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9 janvier 2020 4 09 /01 /janvier /2020 21:19
Professeurs du Lycée Tarik ibn Zyad AZROU 1968-69

Professeurs du Lycée Tarik ibn Zyad AZROU 1968-69

Et vlan pour Duclos ! balançait P.T.

- Et pan pour Pompidou ! retournait Y. S.*

Pourquoi le (médiocre) joueur de pétanque qui ne connaissait de tennis que celui de table, se retrouvait-il avec d’autres spectateurs au bord d’un court de tennis d’Ifrane ? Autant qu’il m’en souvienne, en ces beaux jours de fin mai 69, des activités sportives diverses avaient opposé profs du collège et du lycée. Pour le tournoi de tennis, le vrai, sur terre battue, les compétiteurs étaient tous du lycée et la finale opposait le solide P.T., le pompidolien, au léger mais virevoltant Y.S.  partisan de Duclos, candidat PC à ces présidentielles 1969, dont la rondeur et l’accent rocailleux donnaient une (fausse) image de bonhomie. Et chacun, accompagnait chaque bon coup de raquette d’un « Pour Pompidou », « Pour Duclos ». En toute logique – sportive et électorale – Pompidou battit Duclos, P.T. l’emporta sur Y.S., Yoland Simon.

J’ai, en effet, connu avec cet estimé contributeur du deblog-notes,  l’expérience de la coopération, à Azrou, au cœur du Moyen-Atlas. Aussi, quand il m’a gratifié du service de son dernier opus – Faut-il qu’il m’en souvienne ? – me suis-je empressé de rechercher les pages sur ces années marocaines communes.

 

Il avait déjà évoqué cette expérience de la coopération, partagée avec des milliers d’autres VSNA (Volontaires du Service national actif), dans une nouvelle intitulée Maroc tristement au cœur**. Nouvelle, où le narrateur prêtait, en mettant en scène un accident tragique (et réel), à ses collègues un certain racisme. Nouvelle, dans laquelle un nommé Launay jouait un rôle assez peu reluisant. Mais c’était de la fiction et il ne faut pas confondre narrateur et auteur, personnage et personne, n’est-ce pas ?

Faut-il qu'il m'en souvienne ?

Sauf que là, le narrateur et l’auteur se confondent et il écrit clairement « Je me souviens maintenant avec quelle facilité les rapports humains se teintent facilement d’un racisme ordinaire, à peine condamnable et presque anodin, ce racisme au quotidien dont j’avais lu les fines analyses dans les librairies du Quartier latin, “La joie de lire” de François Maspero. »

Une vision symptomale, à mon sens.

Que des Français râlent – sur le garagiste ou le plombier, le flic qui vous fait lanterner pour la carte d’étranger, la première paye qui met plus de trois mois à tomber, la paperasse, etc. – rien que d’habituel. Mais prédominait surtout une grande insouciance : pas de paye, mais le Soussi, le boucher, la Grecque même nous faisaient crédit… et pétanque, apéros, fiestas diverses animaient la vie des ‘expatriés’, pour beaucoup fort aises de cette vie loin des contraintes parfois pesantes des familles. Quant aux « fatmas », elles étaient infiniment moins nombreuses à chaparder que les chasseurs et pêcheurs françaouis à braconner !

Sûr que cette sorte de paroisse laïque vivait plutôt en vase clos, avec parfois ses petites frictions. Mais notre auteur de retour en France, entre le syndicat corporatif et la cellule PC d’enseignants, n’était-il pas dans un entre-soi encore plus prégnant ?

Faut-il qu'il m'en souvienne ?

Lecture symptomale de ma part, puisque le chapitre « Coopérer » fait 10 pages sur 240 de Faut-il qu’il m’en souvienne ?.

Pré-boomers – enfants des années de guerre – et boomers de 1946 à 1955 se retrouveront dans ces souvenirs d’un fils d’instit coco de Normandie qui vont de la Résistance à la victoire de Mitterrand en 1981. Le parcours, mais faut-il s’en étonner, est un peu virevoltant. Apparemment thématique, chaque chapitre – engagements, écrire, cinéma, théâtre, etc. – précédé d’une introduction en italique. Mais, malgré des évocations croisées de souvenirs d’enfance d’un chapitre à l’autre, la chronologie reprend parfois ses droits, après les écoles il y aura le lycée puis l’université, après coopérer ce sera revenir.

