantement à l’encontre du PP et du PSOE.
Cependant l’adhésion aux idées progresse un peu. Et la crédibilté de PODEMOS, la conviction qu’il est une solution fiable pour prendre les rênes du pays, a nettement progressé. Cependant, ce qui prédomine c’est la volonté – apparue dans des sondages antérieurs à l’entrée en lice de PODEMOS – de mettre fin au bipartisme PP/PSOE, jugé responsable de la mauvaise gestion économique et de la corruption. Cette volonté de mettre à bas le bipartisme, transversale, explique sans doute l’émergence de Ciudadanos, attirant un électorat plus modéré. Mais se greffe aussi la question des nationalités et des autonomies….
Difficile, pour qui ne possède pas la langue de Cervantes, de cerner qu’elle est l’idéologie exacte des dirigeants de PODEMOS, idéologie nourrie au lait du bolivarisme à la Chavez, voire du castrisme. Et malgré sa sympathique cola de toréador, la manière dont Iglesias a façonné l’équipe dirigeante de PODEMOS, quasi à son image, peut inquièter.
Cependant, PODEMOS, ne semble pas être une étoile filante : de sondages en sondages, après sa fulgurante apparition aux Européennes, le parti naissant confirme son bon quart d’attractivité. Les experts en sciences politiques qui le dirigent ne peuvent ignorer que se placer à l’extrême-gauche de l’échiquier ferait échouer leur géniale opération.
Reste que la fin du bipartisme ne peut qu’obliger à des alliances. Donc à des compromis. Donc à retrouver un peu l’esprit de la transition…
Notons une fois encore que mes enquêtes d'opinion espagnoles semblent plus fouillées que celles commandées par la presse française.
Manifestation du 31 janvier 2015 : la Puerta del Sol
En complément :
Espagne. Le Podemos de la droite
—José Luis Barbería
Publié le 2 mars 2015 dans El País (extraits) Madrid
Source : Courrier International
Le Parti de la citoyenneté, à l’origine catalan, veut lui aussi casser le bipartisme.
“Je suis un citoyen !” “Voilà qu’il est repris par sa folie des grandeurs.”– Dessin d’El Roto paru dans El PaÍs, Madrid.
"Rien ne peut arrêter une idée dont le tour est venu”, doit se répéter le président de Ciudadanos-Partido de la ciudadanía [Citoyens-Parti de la citoyenneté], Albert Rivera. Cette citation de Victor Hugo expliquerait en effet l’ascension fulgurante d’une formation qui, en seulement deux mois, a progressé de huit points dans les sondages pour se situer entre 12 et 14 % des intentions de vote (sondage de février).
Même si la terre tremble encore, si l’échiquier politique continue de bouger et si tout est encore possible, force est de constater qu’au centre a surgi un nouveau parti doté d’une identité propre, capable d’ébranler le PP [Parti populaire, au pouvoir, conservateur], de conquérir le vote abstentionniste et d’attirer l’électeur de gauche. Ciudadanos (ou C’s) aurait-il le cœur à gauche et la tête à droite ?
Comme Podemos, qui a réussi à rallier (ou déstabiliser) les formations situées à la gauche du PSOE [Parti socialiste ouvrier espagnol], Ciudadanos a absorbé le Centre démocrate libéral [centre droit] et débordé jusqu’à Union, progrès et démocratie [UPyD, centre gauche], qui sillonne les mêmes territoires idéologiques. Podemos et Ciudadanos partagent la même ascension, nourrie au même combustible : la corruption politique, les coupes budgétaires dans les services publics et la colonisation partisane des institutions.
Mais la comparaison s’arrête là : ces deux mouvements différents suivent des trajectoires parallèles. Même s’il ne manque pas de militants se disant de gauche, Ciudadanos, qui se définit toujours comme un parti de centre gauche, se veut cependant surtout nouveau et novateur. Le parti refuse ainsi les étiquettes gauche-droite et revendique son caractère progressiste et laïc, par opposition à la droite traditionnelle espagnole. “Nous sommes un parti laïc, partisan d’une très nette séparation de l’Eglise et de l’Etat. Je suis favorable à ce que l’Eglise paye [l’impôt sur les biens immobiliers]. La religion est une affaire privée, tout comme les questions d’avortement et d’euthanasie”, souligne David Lopera, 40 ans, coordinateur de C’s à Xátiva (dans la région de Valence).
