Partant d’une formule prêtée à E. Macron sur le danger d’une « radicalisation de la laïcité », Yvon Droumaguet, dans un point de vue (Ouest-France, 06/01/2018 : Laïcité et radicalisation), de glissement en glissement, en vient à opposer une laïcité "ouverte" laxiste à une "laïcité républicaine", rigoureuse, la seule, la vraie !
Cette formule, radicalisation de la laïcité, est un raccourci, pas très heureux au demeurant, pour désigner tous ces ayatollahs d’une fausse laïcité qui chassent le foulard sur la tête des étudiantes ou des mamans volontaires pour accompagner une sortie de gosses de la maternelle.
A juste titre est rappelée la Constitution dont l’article 1 mérite d’être cité : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances… ». Est mentionnée aussi la Loi de 1905 avec son article 1, mais outre que la République assure la liberté de conscience, elle garantit aussi le libre exercice des cultes.
La République est a-religieuse. Si la République ne reconnaît aucun culte, cela veut dire, non pas qu’elle ignore leur existence, mais qu’elle se situe en dehors du domaine religieux, contrairement au régime concordataire qui avait cours (et qui subsiste d’ailleurs en Alsace-Moselle). La conséquence est que les agents des services publics sont astreints à une totale neutralité, dans l’exercice de leurs fonctions.
Et dire que c’est la République qui est laïque et non la société, veut dire que cette obligation de neutralité ne s’impose pas aux citoyens dans l’espace public. Et non pas, comme l’assène l’auteur, prôner un communautarisme honni ! Car contrairement à ce qu’il affirme si la croyance, ou pas, est affaire de choix personnels, donc relevant du plus intime, bien que soumis, comme tout choix aux aléas d’une éducation, d’un milieu, etc., ces croyances ou convictions ont le droit de s’exprimer dans l’espace public.
Le débat sur ce point au moment de la discussion de la loi de 1905 a été éclairant. L’Article 25 (devenu 27) dans sa rédaction initiale, édictait que les églises, séparées de l’état, « n’ont pas le droit d’emprunter la voie publique pour les manifestations de leur culte » car elles imposeraient ainsi « aux indifférents, aux adeptes des autres confessions religieuses le spectacle inévitable de leurs rites particuliers. » Les députés catholiques eurent beau jeu de clamer que « quand l’ordre public n’est pas en danger, il y a un autre intérêt qui s’impose, c’est celui de la liberté. »
« La laïcité n’est pas une simple tolérance, trop souvent réduite à l’acceptation, un rien dédaigneuse, de l’erreur de l’autre. Elle n’est pas non plus une option, une alternative à la croyance. On peut être croyant, athée, agnostique, voire indifférent dans une République laïque. La laïcité n’est pas un courant culturel, une famille spirituelle, comme une religion ou une philosophie. La laïcité n’est pas une idéologie, une prise de partie sur la conception que l’on se fait de la sociabilité souhaitable, de l’avenir désirable. La laïcité est le principe juridique et politique qui permet la cohabitation paisible de ces différents courants idéologiques. Elle n’a de sens que comme garantie d’un vouloir vivre ensemble harmonieux, d’une sociabilité apaisée, d’autant plus utile que la société gagne en diversité culturelle ou cultuelle. »
La laïcité : une émancipation en actes Ligue de l'enseignement
Quant aux « accommodements », Aristide Briand, le maître d’œuvre de la Loi de 1905, fut le premier à les pratiquer en amendant sa propre loi afin de forcer l’église catholique à rester dans la légalité malgré elle. Et la République de 2018 s’accommode du concordat maintenu dans 3 départements métropolitains et de nombreux accommodements ont cours dans l’ultra-marin, comme on dit (Guyane, Mayotte, Nouvelle Calédonie, Wallis-et-Futuna...).
Ce point de vue relève donc, non pas d’une défense d’une prétendue "laïcité républicaine" opposée à une "laïcité ouverte" (comme si la laïcité ne pouvait être autre qu’ouverte, « libérale » disait Briand), mais de la défense d’une fausse laïcité liberticide.
NB Le ‘philosophe’ invoque une laïcité républicaine des Lumières ! Et il invoque aussi l’idéal des Lumières, idéal politique de citoyens égaux et éclairés, idéal humaniste d’individus exerçant librement leur esprit critique. Le mot même d’idéal indique bien que c’est un objectif- une ‘lumière’ - vers lequel nous devons tendre, sans jamais l’atteindre.
Et les humains qui forment nos sociétés ne sont pas ces individus abstraits, mais des êtres de chair et de sang, malheureusement plus souvent guidés par leurs émotions que par la raison, inclus dans de multiples appartenances, avec leur histoire, leur vécu, leurs convictions, leurs engagements, leur ancrage familial, amical, local, professionnel, associatif, politique, etc. Et, pour plagier Jaurès, s’il faut aller vers l’idéal, il faut d’abord comprendre le réel.
La Loi qui à un moment donné règle le vivre ensemble évolue, comme la société. Les grandes lois sociétales – divorce, contraception, IVG, mariage pour tous – le démontrent. Et s’il y a un combat laïque c’est bien celui qui va s’engager en 2018 sur la Bioéthique.
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