"Notre mission sur la Terre est de transformer le monde en immense bordel"
La redécouverte de l’œuvre de ce « facteur Cheval de la jarretelle » risque de faire frémir tous les pourfendeurs de la prétendue « théorie du genre ». Molinier, pour autant qu’elles existaient à son époque, n’a pas dû lire une ligne d’une quelconque gender study. Mais cet adepte du transformisme, masochiste, s’est plu et complu à se photographier en porte-jarretelles, bas et talons aiguilles, parfois ornés d’un éperon-godemiché ! Se définissant comme lesbien, il a su captiver des belles sulfureuses, comme Emmanuelle Arsan ou Hanel Koeck. Et ce provocateur, non content de se faire censurer à titre posthume, par le Maire de Bordeaux, Alain Juppé, qui interdit une expo, avait réussi à choquer, André Breton, le « pape du surréalisme », de son vivant.
Il est né un vendredi saint, de surcroît vendredi 13, en avril de 1900 ! Fils d’un peintre, mais en bâtiment, et d’une couturière, il a été scolarisé chez les « chers frères » des écoles chrétiennes.
Dès 13 ans, il devient apprenti chez son père, tout en suivant des cours du soir à l’école des beaux-arts d’Agen.
Premier épisode sulfureux : sa sœur cadette, Julienne, est victime de la grippe espagnole en 1918 ; il la photographie sur son lit de mort ; et il prétend avoir dénudé ses jambes, couvertes d’une robe de communiante, et avoir joui sur elle lui donnant le meilleur de lui-même.
Installé à son compte, à Bordeaux, comme peintre en bâtiment, il expose ses premières toiles en 1927 puis, en 1928, fonde une société des artistes indépendants bordelais. Sage peinture de paysages, puis une évolution vers le post impressionnisme voire l’abstraction.
Mais il commence à s’éloigner des sages toiles, quand il annonce avoir reçu la visite d’envoyés du Dalaï-Lama l’incitant à reproduire des mandalas. Puis en 1950, après que sa femme l’a quitté, lasse sans doute du défilé de ses maîtresses, il érige sa « Tombe prématurée » surmontée d'une croix noire portant comme inscription: « Ci-gît Pierre MOLINIER né le 13 avril 1900 mort vers 1950 Ce fut un homme sans moralité il s'en fit gloire et honneur Inutile de P.P.L.[prier pour lui] ».
Et la rupture publique avec le monde des arts bordelais aura lieu en 1951 quand Le grand combat sera censuré au salon des artistes indépendants bordelais. Il voilera le tableau et clamera : « Allez donc enfanter dans la nuit par le coït honteux, seul permis par la morale publique faite à l'usage des cons! Que me reprochez-vous dans mon œuvre ? D'être moi-même ? Allez donc, vous crevez de conformisme ! Vous êtes des esclaves ! ».
Il broie ses pigments lui-même, mélangeant les poudres à son propre sperme, obtenant des glacis d’une transparence inégalable et se plaisant à dire : "Je mets sur mes tableaux le meilleur de moi-même".
Mais quatre ans plus tard c’est la revanche : André Breton se prend de passion pour ses œuvres magiques !
« Vous êtes aujourd’hui le Maître du Vertige, d’un de ces vertiges que Rimbaud s’était donné à tâche de fixer. Les photographies jointes sont aussi belles que scandaleuses, à l’unisson de tout ce que vous m’avez déjà fait entrevoir de votre oeuvre. J’ai sous les yeux le Château magique que vous m’avez adressé (…) Mais peut-être ai-je été en profondeur assez touché par votre premier envoi pour que s’ouvrît chez moi cette fenêtre bleue qui donne sur l’éperdu ».
André Breton à Pierre Molinier le 13 avril 1955 (le jour même de son anniversaire)
Du coup le voilà sacré surréaliste, exposé dans la galerie de Breton, A l'Etoile scellée, collaborant à la revue Le surréalisme, fréquentant la poète Joyce Mansour et les peintres surréalistes Clovis Trouille et Gérard Lattier.
Sa vie privée ne manque pas de piquant, puisque, après que sa fille Françoise, dont il est amoureux, l’a quitté, qu’il ait acheté un bar louche à une fille naturelle Monique, tapineuse notoire, il a une violente altercation avec sa femme et tire des coups de feu au-dessus de la tête d’un cousin, ce qui lui vaut un mois de prison en 1960, puis une condamnation et un divorce à ses torts !
En 1965, son tableau Oh!... Marie, mère de Dieu (où deux femmes pratiquent une fellation et une sodomie sur un Christ crucifié) est refusé à l'Exposition Internationale du Surréalisme.
Mais il semble qu’André Breton a encore plus été choqué par l’envoi de photo-montages d’auto-fellation.
« Je me baise moi-même, vous êtes au courant. J'ai fabriqué un instrument qui me permet de me faire des pompiers. C'est le seul au monde ! J'ai mis deux ans à l'inventer. Comme les yogis, j'ai passé 18 jours à ne rien manger d'autre que mon sperme. Les yogis appellent ça le circuit. C’est-à-dire que vous avalez, et donc ça vous nourrit. »
Entre temps, en 1964, séduit par son premier livre, il contacte Emmanuelle Arsan, qu’il appellera toujours de son vrai prénom Marayat.
