M le magazine du Monde (27/01/2024) revient sur cette affaire de Tuam En Irlande, vers l’exhumation des 796 bébés morts dans le foyer religieux de Tuam
Que sont devenus les bébés fantômes ? s’interrogeait L’Obs en 2014. Près de 800 cadavres viennent d'être découverts dans un couvent de religieuses en Irlande. Il y avait des fœtus, bébés et enfants enterrés dans une fosse commune.
La commission, qui enquête en Irlande sur les Maisons d’accueil dirigées par des ordres religieux au XXe siècle, a informé vendredi 3 mars de la découverte d’un grand nombre de squelettes humains dans des cavités souterraines dans un centre tenu par des religieuses dans la commune de Tuam, à l’ouest du Pays.
“The commission is shocked by this discovery and is continuing its investigation into who was responsible for the disposal of human remains in this way. ”
En présentant quelques-unes de ses conclusions, la Commission sur les mères et les bébés a déclaré être choquée par cette découverte d’un grand nombre de restes humains dans 17 au moins d’une vingtaine de cavités souterraines mises à jour par les experts légistes ces dernières semaines.
Parmi ces dépouilles il y a un grand nombre d’individus dont l’âge est compris entre la 35e semaine de gestation et deux ou trois ans, a expliqué le porte-parole de la commission au sujet de ce centre de Tuam, qui fonctionnait comme maison d’accueil des mères célibataires entre 1925 et 1961.
Le gouvernement de Dublin avait mis en place cette commission en 2014 pour éclaircir cette question, depuis qu’avait été avancée la possible existence de près de 800 squelettes d’enfants dans une fosse commune dans l’enceinte d’un centre religieux des Sœurs du Bon Secours.
Centre d’accueil et de mort
En fait, ses investigations ont permis de mettre en lumière la surmortalité infantile enregistrées dans ces institutions durant le siècle dernier, les pratiques d’enterrements des défunts, les politiques d’adoption et même certains programmes de vaccination expérimentale.
Le gouvernement a estimé qu’environ 35 000 mères célibataires sont passées par un des dix centres d’accueil gérés par les ordres de religieuses catholiques depuis la création de l’état irlandais en 1922 jusqu’aux années 70.
En 2013, une autre enquête officielle avait révélé le comportement de ces religieuses catholiques dans ce qui était baptisé Magdalene Laundries (Blanchisseries ‘Madeleine’), où, entre 1922 et 1996, des milliers de femmes, enfermées, travaillèrent dans un régime de semi-esclavage et de maltraitances.
Parmi les motifs qui amenaient à cette réclusion de femmes, l’enquête cite les maltraitances familiales, une attitude immorale dont, bien sûr, les grossesses hors mariage.
Ces ‘immorales’ filles-mères, comme disait la société de l’époque, se sont donc retrouvées dans ces maisons d’accueil comme celle dirigée, entre 1926 et 1961, par les Sœurs du Bon secours à Tuam. Elles y accouchaient dans les pires conditions, restaient avec le bébé, s’il ne décédait pas, pendant un an, avant d’être envoyées dans ces blanchisseries sans leur enfant.
Le Refuge macabre !
Le scandale de Tuam avait éclaté quand Catherine Corless, femme d'agriculteur, passionnée d'histoire locale et de généalogie, avait découvert des certificats de décès sans sépultures. Elle en avait déduit que presque 800 bébés et enfants gisaient dans l’espace qu’occupait une fosse septique de ce couvent connu sous le nom du Refuge !
Cette hypothèse, contestée par des médias catholiques, a donc été confirmée.
Selon une experte, la mortalité infantile dans ces lieux se situait entre trente et cinquante pour cent (30 à 50%) durant la décade 1930-1940 du fait des dures conditions de vie et de la négligence des religieuses.
On soupçonne qu’il y ait d’autres cas comme celui de Tuam ; les enquêtes de la commission se sont donc étendues à d’autres institutions de religieuses dans le pays. En plus de la fosse de Tuam, il existait trois autres centres, tenus eux par les Sœurs du Sacré-Cœur de Jesus, maintenant fermés, qui possédaient ce qu’elles appelaient la parcelle des anges, où l’on pense que pourraient être enterrés près de 3200 enfants.
Une de ces maisons d’accueil a fourni l’argument du film Philomena, qui reçut, entre autres, quatre citations aux oscars de 2014, et qui conte les efforts d’une mère irlandaise pour retrouver son enfant, donné en adoption à une famille étasunienne, sans son autorisation.
