Les avocat-e-s avec leur élégant lancer de robes ont été imités avec plus ou moins de bonheur. Passe encore le lancer de blouses blanches des personnels médicaux. Mais le lancer de manuels scolaires, fussent-ils périmés, par-dessus une grille rectorale, outre que ça relève plus de l’épreuve athlétique que de la discipline artistique initiée par le barreau, fait mauvais plagiat.
Et grand moment comique quand, imitant eux aussi les avocats et les personnels hospitaliers, des ouvriers du Mobilier national sont venus déposer leurs outils devant leur directeur prononçant les traditionnels vœux.
Sans doute pour nous pousser à lire un récent rapport de la Cour des comptes - Le Mobilier national et les Manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie : une institution à bout de souffle – qui décrivait leurs terribles conditions de travail.
Ainsi s’agissant des manufactures, les jours employés au tissage s’élèvent en moyenne à 150 par an, avec un plus haut de 176 en 2013 pour l’atelier de basse lisse de Beauvais et un plus bas de 120 en 2015 pour celui de Paris. S’agissant des ateliers de restauration, la moyenne du nombre de jours travaillés varie entre 120 et 130 par an.
On comprend que, soumis à un tel régime, le taux d’absentéisme soit singulièrement élevé : « le nombre de jours d’absences pour raisons de santé constaté en moyenne entre 2014 et 2017 varie entre 16,9 et 18,4 jours, à comparer à 12,3 jours dans la fonction publique d’État. (…) 50 % des jours de congés pour maladie ordinaire sont le fait de 12 % des agents. »
Faut-il parler du temps de travail ? En principe de 36h, mais bonifié à 38h30 (ouvrant droit à 12 jours de RTT), avec les pauses, « le temps de travail effectif au Mobilier national est de 30 heures par semaine ».
Et la confiance règne puisqu’aucun contrôle n’est en place. Les vilains censeurs de la Cour des comptes de commenter « Cette absence de contrôle est d’autant plus dommageable que les agents sont autorisés à utiliser les ateliers pour effectuer des travaux personnels, aussi bien pour leurs besoins propres que pour se constituer des compléments de revenu. »
Parmi les cas emblématiques de ces dérives, figure notamment un des agents de l’ARC, qui exerce, par ailleurs, une activité libérale en ville. Absent plus de 14 semaines par an entre 2014 et 2017, il a fait en 2015 l’objet d’une sanction disciplinaire sur le triple motif d’activité non déclarée, de non-respect des horaires et des perturbations qu’il provoquait dans les travaux de l’atelier, en exerçant parfois son activité privée par téléphone durant les heures et sur les lieux de travail. Il a ensuite demandé à être autorisé à cumuler son activité privée et son emploi public, ce qui lui a été accordé sur avis favorable du Mobilier National pour une année renouvelable le 3 septembre 2015. Cette demande mentionnait une rémunération mensuelle de 362 €. Cette autorisation n’a pas été renouvelée, mais l’agent n’en a pas moins continué à exercer ; il a formulé une nouvelle demande en février 2018, pour deux samedis par mois, alors qu’il pratique, selon les « Pages Jaunes », du lundi au samedi de 9h à 21h30. Cette situation dure depuis une trentaine d’années.
Extrait du rapport
Et ces techniciens d’art l’exercent, leur art, avec peut-être un sens de l’initiative trop poussé. « Ainsi, [les agents de l’atelier menuiserie n’ont pas hésité] à opérer, contrairement aux procédures en vigueur, sans que le conservateur ou l’inspecteur en charge de la partie correspondante des collections ait préalablement validé leur plan d’action. Tel fut le cas, le 17 novembre 2016, pour la restauration d’un des huit sièges « Vaudreuil », partie d’un ensemble réalisé par le plus grand menuisier en sièges du règne de Louis XVI, Georges Jacob, dont il constitue le chef d’œuvre. Il en résulte qu’un de ces fauteuils, estimé aux environs d’un million d’euros en considération de sa rareté et de son extrême qualité, a vu sa valeur amputée dans une proportion inconnue. »
À bas les cadences infernales
Productivité serait, s’agissant des manufactures, un gros mot ! « La production quotidienne moyenne par personne employée à une opération de tissage au sein d’un même atelier varie amplement d’un trimestre sur l’autre : de 100,8 à 53,8 cm² aux Gobelins entre les deuxième et troisième trimestres 2015 ou de 73,4 à 164,4 cm² pour l’atelier de basse lice de Paris entre les premier et deuxième trimestres 2017. La productivité de l’atelier de basse lice de Beauvais est en moyenne de 150 cm² par licier et par jour quand celle de Paris n’est que de 75 cm², cependant que dans les ateliers privés d’Aubusson, manufacture privée, elle est en moyenne de 500 cm². »
Gageons que nos techniciens d’art ont vite repris des outils fort utiles à leurs travaux personnels…
* Le Mobilier national et les manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie (MNGBS) :
le Mobilier national, institution héritière du garde-meuble de la Couronne, est en charge de l’ameublement des lieux de pouvoir, et des manufactures de production d’œuvres textiles (tapis, tapisseries et dentelles), historiquement vouées à pourvoir cette fonction d’ameublement en tapis. Lui ont également été adjoints les ateliers de dentelle d’Alençon et du Puy, et, ultérieurement, l’Atelier de Recherche et de Création (ARC) créé en 1964 à l’initiative d’André Malraux.