"Emmanuelle Arsan : auteur petit-bourgeois de romans érotico-exotiques (…) Quelque chose en elle fascine Molinier comme tous les surréalistes : une (timide) tentative de féminisation consciente de l’érotisme, et surtout, une indéniable beauté physique."
Molinier reprend des photos de Théo Lesoualc’h que lui transmet Marayat-Emmanuelle et qu’il retravaille et re-photographie. En retour il lui fera cadeau de nombreuses œuvres. Est-ce elle l’héroïne d’une fellation qu’il met en scène et que l’on retrouvera dans le fond Molinier d’Emmanuelle Arsan, l’art du maquillage cher à Molinier ne permet pas de l’affirmer.
S'agit-il de Marayat-Emmanuelle ? En tout cas il lui a envoyé ce cliché avec des indications techniques au dos.
Une autre muse tiendra un grand rôle dans sa vie et son œuvre : Hanel Koeck, une étudiant d’art allemande qu’il a rencontrée en 1967. Elle a 22 ans, lui 67. Seule, ou avec lui et avec des mannequins, Molinier en a fait une icône de l’androgynie juvénile.
Hanel Koeck a aussi été l’héroïne, comme en écho au blasphématoire à Oh ! Marie… mère de Dieu, d’une performance de l’artiste viennois Herman Nitsch, où elle est aussi crucifiée et sodomisée, dans la 31e action de l’Orgien Mysterien Theater, performance dont elle envoie les photos à Molinier.
Tirages argentiques d'époque, d'après des photographies de Ludwig Offenreich qui ont été retouchées à l'encre par Pierre Molinier et rephotographiées.
Pierre Molinier à notamment rajouté les clous et les gouttes de sang à l'encre sur les tirages originaux.
Molinier ne fut jamais à court de modèles et complices féminines. Posant pour lui parfois avec l’accord du mari ou amant. Ainsi de cette Claire que le mari photographie à côté de Molinier, qu’elle dépasse d’une bonne tête, avant qu’il ne se penche pour lui embrasser les cuisses sous la mini jupe.
Outre une Colette, une Marie-Thérèse, on découvre une Xavière Gauthier – dite « Petit vampire » car elle mordait les tétons de l’artiste jusqu’au sang, ce que le masochiste appréciait. Il photographiera aussi des transformistes de son genre, comme Luciano Castelli, et un transsexuel authentique.
Mais le centre de sa création fut avant tout lui-même. Mon cul, mes jambes – il en fit un film – il se met constamment en scène dans ses photo-montages.
Technique du photomontage
Rappelons la méthode de l’artiste. Molinier découpe au ciseau les épreuves de ses portraits et de ses autoportraits. Puis avec des jambes, des bras, des têtes, il recompose des corps selon les canons de son esthétique idéale. Une fois le collage terminé, il le photographie, puis démonte l’ensemble pour de nouvelles compositions. Ce qu’on appelle photomontage chez Molinier est donc la photographie d’un collage, voire le contretype de cette photographie du collage original.
Technique de collage
Au début vers 1955, Pierre Molinier colle intégralement toutes les pièces découpées. Il adore le scotch qu’il utilise abondamment au dos des montages-collages. Il se contente bientôt d’un point de colle (pour mieux démonter en vue du réemploi des fragments découpés).
Très vite la méthode combine découpage, emboîtage des membres et colle ou scotch. Vers 1964-1965, pour les montages les plus élaborés, Molinier dispose à plat sur un tapis mousse les fragments découpés puis plaque une vitre maintenue en place par des pinces à dessin métalliques. Il photographie alors l’ensemble à travers la vitre. Puis, après photographie, récupère facilement les « morceaux » en vue d’autres compositions. On comprend que Molinier ait préféré le terme de « montage» à celui de « collage ». On sera ainsi passé du collage intégral des débuts au plaquage sans colle sous vitre.
D'après le catalogue Drouot
Après l’altercation de 1960, deux experts psychiatriques commis pour l’examiner le décrivent comme de la catégorie du déséquilibré supérieur, puisqu’il exprime, sous une forme artistique, son angoisse et son manque d’harmonie. Pervers polymorphe dira de lui un neurobiologiste.
Alors transgenriste avant l'heure ?
Hypomanie, exhibitionnisme, masochisme... l’univers érotique de Molinier est celui d’un transvestite fétichiste, où le travestissement est le fétiche même, pour Claude Esturgie.
Il se veut à la fois femme et homme, femme phallique !
Il se suicide d'une balle dans la bouche, le 3 mars 1976, vers 19 heures 30.
« Je soussigné et déclare me donner volontairement la mort, et j'emmerde tous les connards qui m'ont fait chier dans toute ma putain de vie. En foi de quoi je signe, P. Molinier. »
Il avait fait don de son corps qui est transféré à l'Institut médico-légal puis à la Faculté de Médecine de Bordeaux. Après dissection, ses restes seront inhumés dans un cimetière bordelais.
Pour compléter ce courriel de PL qui est le fauteur de cet article :
D'un artiste canadien, Bruce Labruce, visiblement inspiré par Molinier, cet hymne aux jambes : Legs
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