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7 décembre 2014 7 07 /12 /décembre /2014 21:10
La laïcité expliquée à Monsieur Retailleau
La laïcité expliquée à Monsieur Retailleau

Ouest-France 06/12/2014

"L'Etat laïque, neutre entre tous les cultes, indépendants de tous les clergés, dégagé de toute conception théologique" permet "l'égalité de tous les Français devant la loi, la liberté de tous les cultes" et de toutes les convictions philosophiques. D'après Ferdinand Buisson

 

Monsieur le Sénateur-Président du conseil général de la Vendée (et Président du groupe parlementaire UMP du Sénat), je me permets, très humblement, de vous rappeler que notre République est laïque. Contrairement à ce que d’aucuns pourraient croire – mais vous n’êtes certainement pas de ceux-là – la République ne se réduit pas à l’état central (ni l’état, au gouvernement), mais comprend les collectivités territoriales (communes, départements, régions).

 

Une des grandes lois fondatrices de la Laïcité française est la loi de 1905. Et contrairement à ce qu’un ex-président, dont vous avez rallié le parti, a laissé sous-entendre osant parler d’un anti-cléricalisme d’état, la Loi de 1905 fut bien une loi de liberté et de tolérance.

 

Votre (ex)père spirituel, le Vicomte Le Jollis de Villiers de Saintignon, qui voyait des mosquées partout à Roissy, a sans doute fustigé les prières de rues des infidêles et barbaresques musulmans. Et pourtant, contrairement à vous qui êtes trop jeune (quoique), il a dû connaître les « fêtes-dieu » où le curé portant ostensoir et protégé par un dais avançait sur un tapis de pétales de roses répandus par des enfants de chœur ensoutanés de rouge, avec surplis blanc, au son de saints cantiques en latin. Et honte au mécréant qui n’aurait pas décoré sa façade sur l’itinéraire de la procession. Question prière de rue, on était servi avec des autels de plein air où s’arrêtait la sainte procession dans les rues de nos villages.

Je ne saurais trop vous recommander la lecture des débats qui ont abouti à la suppression d’un article liberticide dans la loi de 1905. Vous y verriez comment un député catholique a su prendre à contre-pied Aristide Briand et Ferdinand Buisson : « quand l’ordre public n’est pas en danger, il y a un autre intérêt qui s’impose, c’est celui de la liberté. » Et l’Article 25 qui édictait que les églises, séparées de l’état, « n’ont pas le droit d’emprunter la voie publique pour les manifestations de leur culte » car elles imposeraient ainsi « aux indifférents, aux adeptes des autres confessions religieuses le spectacle inévitable de leurs rites particuliers. » a été supprimé.

Ce qui répond aux âneries proférées par le Vicomte sur les étoiles qu’il faudrait retirer de nos rues, car outre que la symbolique religieuse desdites étoiles n’est pas évidente, elles ne sont pas bannies des voies publiques qu’il ne faut pas confondre avec des bâtiments officiels. Quant à vos propres propos sur les communes en « Saint »* qu’il faudrait débaptiser, entre nous soit dit, vous confesserez qu’ils relèvent d’un amalgame assez puéril. Contrairement aux révolutionnaires que vous honnissez, les Ferry, Briand ou Buisson n’ont jamais voulu toucher au calendrier des fêtes d’origine chrétienne et encore moins à la toponymie.

 

  Revenons donc à votre crèche.

Que les santons de Provence puissent relever d’une authentique tradition culturelle populaire, d’un patrimoine provençal, est indéniable. En revanche, vous conviendrez que l’aspect culturel de vos statuettes saint-sulpiciennes n’est pas évident. Tradition cultuelle plutôt qui trouve sa place dans les lieux de culte, voire dans des foires de Noël, sans doute pour sanctifier les marchands du temple. 

 

Mais, elle n’a pas sa place dans un bâtiment de la République, dont font partie Mairie et Hôtel de Département. Non pas que leur laideur soit une atteinte au bon goût, cela étant trop subjectif. Mais que ces crèches sont une atteinte à la neutralité que doivent afficher ces lieux.  C’est ce que dit clairement l’Article 28 : « Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. » sur lequel s’est appuyé, je suppose, le Tribunal Administratif de Nantes.

