Décidément Pascal Bouchard est un singulier personnage. Après avoir fait l’éloge de la social-démocratie, voilà qu’il prétend dialoguer avec un « père de l’église », un nommé Augustin, saint de son état, et sans se moucher du col puisqu’il intitule son échange « Augustin (saint-) et moi ». Mon esprit grossier n’étant pas trop métaphysique, en guise de mise en jambes spirituelle, je commencerai par la deuxième partie « Pour réinventer la politique » qui est un peu un prolongement de « Ce que vivre m’a appris ».
Il y revient sur les deux grands mouvements qui ont marqué le quinquennat précédent, celui contre le mariage pour tous et celui contre la loi travail dite « el Khomri » « l’un de droite, très à droite, l’autre de gauche, très à gauche, et qui pourtant se ressemblent, tous les deux pouvant se réduire à un slogan, “gardez-nous nos illusions”. D’un côté celle de la filiation par le père, de l’autre la hiérarchie des normes. « Les deux mouvements sociaux sont, essentiellement, empreints de religiosité. Ils font référence à des principes transcendants, la Famille vue comme un asile et un monde idéalisé (…) et le Code du travail, perçu comme le dernier rempart contre un patronat soucieux de toujours moins pour les salariés (…) » Cette transcendance se retrouve avec la Nature, le Travail, l’Argent, le Savoir…
Et « chacun fait sa petite cuisine » et au nom de son système de valeurs s’autorise qui à refuser l’implantation d’un local pour sans abri dans son XVIe, qui à faucher du tabac transgénique fabricant un enzyme pour les victimes de la maladie de Gaucher, etc.
Il propose donc de réinventer la politique en introduisant ce qu’on n’ose plus appeler la démocratie participative – l’expression ayant été dévoyée par un site d’extrême-droite – disons de « nouvelles formes de débats démocratiques » qui permettent, en tâtonnant sans doute, de tenter de dégager l’intérêt général de la gangue des points de vues particuliers. L’instance qu’il suggère – des conseils économiques et sociaux de bassins – préexiste puisqu’on trouve des « conseils de développement »* greffés sur les instances intercommunautaires. Mais ces conseils sont d’une composition opaque et surtout au fonctionnement et aux préconisations quasi inconnus des citoyens concernés. Loin donc de ces CES de bassin formés de représentants de la société civile dûment identifiés et fonctionnant, sinon au consensus, du moins à la règle des deux tiers (seuls les avis recueillant 2/3 des suffrages sont validés).
Fantaisie métaphysique
Rassurons les amis et connaissances de Pascal Bouchard : non il ne se prend pas pour Jacline Mouraud – la « madone » des gilets jaunes – et ne pratique pas l’ectoplasmie pour dialoguer avec Augustin. Dialogue spirituel pas spiritiste.
Après une profession de foi athée, il conte comment, dans une librairie il avait été tenté par Les Confessions d’Augustin (saint-) et, le hasard faisant bien les choses, il tombe sur cette phrase « Étant éternel comme vous êtes, ô mon Dieu, ignorez-vous ce que je dis, ou faut-il que vous attendiez la révolution des temps pour voir ce qui se fait dans le temps ? »
S’en suit un dialogue, aux échanges vifs par moment, plus soutenus à d’autres, au ton décontracté – le tutoiement est de rigueur entre le père de l’église et celui de Tout Educ – parfois familier. Mais si la Bible bien sûr et Moïse sont convoqués par l’un, Kant et Einstein le sont par l’autre. Et Homère, Montaigne, Molière, Hugo, La Fontaine, Proust, etc. qui donnent la joie de dialoguer avec eux par-delà les temps et la mort.
Temps et éternité, temps-espace, temps qui s’écoule – à peine est-il qu’il n’est plus – débouchent, après la septième de Laurent Binet, sur une huitième fonction du langage, « celle qui permet que nos existences s’inscrivent dans la durée, malgré le temps qui passe. C’est le langage, et non pas Dieu, qui nous assure de la permanence de nos êtres. »
Inutile d’essayer de résumer cette fantaisie car, derrière le jeu de ce dialogue fictif, c’est aussi le jeu intellectuel de l’échange d’argumentations. L’art de Pascal Bouchard est de rendre fluide, accessible des spéculations métaphysiques, a priori ardues. Et bien qu’il nous invite au plaisir de picorer un texte – faisant ainsi d’Augustin un précurseur de Freinet – il faut bien sûr suivre de près cette joute pour en goûter tout le suc intellectuel. Ça se lit d’une traite, 41 pages en tout, une trentaine pour Augustin (saint-) et moi, mais ça peut et ça doit se relire pour en tirer toute la substantifique moelle.
* Constitué de citoyens bénévoles et de représentants de différents milieux (économiques, sociaux, culturels, éducatifs, scientifiques, environnementaux et associatifs), le conseil de développement permet de faire émerger une parole collective sur des questions d’intérêt commun, et ainsi de contribuer à enrichir la décision politique.
Les réunions et réflexions s’organisent autour de 5 commissions :
- Schéma de Cohérence Territoriale - Projet de Territoire
- Économie
- Communication
- Santé-Social
- Art, culture et sport
Editions FABERT 9 €
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