Horreur et putréfaction, honte et scandale, un certain Reynié, politocrate omniprésent avec sa tambouille sondagière, comme dit Schneidermann, a osé, sur les ondes complaisantes de France Inter, lancer des attaques assez ignobles contre Mélenchon et le Front de gauche. Les taxant d’antisémitisme. Cris d’orfraie, bien sûr, du côté du Parti de gauche. Et si on y regardait de plus près.
Il faut dire que Dominique Reynié, qui dirige un think thank, Fondapol, proche de l’UMP, n’y va pas par le dos de la cuiller : "La France comprend trois foyers d'expression de l'antisémitisme très forts. Le premier ce sont les proches du Front National et les électeurs de Marine Le Pen [...] Le deuxième groupe ce sont parmi les Français musulmans [...] Et puis le troisième groupe ce sont les proches du Front de gauche et les électeurs de Jean-Luc Mélenchon 2012, où là aussi on trouve, à un degré moindre, et sur des ajustements ou, je dirais des agencements différents, l'expression d'un antisémitisme fort". "On a [dans ce 3e groupe] une adhésion beaucoup plus forte que la moyenne à des préjugés qui relèvent de cet antisémitisme anticapitaliste et antiglobalisation. Cette idée que les juifs contrôlent l'économie. Qu'il y a un capitalisme cosmopolite, que le monde de la finance est un monde cosmopolite". Et il en a rajouté une couche en s’attaquant à Mélenchon – crime de lèse-Imprecator – en rappelant ses propos sur Moscovici, à l’époque Ministre des finances, à propos de la crise chypriote : "C'est le comportement de quelqu'un qui ne pense plus en français… qui pense dans la langue de la finance internationale" clamait Mélenchon, "c'est le genre de formules qui, au fond, élasticise l'espace public et la parole", commente Reynié.
Le sondage, sur lequel s’appuie Reynié date de Novembre 2014. L’actualité hélas le remet sur le devant de la scène. Il a été réalisé par l’IFOP, présidée par Mme Parisot, qui appartient aussi à Fondapol. Intitulé L’antisémitisme dans l’opinion publique française Nouveaux éclairages, il repose sur un sondage en ligne de 1 005 personnes représentatif des Français âgés de 16 ans et plus et sur un questionnement dans la rue de 575 personnes déclarant être nées dans une famille de religion musulmane, françaises ou non, vivant en France, âgées de 16 ans et plus.
S’agissant du questionnaire en ligne il démarrait par une sorte d’échelle de Richter en soumettant aux sondés des préjugés les plus éculés de l’antisémitisme :
- « Les Juifs utilisent aujourd’hui dans leur propre intérêt leur statut de victimes du génocide nazi pendant la Seconde Guerre mondiale »
- « Les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance »
- « Les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine des médias »
- « Les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de la politique »
- « Il existe un complot sioniste à l’échelle mondiale »
- « Les Juifs sont responsables de la crise économique actuelle »
Le degré de préjugé est mesuré par le nombre de réponses positives, de 0 (pas du tout antisémite) à 6 (très antisémite).
Être ou ne pas être antisémite, telle est la question.
Nonna Mayer, sociologue (« Il faut parler d’antisémitisme avec rigueur ») objecte qu’en ne proposant que des clichés négatifs le questionnaire introduit le biais d’acquiescement systématique (« yes saying »). Bien que non expert, on est un peu pantois : comment peut-il y avoir un acquiescement systématique sur des propositions qui commencent par « Les Juifs » ? Comme si toutes les personnes d’origine juive formaient une entité monolithique ! La deuxième objection porte sur le côté binaire du questionnaire 0/1, d’accord/pas d’accord. Il ne permet pas de mesurer l’intensité, comme le fait la formulation habituelle : « Diriez-vous que vous êtes tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord ou pas d’accord du tout avec l’opinion suivante ? ».
On pourrait donc être modérément antisémite et tout aussi modérément non antisémite. « Je serais tenté de penser que les Juifs utilisent parfois la shoah à leur profit », diraient les uns ; « Je ne suis pas tout-à-fait d’accord » répondraient les autres ! Le primaire quasi primate que je suis considère avec une grande étroitesse d’esprit que souscrire à l’une quelconque des propositions c’est être antisémite.
