L’école sans dieu, dénoncée en 1882 par les députés catholiques, énonce dans le programme d’Instruction civique et morale les « Devoirs envers Dieu ». Ferme sur les principes mais souple dans l’application, telle est la leçon de Jules Ferry.
Au dernier colloque d’Education & Devenir, éducation & souvenir comme disait ironiquement un vieil adhérent, Jean-Paul Delahaye, pour illustrer le temps long souvent indispensable pour faire bouger les choses, évoqua l’instauration de l’instruction morale et civique chassant l’instruction morale et religieuse.
Je n’ignorais pas la souplesse dont avait fait preuve le député des Vosges s’agissant de la présence des crucifix dans les salles de classe : le ministre avait confié aux préfets le soin d’examiner chaque cas avec attention, les crucifix n’étant ôtés que lorsque cela ne soulevait pas l’hostilité des populations.
En revanche, je dois avouer ma totale ignorance sur ce que nous a appris l’IGEN.
La loi de 1882 met en tête* des enseignements du primaire « L’instruction morale et civique ».
Et dans les devoirs - Devoirs envers les parents et les grands-parents, Devoirs des frères et sœurs, Devoirs envers les serviteurs (sic), Devoirs envers l'instituteur, Devoirs envers les camarades, Devoirs envers la patrie et la société, etc.** – il y a les Devoirs envers Dieu !
L'instituteur n'est pas chargé de faire un cours ex professo sur la nature et les attributs de Dieu ; l'enseignement qu'il doit donner à tous indistinctement se borne à deux points :
D'abord, il leur apprend à ne pas prononcer légèrement le nom de Dieu ; il associe étroitement dans leur esprit à l'idée de la cause première et de l'être parfait un sentiment de respect et de vénération ; et il habitue chacun d'eux à environner du même respect cette notion de Dieu, alors même qu'elle se présenterait à lui sous des formes différentes de celles de sa propre religion.
Ensuite, et sans s'occuper des prescriptions spéciales aux diverses communions, l'instituteur s'attache à faire comprendre et sentir à l'enfant que le premier hommage qu'il doit à la divinité, c'est l'obéissance aux lois de Dieu telles que les lui révèlent sa conscience et sa raison.
Tout cela avait fait plus que débat au sein des loges du Grand Orient. Esprit-Eugène Hubert, un proche de Jules Simon y déclarait: « L’enseignement laïque, c’est l’État enseignant. Ce n’est point dire que l’idée de Dieu doive être écartée de cet enseignement, car il n’y a pas d’enseignement sans des leçons de morale ; or, il n’y a pas de morale qui puisse se tenir sur ses jambes sans l’aide de la proclamation et de la reconnaissance d’un principe immatériel supérieur. Toute morale ou toute prétendue morale qui veut venir de la terre et mourir sur la terre est un leurre ou quelque chose de plus terrible dont ce siècle a donné des exemples si néfastes et si lamentables : la force prime le droit ». C’est exactement cette position que défendra Jules Simon, contre Jules Ferry.
En introduction aux instructions sur cet instruction civique et morale, un philosophe affirmait : « « ceux qui voudraient retrancher de l'enseignement toute idée religieuse, même naturelle, ne voient-ils pas qu'ils entrent par là dans la pensée même de leurs adversaires? Car la doctrine de ceux-ci est précisément que l'Etat est incompétent dans le domaine purement spirituel et dans tout ce qui concerne les âmes : c'est pourquoi ils lui dénient le droit d'enseigner même la morale. Si l'Etat se laisse déposséder du droit d'enseigner les idées religieuses dans ce qu'elles ont de général, d'humain, de naturel, il abandonne par là même une partie, et la plus haute, de ce domaine spirituel qu'on lui refuse ; c'est une force qu'il laisse entre les mains de ses adversaires en attendant que, de progrès en progrès, et sous prétexte de neutralité, on lui interdise d'enseigner le devoir, la famille, la propriété et la patrie. D'ailleurs, sans instituer de controverses directes sur ce point, contentons-nous de demander si une séparation de la morale profane et de la morale confessionnelle n'est pas, par elle-même, une révolution assez importante ; sans vouloir encore la pousser plus loin et inquiéter la conscience et la croyance des hommes dans ce qu'elles ont de plus vénérable, de plus auguste et de plus sacré. » Paul Janet
La laïcisation des programmes s’est donc mise en place très progressivement puisque les « devoirs envers Dieu » ont subsisté dans les programmes d’instruction morale et civique du cours moyen jusqu’en 1923, ces « devoirs envers Dieu » seront rétablis par Pétain et définitivement supprimés en 1944.
Pour Jean-Paul Delahaye, Jules Ferry, positiviste, pensait que la religion allait s’éteindre d’elle-même. Et le député des Vosges savait qu’il était élu d’un peuple qui aime la République mais construit des reposoirs aux fêtes-dieu !
Ce pragmatisme, c’est-à-dire cet art du compromis symbole de démocratie – celui-là même dont a fait preuve ensuite Aristide Briand amendant lui-même sa propre loi pour ne pas donner prise à l'intransigeance des cagots – est hélas difficilement de mise dans un climat de quasi guerre civile, en tout cas de guerre contre l’école de la République, qu’entretiennent les Belghoul, Bourges, de la Rochère, et autres boute-feux de la manif anti-mariage pour tous, soutenus par les UMPistes !
* A noter que les maths viennent dans un conglomérat : « Les éléments des sciences naturelles physiques et mathématiques, leurs applications à l’agriculture, à l’hygiène, aux arts industriels, travaux manuels et usage des outils des principaux métiers » bien loin de la prééminence qu’elles ont prise ensuite !
** A noter aussi ces devoirs à faire bondir la plus placide des féministes : Devoirs de famille. — Rôle à la fois discret, modeste et efficace de la jeune fille dans la famille. Devoirs maternels de la soeur aînée. Devoir pour les jeunes filles de prendre part à tous les soins domestiques, non seulement sans répugnance, mais avec empressement.
Face à la surenchère anti-musulmane de Sarkozy, contre les menus de substitution, un rappel :
La première circulaire sur ces menus, adressée aux recteurs, date du 30 juillet 1957, ce n’est donc pas nouveau « Il m’a été signalé que dans certains établissements de la métropole il était parfois servi de la viande de porc aux élèves de religion musulmane. Je vous serais obligé de rappeler à MM les chefs d’établissement que le Coran interdit aux musulmans la consommation de la viande de porc, et leur demander de prévoir, les jours où cette viande figure aux menus, un autre plat de viande à l’intention de leurs élèves musulmans » Circulaire du 30 juillet 1957, B.O.E.N. n° 31 du 5 septembre 1957, p. 2595 cité par J.P. Delahaye Laïcité, enseignement et religion à l’école (Le ministre de l’époque était un radical socialiste : René Billères)
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