“A Madrid je travaille librement. A Barcelone le nationalisme a tout infecté.” Ana Nuño, auteure et traductrice Vénézuélienne
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Dimanche prochain – 27 S comme on dit de l’autre côté des Pyrénées – auront lieu les élections catalanes. Artur Mas, président sortant de la Generalitat, veut en faire une élection référendaire pour l’indépendance. Si l’on en croit le sondage de metroscopia, la coalition un peu hétéroclite qu’il emmène - Junts pel Si – avec l’appui d’un parti indépendantiste de gauche – CUP – obtiendra la majorité absolue des sièges et frôlera la majorité absolue des suffrages. Ce scrutin risque donc de percuter la vie politique espagnole – dont les élections générales auront lieu en décembre – et porte en germe une balkanisation de l’Europe. Il risque aussi de précipiter la Catalogne fièrement vers l’insignifiance culturelle !
Contrairement à l’hexagone, où l’on voit proliférer des officines sondagières douteuses (style ODOXA), l’Espagne semble ne connaître que deux instituts : Metroscopia et CIS. Le 1er a été relativement fiable dans les élections andalouses.
Intentions de votes en Catalogne
El País 19 SEP 2015
Le sondage de Metroscopia constate un effritement des forces coalisées par Mas : séparément CIU, conservateur, et ERC, gauche, comptaient 71 élus, coalisés avec d’autres ils en auraient 4 ou 5 de moins, la dynamique de l’union ne se sent guère. Mais cette perte est largement compensée par la CUP qui bondirait de 3 à 10-11 élus. Les indépendantistes seraient donc majoritaires dans le futur parlement. Et quasi majoritaires en voix.
Les non indépendantistes, eux, avancent en ordre très dispersé. Entre le PP, figé dans le statu quo, Ciutadants (C’s) très espagnoliste et le PS Catalan assez ambigu ou la coalition de Podemos et d’IU ouverte à de profondes évolutions de l’autonomie, il ne peut y avoir de front uni.
Cependant les indépendantistes auraient tort de prendre leur probable victoire pour un blanc-seing vers l’indépendance. Le même sondage révèle que seuls 22% des sondés considèrent que leur victoire serait un mandat pour proclamer l’indépendance catalane tandis que 66% la considèrent comme un mandat pour négocier avec le gouvernement espagnol les termes et les modalités d’une possible indépendance. Et si un référendum pleinement légal avait lieu les sondés se partagent à part égale (49-49) et même les indépendantistes deviennent minoritaires si l’indépendance se paye d’une sortie de l’Europe (41-49).
Manque la question sur l’exclusion du Barça du championnat Espagnol !
Mais le prix à payer pour ce repli nationaliste, comme le montre l’écrivain péruvien Santiago Roncagliolo, est la fin d’une époque où la Catalogne avec Barcelone était admirée pour son esprit cosmopolite et son ouverture. Pendant des décennies, son bilinguisme parfait était le propre d’une société cultivée, fière d’elle-même et en même temps ouverte au dialogue.
Pour les écrivains de langue espagnole Barcelone a toujours été plus importante que n’importe quelle capitale. L’essor de la littérature latino-américaine s’est forgé en Catalogne. Pour lui, Barcelone est en train de perdre son statut de capitale éditoriale. Et il rappelle aux politiques catalans à la vue basse, que la langue espagnole, qu’ils répudient, est la langue de 500 millions de personnes. Dans cet immense monde hispanophone, plein d’énergie créatrice, Barcelone a toujours été un New-York. Aujourd’hui, elle s’entête à devenir la Lettonie.
Comme tout nationalisme, celui des Catalans est fondé sur la conviction de leur propre supériorité. Le nationalisme catalan est convaincu que son peuple est plus travailleur, plus moderne, plus cultivé que les Andalous ou les Galiciens, et il résume ces qualités par le concept « plus européen ». Face à des gens qui se considèrent plus européens que d’autres européens, que pouvons-nous espérer, nous autres Latinos-Américains ? Tout ce qu’un nationaliste catalan méprise dans l’Espagne, c’est ce que nous représentons.