Indicateur d'antisémitisme (nombre d'items)
Même en admettant que le ‘yes saying’ ait fait quelque ravage on peut considérer qu’à partir de deux réponses positives l’antisémitisme est avéré.
Antisémitisme et préférences politiques
Ce tableau ventile les réponses en fonction des sympathies politiques déclarées par les sondés. Bizarrement ce sont ceux qui n’affichent aucune préférence politique qui seraient les moins antisémites, suivis d’EE Les Verts. Globalement la gauche est moins antisémite que la droite. On peut supposer au Modem et à l’UDI la survivance de la judéophobie catholique contre le peuple déicide. Mais on note surtout les décrochages du Front de gauche (–17) et encore plus du Front national (-28) au degré 0 de l’antisémitisme.
Le Front National reste bien le parti antisémite de Jean-Marie Le Pen, malgré le ripolinage de la fille.
Deux groupes (qui se recoupent pour une part bien sûr, mais qui divergent un peu) sont distingués : ceux qui se disent proches du FN et ceux qui disent avoir voté pour elle en 2012.
Le FN face aux clichés antisémites
Sur tous les items, les frontistes sont très significativement au-dessus de la moyenne des sondés. On retrouve les poncifs antisémites des années 30 (banque et presse juives) auxquels s’ajoutent les propos du patriarche sur le « détail de l’histoire », reflétés dans la réponse largement majoritaire sur le statut abusif de victime.
Pas de Président juif
Les deux sous-groupes divergent ici – l’électorat mariniste serait un peu moins viscéralement antisémite que les sympathisants – mais, dans tous les cas, on est largement au-dessus de la moyenne.
Français à part entière ?
L’antisémitisme nourrit la xénophobie : les trois quarts des sympathisants du FN estiment que le Français d’origine immigrée n’est pas un Français à part entière, mais entièrement à part.
Indicateur de xénophobie
Ce tableau est déjà globalement terrifiant : la moitié des sondés estiment qu’il y a trop de maghrébins, plus d’un tiers trop de noirs, un cinquième trop d’asiatiques. La lepénisation des esprits est bien en marche. Et le FN est bien un parti xénophobe, quasi unanime à l’encontre des musulmans.
Le Front de gauche n’a heureusement rien à voir sur ce plan de la xénophobie avec le FN
Le 1er sous-groupe, celui des sympathisants déclarés, regroupe sans doute des proches du NPA et de LO qui n’étaient pas proposés en choix. Ce qui expliquerait la divergence avec les électeurs déclarés de Mélenchon en 2012.
Préjugés antisémites
Globalement les électeurs sont proches de la moyenne, tandis que les sympathisants sont significativement plus sensibles à quelques préjugés antisémites.
SIONISME, subst. masc.
Mouvement politique et religieux né de la nostalgie de Sion, permanente dans les consciences juives depuis l'exil et la dispersion, provoqué au XIXe s. par l'antisémitisme russe et polonais, activé par l'affaire Dreyfus, et qui, visant à l'instauration d'un Foyer national juif sur la terre ancestrale, aboutit en 1948 à la création de l'État d'Israël.
Sionisme religieux, socialiste. Il est (...) plus d'une sorte de sionisme: sionisme sentimental et philanthropique, sionisme « culturel », sionisme politique, d'accord seulement sur la renaissance de l'« ethnos » d'Israël et sur ses possibilités d'avenir (Weill, Judaïsme, 1931, p. 68).Ce petit livre [l'État juif] est comme le faire-part de naissance du sionisme politique, celui pour lequel Herzl luttera sans trêve, pendant les huit années qui lui restent à vivre (R. Neher-Bernheim, Hist. juive de la Renaissance à nos jours, Paris, Durlacher, t. 2, 1965, p. 372).
Ce qu'est le sionisme ?
NB Plusieurs réponses possibles.
Fondapol tend ici à relier antisionisme et antisémitisme, l’hypothèse étant que l’antisionisme expliquerait la sensibilité plus grande aux préjugés antisémites. La divergence la plus notable porte sur le caractère raciste du sionisme ; sinon pour le lobby Juif international, ils y croient moins que les verts.