Ce parcours est évidemment autobiographique, mais l’auteur reste très pudique sur sa vie intime, on se retrouve ainsi dans la cité universitaire d’Anthony avec une épouse et un fils qu’on n’avait pas vu venir. Percent quand même quelques blessures d’enfance avec une mère qui ne supporte pas la concurrence de cette terrible maîtresse qu’est la militance PC du père. Et l’on sent toute l’admiration pour ce père communiste qui « tenait à la fois du rebelle, du savant et du philanthrope. » « J’étais assez fier de partager les idées de mon père. De les avoir reçues en partage et non en héritage. (…) Je les soutenais avec le talent d’un petit Mozart de la politique, la cauteleuse subtilité d’un dialecticien en herbe et l’acharnement d’un redoutable rhéteur. »

De gauche à droite, assis : Jacques Duclos, Maurice Thorez, Marcel Cachin ; debout André Marty.

De gauche à droite, assis : Jacques Duclos, Maurice Thorez, Marcel Cachin ; debout André Marty.

Avec une tendresse légèrement teintée de malice, Y. Simon, à travers ce père, fait comprendre cette vision du monde des communistes s’appuyant sur l’infaillible marxisme-léninisme (voire stalinisme) qui apportait des outils scientifiques pour saisir les lois de l’Histoire. Il fait vivre surtout ce militantisme quasi religieux et il retrace les « âpres affrontements » de l’après-guerre, avec ses procès staliniens contre Marty ou Tillon et autres traîtres, menés par Thorez et Duclos. Petite scène de comédie aussi, quand son père, du côté de Saint-Hilaire-de-Harcouët, l’invite à balancer par le déflecteur de la 203, le surplus de tracts appelant à voter NON au référendum de septembre 1958. Ce précoce passionné de politique nous en retrace aussi quelques grands moments, avec une quatrième secouée par l’instabilité, la paix en Algérie, la surprise du balottage de l’élection présidentielle de 1965, un mai 68 où il ne se retrouve guère dans le mouvement étudiant, une inattendue réhabilitation de Giscard, la lourde déconvenue de 1978…

Mais ce qui fait à mon sens le charme de ces souvenirs c’est qu’Y. Simon sait tisser avec talent l’entrecroisement des grands évènements avec les choses de la vie quotidienne. On y retrouve donc l’engouement pour les héros du sport et particulièrement du Tour de France, les vacances d’été dans la famille avec oncles et cousins, l’école primaire puis le cours complémentaire… La première partie de bac – eh ! oui ! le bac, comme une fusée Ariane était à deux étages – estompe un peu le retour du Général et dix ans plus tard les épreuves pratiques du CPR, quand on a déjà charge de famille, priment sur la révolte estudiantine.

Faut-il qu'il m'en souvienne ?

Aucune trace de cette nostalgie un peu gluante dont nous abreuvent les adeptes du « c’était bien mieux de notre temps ». Ses contemporains, les « vieux vieillards » qui ont suivi les exploits de Koblet et Kubler ou ceux de Charly Gaul ou de Bahamontes, les cinémas REX avec ouvreuses et « Jean Mineur publicité », se retrouveront au fil de chapitres. Les lecteurs moins chenus y découvriront un auteur au ton singulier et à la plume alerte.

* La légende moyenatlasique veut aussi qu’un joyeux drille ait réussi, en pleine nuit, à persuader le toubib français du dispensaire que ce P.T. pompidolien avait, avec son épouse (ce qui valait mieux qu’avec une autre) était victime d’un pénis captivus : le cas étant tellement rare, notre toubib est monté illico délivrer le mâle captif pour tomber, devant leur entrée, sur le couple qui revenait d’un spectacle à Fès !

** Et si on arrêtait la mer ? L’Harmattan 1994

Faut-il qu'il m'en souvienne ?

Faut-il qu'il m'en souvienne ?

de

chez Ed. de l'Aiguille

Collection(s) : Fictions

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