Le 29 avril, sur la page "Rebonds" de Libé je tombe sur une opinion « Le Dalaï Lama et l'honneur nazi ». Du « mao-spontex » pur : on éponge de la propagande post-maoïste et, nous prenant pour des éviers, on l'essore sur nos cerveaux que je n'ose dire affamés d'âneries.
Qu'importe, me dis-je, in petto : un tibétologue (attention M'sieu Mélenchon j'ai bien écrit tibétologue, pas tintinologue) distingué va faire pièce de ce poulet. On arrive au 3 mai, rien n'est venu.
D'autant plus surprenant que ce Dalaï Lama crypto nazi arrive un peu comme un cheveu sur la soupe. Eh quoi ! le sieur Dispot qui dispose de la revue de BHL (La règle du jeu) pour nous asséner « L'honneur des catholiques », ne pouvait-il pas y écrire, de longue date, « Le déshonneur du Dalaï Lama » ?
Comme il arrive souvent, le jus propagandiste de l'éponge s'est coloré. Rendons un vibrant hommage à cette réhabilitation du style pompier.
« Heinrich Harrer a accompli sa mission de confiance hitlérienne, malgré la défaite militaire de1945, en la transformant en un logiciel pseudo «spirituel» installé dans des têtes affamées de servitude.
L'«Océan de Sagesse» ne doit pas servir à noyer le poisson de la mémoire et de l'histoire : à relancer en contrebande le «Hitler connais pas» et «la Shoah détail de la Seconde Guerre mondiale». Le négationnisme n'est pas soluble dans les neiges éternelles.
Il jette la Shoah à la poubelle du «karma». »
Ah ! ce logiciel, ces têtes affamées de servitude, cet océan qui noie le poisson, ce négationnisme non soluble dans les neiges éternelles - mais la Shoah et le Karma relèvent plus du style abject que pompier - c'est d'un prudhommesque qui doit réjouir les mânes d'Henri Monnier.
Certes le "logiciel" est un peu anachronique. Il fait partie de ces mots à la mode (le PS doit changer de logiciel, nous assène-t-on, nous les sociaux-traîtres-libéraux et tutti quanti) dont M. Dispot use et abuse (on notera le quasi parallélisme de la phrase suivante avec la phrase ci-dessus) : « Dieudonné M'Bala a eu toute licence d'installer un logiciel de la haine dans les têtes de milliers de spectateurs, dont chacun sert ingénument de profanateur des sépultures mémorielles de la Shoah. »
On notera aussi la propension inquiètante qu'il a à mettre la Shoah à toutes les sauces de sa plume imprécatrice.
Mais il use de procédés plus triviaux. Si j'écrivais - pur exemple - à propos d'un sénateur, laïc pur sucre, mais qui s'est distingué par un amendement imbécile favorisant l'enseignement privé, « ce sénateur auvergnat et magouilleur », il est peu probable que l'amicale des auvergnats de Luçon m'accuse d'assimiler l'ensemble des auvergnats à des tripatouilleurs de votes dans un Conseil général, fût-il du Puy-de-Dôme. « C'est pas de la Realpolitik, ce mot germanique violent », a dit le ministre des Affaires étrangères. Ces deux épithètes, énoncées avec un mépris agressif et théâtral, s'entendaient comme synonymes, associées en pléonasme : « germanique » serait forcément « violent ». Loin de moi, l'idée de défendre Kouchner, l'avaleur de couleuvres, mais ça donne une idée du style de notre chroniqueur. Car à partir de là, il va se déchaîner dans une sorte d'auto-allumage délirant. Ainsi, à propos d'un des trop nombreux dérapages de Frèche, cette fois sur l'équipe de France de foot, trop black selon l'histrion septimaniaque, il se lance à son tour dans un dérapage incontrôlé sur le PS (oubliant d'ailleurs, Finkielkraut et son "équipe de France black, black, black").
Mais revenons à notre Dalaï Lama (fils secret de Hitler ?).
Or donc Harrer, alpiniste autrichien, SA d'abord, puis SS ensuite a bien été un « précepteur » du Dalaï Lama.
A-t-il participé à la « nuit de cristal » ? Faute de références précises, difficile à vérifier. Ce qui est sûr, en revanche, c'est qu'Himmler l'avait envoyé, en 1939, au Cachemire, pour vaincre, pour la plus grande gloire de l'Allemagne nazie, un sommet himalayen de plus de 8000 m. La guerre éclatant, les anglais (l'Inde était sous domination anglaise à l'époque) le font prisonnier. Il s'évade en avril 1944 et, après 2000 km et des dizaines de cols autour de 5000 m se retrouve à Lhassa début 1946, après l'effondrement du nazisme.
« Précepteur » certes mais le Dalaï Lama, onze ans à l'époque, est surtout instruit dans son rôle spirituel par des moines tibétains. Il semble bien qu'Harrer ait plus été influencé par le boudhisme Tibétain que l'inverse. Mais avec l'art de l'amalgame qui le caractérise et dans son style si particulier, il faut comprendre que, pour Dispot, l'idéologie nazie d'Harrer s'est transformée en un logiciel pseudo «spirituel» installé dans des têtes affamées de servitude. L'amalgame est poussé au bout de l'absurde quand il écrit : « Son rapport de mission, Sept ans au Tibet, était bourré de mensonges grossiers et de fascination pour le «Führerprinzip» impitoyable du théocratisme lamaïque. » Suivez bien : le bouquin de Harrer, revenu en Europe, est un « rapport de mission » (à qui ? Himmler ? Hitler ?) et en accolant un Fürherprinzip à théocratisme, cela doit suffire à démontrer le caractère nazi du boudhisme tibétain.
En fait, M. Dispot, s'est contenté d'éponger les critiques du très démocratique et néanmoins populaire régime chinois qui ont accompagné la sortie, en 1997, du film de J.-J. Annaud (tiré du bouquin d'Harrer). A noter que Brad Pitt, acteur principal de ce film, est interdit de J.O. par ce très libéral - au point de vue économique, c'est même du libéralisme sauvage - régime.
Que le Tibet ait été soumis à un régime féodal avant la colonisation chinoise est avéré. Mais que tous nos néo-maoïstes veuillent bien nous expliquer en quoi le régime totalitaire, au culte de la personnalité exacerbé, de Mao et suivants a libéré le peuple tibétain !
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