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2 juillet 2017 7 02 /07 /juillet /2017 14:27

Je croyais lire un mauvais livre. Je ne sais pas ce qui m'a pris de demander ça pour mon anniversaire. Et comme je me méfiais, j'ai aussitôt acheté un bon vieux polar. J'ai posé les deux sur ma table de chevet, et j'ai ouvert le premier. Je n'ai rien compris. Ça commence par une sombre affaire de procès. Le narrateur attaque, ou est attaqué par un de ses pairs qui prétend marcher devant lui. Ça dure des pages et des pages, avec des arguties juridiques de l'ancien temps, et le récit de toutes les ruses que le héros et ses amis déploient pour contrer l'énergumène qui prétend avoir sur eux la préséance. J'ai refermé le livre et je me suis dit que je ne le rouvrirai pas. Je l'ai rouvert le lendemain soir. Suite du procès. Cette affaire de cornecul, pour appeler les choses par leur nom, dure et dure encore. Maintenant, c'est le magistrat qui est corrompu, et qu'il faut tenter de faire démettre. Non, je n'irai pas plus loin. Je l'ai repris le lendemain soir, et ainsi de suite. En deux mois, j'ai lu plus de 700 pages.

Il s'agit le plus souvent de savoir qui a le droit, ou n'a pas le droit, au titre d'altesse, qui a le droit de rester couvert, ou au contraire découvert, devant le roi, qui a le droit de monter dans le carrosse de qui... Il y a aussi des récits de batailles, mais sans carte pour suivre les mouvements des armées, et sans lexique pour savoir qui est avec qui, où sont les gentils, où sont les méchants, c'est totalement incompréhensible. Le plus souvent, "je" nous donne toute la généalogie de ceux qui, cette année là, se sont mariés, à moins qu'ils ne soient passés de vie à trépas. Aucun intérêt, sauf que je continue de lire, que je n'arrive pas à m'en détacher.

L'auteur n'est pas non plus très sympathique. Réac, dévot, lèche-cul du roi et écrivant de lui tout le mal qu'il en pensait, mais après sa mort, pour ne courir aucun risque.

Et un style pour le moins étrange, une langue déjà un peu ancienne de son temps, mais d'une souplesse telle qu'on s'y perd, les pronoms sont si loin des noms qu'ils remplacent qu'on ne sait à quoi il faut les attacher, qu'on perd le fil.

Il faut avouer que certains portraits sont d'une méchanceté tout à fait réjouissante. Au hasard : " M. de Brissac savait beaucoup et avait infiniment d'esprit, et des plus agréables, avec une figure de plat apothicaire, grosset, basset, et fort enluminé. C'était de ces hommes nés pour faire mépriser l'esprit et pour être le fléau de leurs maisons : une vie obscure, honteuse, de la dernière et de la plus vilaine débauche, à quoi il se ruina radicalement à n'avoir pas de pain longtemps avant de mourir (...)"

« .... À soixante-sept ans, il s'en croyait vingt-cinq, et vivait comme un homme qui n'en a pas davantage. Au défaut de bonnes fortunes, dont son âge et sa figure l'excluoient, il y suppléait par de l'argent, et l'intimité de son fils et de lui, de M. le prince de Conti et d'Albergotti, portait presque toute sur des moeurs communes et des parties secrètes qu'ils faisaient ensemble avec des filles. Tout le faix des marches et des ordres de subsistances portait toutes les campagnes sur Puységur, qui même dégrossissait les projets. Rien de plus juste que le coup d'oeil de M. de Luxembourg, rien de plus brillant, de plus avisé, de plus prévoyant que lui devant les ennemis, ou un jour de bataille, avec une audace, une flatterie, et en même temps un sang-froid qui lui laissait tout voir et tout prévoir au milieu du plus grand feu, et du danger et du succès les plus imminent, et c'était là où il était grand. Pour le reste, la paresse même: peu de promenades sans grande nécessité; du jeu, de la conversation avec ses familiers, et tous les soirs un souper avec un très-petit nombre, presque toujours le même, et si on était voisin de quelque ville, on avait soin que le sexe y fût agréablement mêlé. Alors il était inaccessible à tout, et s'il arrivait quelque chose de pressé, c'était à Puységur à y donner ordre. Telle était à l'armée la vie de ce grand général, et telle encore à Paris, où la cour et le grand monde occupaient ses journées, et les soirs ses plaisirs. À la fin, l'âge, le tempérament, la conformation le trahirent.... »

Cité par Sainte-Beuve

Saint-Simon, c'est de lui, vous l'aviez deviné, dont je parle, n'a donc pas grand chose pour plaire, sinon ses rosseries. Et surtout, qu'avons-nous à faire de ces conflits de préséance, qui sont d'un ridicule achevé, mais qui mobilisent jusqu'au roi. Louis XIV semble passer plus de temps à trancher ces querelles, et à distribuer des faveurs sonnantes et trébuchantes, qu'à gérer son royaume.

Un mauvais livre... ou pas

Et puis, tout d'un coup, vous êtes pris de vertige. Et si c'était cela, l'exercice du pouvoir ? On se soucie un peu moins, aujourd'hui de savoir, qui est fils de qui, sauf pour les acteurs de cinéma, ou les vedettes de la télé, mais un "X-Mines" doit-il l'emporter sur un "X-Ponts" pour une nomination ? Et qui est en tête du palmarès des fortunes de France ? Le pouvoir, en son sein comme dans les yeux des sujets-citoyens, est d'abord une affaire de cornecul.

Saint-Simon est fascinant. Ses mémoires font 8 volumes de la Pleiade, j'achève le premier. Irai-je au-delà ? Pas sûr. Mais pas sûr du contraire. En attendant, le lirai quand même le bon vieux polar qui est resté sur ma table de chevet.

 

Pascal Bouchard

 

Mémoires de Saint-Simon

Outre Gallica (BNF) on peut consulter les Mémoires du Duc de Saint-Simon sur http://rouvroy.medusis.com/

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commentaires

V
Merci pour vos infos! Bonne continuation et bonne chance
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