Les jardins de mon père
On a jamais parlé mon père
ni de toi au fond ni de nous
cherchant temps et mots pour le faire
on a loupé ces rendez-vous
Tu es parti en me laissant
de ta longue vie que l'écume
ces petites choses flottant
sur un fond d'amertume.
Ton visage dans la glace
moutonnant de savon
toujours bien à ta place
ton opinel marron.
Ton vélo matinal
tes silences aux repas
ta sieste sur le journal
sur un coin d'formica.
Ton poste sur le frigo
Zappy max les mille francs
Quitte ou double les infos
plus un bruit les enfants.
ton cahier de chansons
des banquets ou dimanches
Nuit de chine Madelon
Frou Frou les roses blanches.
Ton cirque Amar Pinder
et la piste aux étoiles
trapèze ou écuyère
tes bravos sous la toile.
Ton pot à tabac gris
et tes sachets de graines
ton carnet à semis
météo des semaines.
tes poules et tes lapins
morts de leur belle mort
dans le fond du jardin
toute ta vie ton port.
Ta lame dans le pain
dessinant une croix
la messe Le Pélerin
tes prières à mi-voix.
Ton bon dieu dans sa boîte
qui nous a éloigné
Ton De Gaulle et ta droite
qui nous ont séparés
Ta guerre que tu as tue
tes livres d' la Résistance
ce temps qui s'est perdu
qui a fait ma naissance.
Chanson Jean-Pierre Sautreau
La chanson éveillera, dans la génération dite du Baby Boom – pic de natalité, fin de la guerre jusqu’au début des années cinquante – bien des échos. Zappy Max et quitte ou double, on pourrait y ajouter Reine d’un jour ou La famille Duraton…
Echo aussi, pour beaucoup, que ce père à la communication pudique.
Une excellente introduction au dernier opus de Jean-Pierre Sautreau « Dans le jardin de mon père »
« J’ai dû attendre quelques années avant de pouvoir, enfin, accoler un petit bout de terre à mon coin de table et alors, dans une évidente complémentarité, aller de mes rigoles de mots aux lignes poivrées des semis. » Ecriture et jardinage sont parents, écrit le préfacier. Ainsi, le jardinier-poète passe de sa table « dans la griffure des feuilles, le martèlement de l’encre », le matin au jardin « dans l’incision des carrés, l’ébruitement des graines » l’après-midi.
L’évocation de ce jardin paternel, au fil des saisons, des récoltes, avec ses outils familiers est d’abord celle d’une relation filiale, d’une communication comme impalpable, ténue et profonde.
Ce n’est qu’après son départ vers une autre vie après que l’auteur découvre ces 32 feuillets écrits au crayon de bois, début 1944, alors que son père était prisonnier de guerre : « Courts versets de l‘existence de ce jeune paysan enlevé à ses journaux de terre. » Jeudi 13 avril : après avoir arrosé mes châssis, je plante des salades toute la journée. Il a fait une belle journée. Le soir au lager je touche une carte de MJ du 14 mars. Mais, jamais, après, il ne touchera mot de ce très long exil.
Au fil des saisons et des travaux du jardin se dessine cependant le portrait de ce père taiseux. « Ça caille disait-il ou j’ai attrapé la grappe, pour dire qu’il avait l’onglée. (…) Il fallait vraiment un lever à pierre fendre pour qu’il ne file pas, même un temps bref, à son jardin, avant l’embauche. »(Février)
« Le dernier dimanche de janvier, il triait de grosses graines aplaties, sorte d’embryons ivoire. Sa collection de fèves précieusement glanées aux cosses séchées. (…) ce légume de l’âge de bronze, prisé par Pline ou abhorré par Pythagore était aussi le premier qu’il enterrait en poquets début février.(…) Quel plaisir en juin de prélever les longues capsules duveteuses et décoller de leur fourreau velouté ces fèves dont le dérobement de la première peau faisait éclater dans l’assiette un magnifique grain vert amande. »
Rapide allusion autobiographique dans l’évocation des choux : « Etais-je trognon ? Comme on le dit aujourd’hui autour des berceaux. Je n’ai pas dans l’oreille de Mon chou ou mon ptit chou susurrés par ma mère ou lui. J’ai des Bout d’chou par certains familiers. Dans les colos, quand le parisien était parigot tête de veau, j’étais le ventrachou mais pas tête de chou. »
Les petits pois, chers à Dranem, ont aussi droit à leur ode poétique, mais teintée de l’amertume du pré-ado exilé en pension. « Un jour j’ai su qu’on pouvait, plus encore, que dans la lumière blessée d’une cour, se sentir arraché des siens, dans l’égouttement d’un silence de réfectoire, le nez forcé dans des petits pois de pension. (…) Un jour j’ai su qu’on pouvait perdre l’enfance en gâchant le goût de ces petits pois frais qui sucraient mes printemps. »
Juillet et les enthousiasmes partagés avec le Tour de France « que nous suivions collés à la radio, sur la moto de Robert Chapatte ou Jean-Paul Brouchon. » éveilleront aussi des échos dans ces générations d’après-guerre.
« Le soir, dans les carrés, nous franchissions le Tourmalet dans la roue de l’aigle de Tolède Federico Bahamontes ou du grimpeur ailé Charlie Gaul. Encouragions Poupou d’une discrète poussette. Heureux équipiers, nous pédalions dans la terre, jusqu’au moment où le soleil perdait son maillot jaune derrière les framboisiers. »
« Voilà posé sur le fil de ma page, un drôle de corvidé aux fines ailes, bridées par une boucle de cuir. Je voyais toujours son bec crochu dépasser de ses poches de pantalon. Lame ovale croisant une plus épaisse en croissant. Un oiseau au poli de jais, dont la pupille saillante, me fixe latéralement.
Son dernier sécateur (…) Pour un peu, le serrant, je sentirai presque un cœur battre dans mes paumes. »
La note d’émotion pudique, bien sûr, que provoque ce sécateur est, peut-être la clé de ce livre.
Des critiques plus affirmés diront la justesse de cette prose dont les extraits ne donnent pas toute la vérité, puisque c’est dans l’équilibre de chaque texte qu’ils prennent tout leur sens.
Ce dernier opus de Jean-Pierre Sautreau unit encore le verbe de l’auteur aux oeuvres d’un plasticien. Ici les collages de Pierre Nivelle Camélus.
Recueil de 30 textes illustrés par 10 tableaux de Camelus
A commander chez l’Éditeur: Éditions Soc et Foc (voir son site)
ou chez l'auteur: Jean Pierre Sautreau 49 rue de Paris
85400 Luçon
12 €+2€ de frais d'envoi.
Vernissage et séance de signature à la Librairie Arcadie, Place du Petit Booth à Luçon le 7 décembre 2012
Photos R. et J.M. Demy
Signatures, chansons (mises en musique et interprétées par Christian Berjon) et lectures par l'auteur
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