Selon le film et le livre sur lequel il est basé, Philomena Lee s’est heurtée aux tentatives des religieuses d’entraver sa recherche. Tout permet de penser que si tous les registres de l’institution, où son fils lui a été ôté, ont brûlé, c’est qu’ils auraient fait apparaître que ces bonnes soeurs avaient retiré des bénéfices financiers de ces adoptions !
Terrible rapprochement avec les enfants volés de l’église franquiste.
Bien qu’elle soit sérieusement déconsidérée après de nombreux scandales, l’église catholique garde son emprise morale sur l’Irlande : l’IVG y est toujours interdite* !
* Le vendredi 25 mai 2018, par une large majorité, les Irlandais-e-s ont dit OUI à la légalisation de l'IVG : https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/05/26/l-irlande-rompt-categoriquement-avec-des-siecles-de-prohibition-de-l-avortement_5304876_3214.html
Pour compléter et pour les anglicistes distingués :
http://www.irishcentral.com/news/babies-bodies-finally-excavated-at-tuam-mother-and-baby-home
Voir aussi, ci-dessous, la réaction du Bureau Européen de Coordination de la Libre Pensée
En marge de la future visite du pape François :
Religion. Le pape François arrive trop tard, l’Irlande catholique est morte
En Irlande, vers l’exhumation des 796 bébés morts dans le foyer religieux de Tuam
Cette commune s’apprête à arracher de l’oubli les 796 enfants enterrés sans sépulture, entre 1925 et 1961, au sein de son foyer pour mères et bébés. L’histoire de ce « home » révèle les maltraitances dans les institutions catholiques où, jusque dans les années 1980, les femmes tombées enceintes hors mariage étaient placées.
Pourquoi les petits pensionnaires du home sont-ils morts en si grand nombre, jusqu’à trente ou quarante par an après la guerre, alors qu’ils avaient été confiés aux soins des sœurs du Bon Secours, un ordre de religieuses spécialistes des soins infirmiers ? Pourquoi reposent-ils dans l’ancienne fosse septique de l’institution et pas dans le cimetière municipal, tout proche ?
Catherine Corless cherche des réponses à ces questions depuis plus de dix ans.
Depuis 2012, elle a patiemment amassé les actes de décès des petits disparus et prouvé, cartes du cadastre à l’appui, qu’ils étaient enterrés dans la fosse septique du home. Dans quelques mois, « avant l’été prochain », espère-t-elle, les travaux d’exhumation qu’elle réclame depuis si longtemps devraient enfin commencer.
Une Eglise catholique toute-puissante
En quelques années, l’Irlande s’est métamorphosée : les églises se sont vidées, le mariage homosexuel a été légalisé en 2015, l’avortement en 2018, les Irlandais ont amené au pouvoir en 2017, puis à nouveau en 2022, un premier ministre d’origine indienne et homosexuel, Leo Varadkar. L’Irlande du XXᵉ siècle était radicalement différente : indépendante depuis 1922, elle était pressée de se distinguer du Royaume-Uni, l’ex-pouvoir colonial protestant. L’Eglise catholique y jouissait d’un pouvoir immense et imposait des règles répressives et misogynes aux femmes qui contrevenaient à ses normes sociales.
Concevoir un enfant hors mariage était à l’époque une infamie qui rejaillissait sur toute une famille. Les futures mères étaient envoyées dans des Mother and Baby Homes et séparées de leurs bébés, considérés comme illégitimes.
Environ cinquante-six mille femmes et cinquante-sept mille enfants sont passés par ces institutions entre 1922 et 1998...
Les taux de mortalité étaient effarants : la commission d’enquête a établi que neuf mille enfants nés dans ces institutions y sont morts, soit 15 % d’entre eux.
Daniel Mac Sweeney est un ex-membre du Comité international de la Croix-Rouge... Sa mission, en Irlande, va consister à extraire tous les restes humains, pour procéder aux recherches ADN à des fins d’identification et pour comprendre la cause du décès, à les rendre à leurs familles, si celles-ci se manifestent, et à leur donner une sépulture respectueuse.
Dans le home de Bessborough, près de Cork, plus de neuf cents enfants sont morts entre les années 1920 et 1960. Plus de mille enfants ont disparu à Sean Ross Abbey (comté de Tipperary), institution gérée comme Bessborough par la congrégation des sœurs du Sacré-Cœur. Pourtant, aucune enquête approfondie n’a été lancée.
Extraits
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