 

Cette neutralité instaurée par la loi de séparation des églises et de l’état n’est pas anti-religieuse, mais a-religieuse. Elle s’impose à ses représentants et à ses agents. C’est pourquoi ceux-ci ne doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, manifester leur éventuelle appartenance à telle religion ou parti politique.  Non pas pour cause d’éventuel prosélytisme – la vue d’une hôtesse d’accueil portant un fichu dit islamique dans une administration ne risque guère de convertir qui que ce soit à l’islam – mais pour affirmer la neutralité du service public.

 

Sans vous laisser aller aux outrances de votre ex-mentor – l’admirateur de Poutine parlant de décision « totalitaire » - vous n’en avez pas moins profité de votre position pour vous livrer à une attaque indigne contre la Libre pensée la taxant d’intégrisme laïcard. Vous conviendrez peut-être que question intégrisme agressif, la Libre pensée est loin, très loin, des méthodes d’actions de CIVITAS, par exemple. Et que la conviction exprimée dans leurs statuts est aussi respectable que la vôtre. Le Président de la Libre Pensée de Vendée qui, contrairement à vous, n’a guère été entendu dans les médias, a fait preuve d’une grande retenue dans son expression et dans son action.

 

Quant à votre allusion à un témoignage touchant d’un « auditeur, dont le prénom, Ahmed, fait penser qu’il appartenait à une religion » ne soutenant pas une crèche, outre que vous semblez ignorer que la religion musulmane reconnaît Jésus comme un prophète, elle trahit une propension trop fréquente à conférer une appartenance religieuse à partir d’un nom ou prénom**. Mais y eût-il eu dans vos soutiens un Vladimir orthodoxe, un William anglican, un Ricard boudhiste, etc. que ça ne changeait rien à l’article 28 de la Loi de 1905 sur lequel s’est appuyé le tribunal administratif.

Et vous allez dépenser notre argent, à nous les contribuables vendéens, dans d’inutiles recours en appel, conseil d’état et, on n’ose y croire, jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme !

 

D’ailleurs, comme le souligne Jean Baubérot, associer la crèche, qui célèbre, ce n’est pas à vous que je dois le rappeler, la nativité du christ, à quelque chose d’uniquement traditionnel et folklorique, c'est manquer de respect à la religion catholique.

Et ce n’est pas une tradition cultuelle qui se perd : presque toutes les églises, la cathédrale, ont leur crèche que chacune et chacun peut aller voir.

Et vous, vous pouvez faire une belle crèche dans votre intérieur privé, pour y déposer, le 24 à minuit, votre petit jésus, en entonnant le "Minuit chrétiens"... si ça vous chante.

 

* Une pétition, lancée par un anonyme Lou G., intitulée « Tradition et patrimoine culturel français : oui aux crèches de Noël dans l'espace public ! », signée par d’aussi anonymes Thérèse, Gérard voir 148, s’en prend évidemment à « cette gauche bien pensante, ces ayatollahs de la pensée unique, ces pourfendeurs de nos traditions, veulent détruire notre socle commun. » Et comme Brutus-Bruno R. craignent « qu'ils ne finissent par vouloir débaptiser notre calendrier, qu'ils ne trouveront pas très laïc (avec les fêtes chrétiennes et tous les saints), ou débaptisent les rues, les places de nos villes et villages qui portent le nom d'un saint etc. ».

Eh oui ! M. le Président, la stupidité de vos propos éclate quand ils sont clamés par des cagots bornés (pléonasme) et lâches.

 

 

** Pris à partie, sur ce point, vous vous êtes miraculeusement souvenu que ça serait l’auditeur lui-même qui se serait dit musulman : permettez-moi d’être un peu sceptique sur cet ajout dans votre storytelling.

 

 

Merci au commentateur "Malherbe" de m'avoir signalé le billet de Sophia Aram

Entretien avec J. Bauberot
Entretien avec J. Bauberot

Un entretien avec Jean Baubérot

Ouest-France 12 décembre 2014

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commentaires

J
Reçu par courriel : "Excellent. Tu aurais pu te payer aussi à l'occasion la tête de Leboeuf, le bien nommé! je te propose la version laïque du "petit jésus dans la crèche": le petit lardon dans la frisée..." JPS
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M
Sophie ARAM mérite d'être écoutée ce matin, lundi 8 décembre sur FRANCE INTER à 8 h 56.<br /> autre sujet :<br /> Les thuriféraires confits seraient bien avisés de réfléchir à la PMA : après tout, Jésus en est peut-être le premier à en avoir bénéficié !
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