Cette armée de militants bénévoles qui émerge de la faille engendrée au centre se démarque politiquement de Podemos, même si ces deux phénomènes brandissent le même drapeau du changement, veulent modifier l’état des choses et renverser l’ordre établi. A cette différence près que le militant de C’s qui aujourd’hui se lance en politique, dans la majorité des cas pour la première fois, n’est pas une victime de la crise. Il a certes vu se détériorer ses conditions de vie et se sent floué par le gouvernement et sa gestion de la crise, mais il a un travail et une situation correcte.
Son comportement n’est donc ni réactif ni un vote sanction, mais bien une adhésion à une idéologie qui lui convient. De profil modéré, il croit en l’économie de marché, ou du moins l’accepte comme inévitable, et est partisan d’un changement en douceur par le biais du consensus et de la réforme. Disons que son esprit contestataire et son appétit révolutionnaire se limitent au renouvellement de la vie politique, des structures et institutions du pays. L’électeur type de C’s vit en ville, a fait des études universitaires et a entre 25 et 54 ans.
Sans préjugés.
Ciudadanos serait-il alors un Podemos de droite ? Toutes les personnes interrogées refusent ce raccourci, même si les sondages montrent que C’s est en augmentation auprès des électeurs de centre droit. Et si dans l’ensemble de l’Espagne le parti est perçu comme centriste, une grande partie des Catalans le classent à l’extrême droite. Il faut dire que pour le nationalisme catalan, comme pour son homologue basque, tous les compatriotes qui s’opposent directement à leurs desseins sont invariablement marqués du sceau de l’infamie du radicalisme. “Si vous ne faites pas de politique, d’autres en feront à votre place. Rejoignez-nous, mais laissez vos préjugés à la maison”, a lancé Albert Rivera au moment de la création du parti à Barcelone, il y a huit ans, en opposition au nationalisme catalan. Le parti avait alors décidé de passer à la vitesse supérieure en choisissant d’essaimer à l’échelle nationale.
Tournée de demis.
Cadres et techniciens supérieurs, chefs d’entreprise, étudiants, employés du secteur des services et dirigeants ont tous accepté le message et, portés par la volonté de changer les choses, ont fondé les premiers groupes destinés à propager la parole et le franc-parler de ce jeune dirigeant, séduisant trentenaire aux allures de gendre idéal, encore inconnu d’un tiers des Espagnols. Quelques mois plus tard, l’espoir de départ s’est transformé en enthousiasme avec même, aujourd’hui, une pointe d’euphorie à peine contenue dans les réunions, qui, à défaut de siège officiel, ont lieu dans des bars ou des locaux publics. Depuis que les sondages sont à la hausse, les réunions politiques informelles où le café est souvent remplacé par une tournée de demis se multiplient un peu partout dans les villes, tout comme le nombre des militants : plus de 22 000 déjà à Madrid, presque autant qu’en Catalogne.
Comme à l’époque pour l’UPyD et également pour Podemos, les responsables de ces groupes ont la lourde tâche de repérer les opportunistes et les arrivistes soucieux de prendre la “bonne vague” politique du moment pour tâter un peu du pouvoir et obtenir un poste rémunéré. Une bonne partie des électeurs de Ciudadanos viennent du PP (près de 38 %) et le reste vient des abstentionnistes, des nouveaux électeurs, du PSOE et de l’UPyD. Jusqu’à présent Ciudadanos recrutait surtout dans les villes, notamment dans les agglomérations urbaines de plus de 400 000 habitants.
Et si les ouvriers et les agriculteurs ne figurent pratiquement pas dans les profils repérés par les sondages, on voit peu à peu apparaître sur le réseau de Ciudadanos (Internet et les réseaux sociaux tiennent lieu de siège officiel du parti) des gens qui se connectent depuis les zones rurales. Sur le terrain des rêves et de l’espoir, Ciudadanos est en concurrence directe avec Podemos. Tous deux se reconnaissent dans la critique du bipartisme et dans la mission de régénérer et assainir le système, mais leur idéologie et leur programme sont très différents. “Podemos est un parti jeune avec des idées de vieux. Si leur modèle est le Venezuela, le nôtre serait le Danemark : un Etat providence compatible avec une économie de marché, mais suffisamment fort pour fournir les services basiques sans asphyxier l’économie”, assène Jésús de Lózar, 62 ans, économiste.
Tant que les convulsions tectoniques secouent la politique espagnole, rien n’est stable et rien n’est définitif. Les répliques et les contre-répliques se succèdent. Et au centre, 3 ou 4 millions d’électeurs indécis peuvent toujours faire pencher la balance en faveur des conservateurs du PP ou des sociaux-démocrates du PSOE.
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