Aussi Français qu'un autre
Reste que la relative porosité aux préjugés antisémites ne se traduit absolument plus en xénophobie, puisque les électeurs déclarés de Mélenchon sont plus de 9 sur 10 à estimer qu’un Français d’origine juive était Français à part entière et qu’ils sont plus de 8 sur 10 à affirmer la même chose pour les Français dits musulmans.
Ce que confirme le tableau suivant
Moins xénophobes à gauche
On est loin, très loin, de la xénophobie du FN ou même de l’UMP.
xénophobie à droite
Là, Reynié est moins prolixe : l’UMP, dans le rejet de ‘l’étranger’, est significativement au-dessus de la moyenne des sondés. Pas encore au niveau de xénophobie du FN, mais cependant en (mauvaise) voie de lepénisation.
A partir même des éléments de son étude, Reynié a donc tort de mettre sur le même plan, comme foyer d’expression de l’antisémitisme, le FN et le Front de Gauche, même s’il corrige par à un moindre degré pour le deuxième.
Les sympathisants FN sont très majoritairement xénophobes et très largement racistes et sont restés antisémites.
En revanche, ceux qui se sont déclarés proches du Front de gauche*, s’ils semblent avoir une porosité un peu plus grande à certains préjugés antisémites que les autres sympathisants de gauche, ne sont absolument pas xénophobes.
Quant au rappel des propos imbéciles de Mélenchon sur Moscovici, malgré sa défense malhabile où il feignait de confondre l’origine Juive de Mosco avec une appartenance religieuse, ils n’en faisaient absolument pas un antisémite. Son parler dru et cru, comme il dit, rappelait « le parti de l’étranger » de l’appel de Cochin, quand Chirac taxait Giscard de politique anti-nationale.
* Coquerel, porte parole du Parti de Gauche, dans sa contre-attaque a eu beau jeu de rappeler que dans un sondage portant sur un millier de personnes, les sous-divisions en sympathies politiques déclarées aboutissent à des échantillons réduits où l’intervalle de confiance devient énorme. Mais c’est le lot de tous les sondages dès, qu’au-delà de résultats globaux, ils essaient de cerner, par exemple, ceux de diverses catégories sociales.
On peut regretter - mais peut-être l'ai-je mal cherchée - que l'IFOP ne mette pas en ligne la fiche technique complète de ce sondage, avec notamment le chiffrage de chaque sous-groupe. La seule indication qu'en-deça de 40 c'est fragile est un peu courte.
NB La partie la plus controversée de l’étude est celle portant sur un échantillon de 575 personnes déclarant être nées dans une famille de religion musulmane, françaises ou non, vivant en France, âgées de 16 ans et plus, administrée en face à face dans la rue.
Selon l’observatoire des sondages, l’effectif est « insuffisant (575 sondés) pour que les résultats soient significatifs statistiquement, et encore plus lorsque 51% d’entre eux affirment par exemple que "les juifs ont trop de pouvoir en politique" (...). Autre aspect critiquable. Comme il n’existe aucune donnée permettant d’établir et définir démographiquement la population "musulmane” (la collecte de données dites "ethniques" est interdite en France), les extrapolations "maison" faites par l’Ifop à partir des données de la population "immigrée" de l’INSEE sont douteuses, comme la manière dont en pratique ont été sélectionnés ("identifiés" ?) les "musulmans" sondés. Et Nonna Mayer d’ajouter très justement que sur un sujet aussi sensible la rue n’est pas le lieu le plus indiqué pour poser des questions. »
Dominique Reynié s’est défendu en faisant remarquer que Nonna Mayer écrit sa nette préférence pour la méthode utilisée par les auteurs du livre Français comme les autres ? (Presses de Science Po, 2005). Il leur laisse donc la conclusion : « Les Français originaires d’Afrique ou de Turquie penchent plus souvent du côté des réponses présumées antisémites que leurs homologues de l’enquête miroir (…). Les écarts varient entre + 19 points pour la question sur le pouvoir des juifs en France, + 15 pour les questions sur la responsabilité à l’égard du conflit israélo-palestinien et sur “on parle trop de l’extermination des juifs”, et + 7 pour l’opinion “pour les juifs français, Israël compte plus que la France” », et plus loin : « Les actes antisémites n’impliquent qu’une proportion marginale de la population, mais force est de constater que les préjugés antijuifs ne sont pas un épiphénomène. » Autrement dit, il suggère que cette étude recoupe le sondage de l’IFOP.
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