Les nationalistes construisent une société plus provinciale. Leur seul projet culturel est de précipiter la Catalogne fièrement vers l’insignifiance. (extraits de Perdiéndonos la fiesta, El País, 23/07/15, traduction du Courrier International 17/09/15).
Outre cette régression provincialiste, le prix à payer pour l’Espagne et pour l’Europe d’une crise catalane sera sans doute bien plus lourd que la crise grecque. Le contrecoup sur les élections générales espagnoles risque d’être une crispation nationaliste antagoniste qui ne profiterait qu’au PP. La balkanisation, dont on a pu voir les effets délétères dans l’ex-Yougoslavie, pourrait s’étendre bien sûr au Pays Basque espagnol, avec des conséquences de l’autre côté de la frontière, puis en Italie du Nord, etc. Les souverainistes de tout poil y trouveraient leur compte !
Artur Mas pourrait passer dans l’Histoire, mais comme un apprenti sorcier.
Résultats des élections catalanes du 27S
Annexe
Résultats des élections catalanes (El Pais, 28/09/15)
La coalition indépendantiste (Junts pel si) et le parti indépendantiste CUP ont la majorité des sièges (72), mais pas la majorité des voix (47,8%). Comme le titre El País : « Les indépendantistes gagnent les élections mais perdent leur plébiscite ».
Si Ciudadanos (Ciutadans : très anti indépendantiste) a réussi sa percée, devenant le deuxième parti catalan, Podemos allié à la gauche unie locale (Catalunya sí que es Pot) obtient un résultat médiocre. Le PS catalan sauve les meubles en perdant 4 sièges, tandis que le PP en perd le double.
On note aussi que Barcelone et sa région sont les moins indépendantistes avec 44,8%.
Artur Mas (président sortant) et son hétéroclite alliance ont beau crier victoire, ils ne sont pas en position de force pour négocier une indépendance dont la ratification par un référendum est très loin d’être assurée. D’autant que les élections générales qui vont suivre vont geler toute discussion dans les prochains mois.
Les UNES : victoire pour les uns, échec pour les autres
NB La majorité des sièges aux indépendantistes tient aussi à la répartition des sièges entre les quatre circonscriptions Barcelone, Lleida, Girone et Tarragone.
Barcelone et sa région - les moins indépendantistes (44,3%) - sont sous-représentées par rapport aux trois autres.
Le poids en voix des élus selon les circonscriptions
Le schéma montre clairement que les zones indépendantistes sont surreprésentées en sièges par rapport à Barcelone. En gros, un élu barcelonais représente deux fois plus d'électeurs que les autres.
Ciudadanos 2e parti de Catalogne
Les élections du 27S ont attribué à Ciudadanos (C’s) deux fonctions : être le parti refuge du vote non aux sécessionnistes et être le substitut du Partido Popular (PP) au centre-droit, en Catalogne.
Dans la logique binaire du OUI ou du NON à l’indépendance C’s devenu le 2e parti s’affirme bien en champion du NON, supplantant le PP et le PS catalan (PS affaibli aussi par des défections internes vers l’indépendantisme).
Ciudadanos – Ciutadans - est d’ailleurs né en Catalogne en opposition aux partis souverainistes en 2006. Débuts modestes mais en 2012 il fait plus que doubler son score de 3 à 7,6%, apparemment aux dépens du PS catalan.
Mais ensuite, C’s va connaître un nouveau bond en avant, faisant encore plus que doubler ses voix de 7,6 à 17,9% et passant de 9 à 25 représentants de 2012 à 2015. En définitive, en neuf années d’existence C’s a multiplié par 8 ses électeurs – de 90 mille à 735 mille – et ses élus – de 3 à 25 – au parlement catalan !
Il surpasse donc nettement PSC et PPC. Et cela en siphonnant largement les voix du PP, après celles du PS. L’étude de Metroscopia montre, à partir de l’analyse des districts barcelonais, le parallélisme entre perte du PP et montée de C’s. Le PP a perdu ses électeurs de centre-droit au profit de Ciudadanos.
Est-ce que ce glissement des électeurs de droite modérés du PP vers C’s va se confirmer aux élections générales, c’est un des enjeux du 20D (20 décembre) ?
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