"Une" de Libé 07/10/2010
« La Ville s'autocensure à l'avance en disant “peut-être que des gens vont protester”. Si on commence à faire cela, on ne fait plus rien. Je suis scandalisé, c'est vraiment intérioriser la répression et la censure».
Vive discussion au Conseil municipal de Paris, car la ville a décidé d’interdire une exposition du photographe et cinéaste Larry Clark, aux moins de dix-huit ans.
Principe de précaution rétorque l’adjoint à la culture parisien. Le « NOM » - nouvel ordre moral – est, en effet, en marche. Ainsi, la diffusion du Baiser de la Lune, film d’animation ayant pour but de prévenir l’homophobie, chez les élèves de fin de primaire, a été attaquée par des associations bretonnes, au prétexte qu’évoquer l’homosexualité serait inciter les enfants à devenir homosexuels ! Exemple extrême ?
En octobre 2000, une exposition à Bordeaux, intitulée Présumés innocents, montrant la représentation de l’enfance à travers des œuvres contemporaines, saluée par la presse locale, avait fait aussi l’objet d’une plainte ; suite à des visites de classe, donc avec encadrement professoral et contexte pédagogique, une association de protection de l’enfance La mouette attaquait pour « diffusion d’images pornographiques » et « corruption de mineurs ». Dix ans après, l’affaire n’est pas close, car l’association déboutée a fait appel en cassation !
Même le pauvre David Hamilton, avec ses nus éthérés de jeunes filles en fleur, dans des paysages provençaux, se voit accusé, chez les anglo-saxons pudibonds, de pornographie enfantine.
« Je me suis moi-même retrouvée à devoir interdire aux mineurs l'accès aux photos de David Hamilton (dans la Biennale de Lyon en 2007). Ces mêmes images, diffusées jusque-là en grand nombre dans les carteries et grandes surfaces, étant devenues proprement immontrables. Cette décision "curatoriale" relevait à la fois d'un acte d'autocensure mais aussi d'un geste critique qui consistait à montrer l'évolution dans cette dernière décennie d'une société amnésique et liberticide. » témoigne Stéphanie Moisdon, une des organisatrices de l’exposition bordelaise « Présumés innocents ».
Lewis Carroll – le pasteur Charles Dogson – serait poursuivi aujourd’hui pour création et détention d’images pédophiles.
On peut donc comprendre que, n’en déplaise à Sylvain Garel, le Vert, qui, en toute solidarité, se paye Christophe Gérard, l’adjoint à la culture, de la majorité municipale parisienne dont il est censé faire partie, la prudence puisse paraître s’imposer à des élus qui n’ont pas envie de traîner dix ans de contentieux avec des cagots acharnés. D’autant que l’argument employé est que, comme se sont des ados représentés dans l’expo, ils devraient être le « public privilégié » des œuvres de L. Clark. A ce compte, les fillettes de dix ans devraient être le public privilégié de la photo de Brooke Shields, maquillée comme un camion d'occasion, posant nue pour Gary Goss.
Car Larry Clark n’a absolument rien à voir avec David Hamilton et ses évanescentes beautés. Pour lui les photos de ces jeunes adolescents de Tulsa sont un peu l’évocation de sa jeunesse.
"Je suis né à Tulsa, Oklahoma en 1943. j'ai commencé à me shooter aux amphétamines à 16 ans. Je me suis shooté tous les jours, pendant trois ans, avec des copains, puis j'ai quitté la ville mais je suis revenu. Une fois que l'aiguille est rentrée, elle ne ressort plus."
Larry Clark, Tulsa, 1971.
Ses ados boivent, se piquent, baisent et flirtent avec le suicide. Dans un de ses films, Ken Park, il se concentre sur ses thèmes favoris, avec toujours les ados comme sujets : suicide, masturbation, triangle, inceste…
« Mais la liberté de déranger de l’artiste [doit être considérée] comme inaliénable. Il doit être la mauvaise conscience de son temps. Dans cette idée-là, le tabou de la représentation de la sexualité adolescente étant l’un des plus forts, certains artistes ont donc presque pour mission d’en parler. Passer à côté serait d’une certaine manière passer à côté de la représentation du temps. »
Quentin Girard.
L’attitude de la mairie de Paris peut être jugée frileuse. Mais, c’est l’aggravation de lois qui ne visaient au départ que la pornographie, sinon pure, du moins dure, et non les œuvres d’art, qui, avec l’air sécuritaire et pudibond régnant, laisse place libre aux procédures des associations tartuffes.
Pour compléter :
http://www.slate.fr/story/27717/larry-clark-nudite-interdit-mineurs
http://leblogducorps.canalblog.com/archives/2008/10/25/11092619.html
http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=3416
Deux entretiens avec les réalisateurs de Ken Park :
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