« Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s'étaient établis à Rouen. Voilà la troisième fois que j'en vois et toujours avec un nouveau plaisir. L'admirable, c'est qu'ils excitaient la haine des bourgeois, bien qu'inoffensifs comme des moutons.
Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols, et j'ai entendu de jolis mots à la Prud'homme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d'ordre.
C'est la haine que l'on porte au bédouin, à l'hérétique, au philosophe, au solitaire, au poète. Et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m'exaspère. Il est vrai que beaucoup de choses m'exaspèrent.
Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton. »
G. Flaubert, lettre à George Sand, Croisset, vers le 15 juin 1867
« Mon camarade » en effet puisque dans les années 80 j’ai croisé dans la réunion annuelle du courant C – celui de Michel Rocard - un joyeux trio de jeunes rocardiens, Stéphane Fouks, Alain Bauer et toi-même.
Et justement, j’ai d’abord trouvé insupportable qu’à l’instar des UMPistes, tu te sois à ton tour servi d’une citation, volontairement tronquée, pour défendre tes propos sur les Roms. "Je vous rappelle la phrase de Michel Rocard: "La France n'a pas vocation à accueillir toute la misère du monde"". Sauf que, et tu ne peux l’ignorer, il ajoutait "Mais elle doit savoir en prendre fidèlement toute sa part".
Sont-ce des racines chrétiennes qui t’ont amené à affirmer que les Roms "ont vocation à rester en Roumanie, ou à y retourner" ? Oserait-on écrire que les catalans ont « vocation à rester en Catalogne » ? les bretons en Bretagne ? et notre très lointain ancêtre, l'homo sapiens, avait-il vocation à rester en Afrique ?
Quant à accueillir toute la misère du monde, tu dis toi-même : « Aujourd’hui, nous estimons qu’environ 20.000 hommes, femmes et enfants originaires de Roumanie et de Bulgarie pour la plupart occupent en toute illégalité plus de 400 campements dans notre pays… ». Les roms, comme on dit, seraient 100 000 en Italie ou dans le Royaume-Uni : nous sommes donc loin d’en prendre « fidêlement » - c’est-à-dire fidêles à nos principes – toute notre part.
Certes les propos que Le Figaro rapporte – quel choix que Le Figaro ! – sont légèrement plus nuancés que le raccourci qui a fait le bouze. Mais on ne peut te faire l’injure de te croire naïf en matière médiatique. Quand, à propos de villages d’insertion, tu déclares «Cela ne peut concerner qu'une minorité car, hélas, les occupants de campements ne souhaitent pas s'intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu'ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution », tu ne peux ignorer que ça deviendra « la majorité des roms ne veulent pas s’intégrer ». Puis, par un léger glissement, « ne sont pas intégrables ».
"La politique du « tout répression » favorise les tensions, accroît la délinquance. Et pourquoi ? Parce qu’on donne priorité à l’électoral. C’est exécrable, scandaleux.
Mais le pire, c’est que ça ne marche pas. Il n’y a d’amélioration ni sur le plan de la sécurité ni sur celui de l’immigration."
Tu es aussi de ceux qui, comme Sarkozy avec son discours de Grenoble, comme Fillon avec ses moins sectaires, quand ils ont dit une connerie, en rajoutent une louche. "Je n'ai rien à corriger, mes propos ne choquent que ceux qui ne connaissent pas le dossier" (argument d’autorité imparable). Et même, jouer la victime indignée, avec ce remarquable « insupportables » !
Je ne partage évidemment pas les stupides jugements d’un Mélenchon qui te classerait presque à la droite de la Le Pen. Ni même ceux de Bernard Defrance qui parle d’un « petit arriviste trouillard et populiste qui nous tient lieu de ministre de l'intérieur ». Certes le dossier des roms est complexe. Raison de plus pour le traiter sans déclaration à l’emporte-pièce. Que n’es-tu resté dans l’esprit de la circulaire du 26 août 2012 ?
La gauche n’a pas vocation – puisque le mot est à la mode – à être laxiste. En bon ministre de l’intérieur tu t’efforces de le démontrer. Tu te présentes en lointain héritier de Clemenceau qui se targuait d’être « le premier flic de France ». Mais il faut se souvenir que le futur père la victoire ne tolérait pas les bavures policières. A trop prendre Alliance et Synergie dans le sens du poil, tu risques d’apparaître comme le ministre de certains syndicats de policiers et des moins républicains. Et sans même en tirer bénéfice (leurs fuites mensongères alimentent la presse, voir l’affaire Méric ou Brétigny, par exemple).
Je n’ai pas vocation à jouer les donneurs de leçons : la place est déjà trop encombrée par les chroniqueurs de toutes obédiences. Juste, en tant que citoyen de base, à me poser des questions. Stéphane Fouks, le plus joyeux du trio dans mon souvenir, ne devrait-il pas te rappeler, qu’à gauche, parader dans les sondages n’est pas signe de victoire ? L’ami Bauer ne serait-il pas bien inspiré de t’aider à reprendre en mains tes troupes ? Et toi-même, te poser la question : est-ce que gagner des points volatils dans les sondages vaut le coup de renier ses principes ?
J’ai hélas tout lieu de craindre que mes propos ne passent que pour vaticinations d’un droit-de-l’hommiste – étonnant, non ?, qu’au pays qui se dit des « droits de l’homme » les défendre vaut cette appellation péjorative ? – angéliste et évidemment coupé des réalités.
Je ne suis pas sûr cependant que ceux qui clament qu’il faut renvoyer les roms en Roumanie ne pratiquent pas un déni de réalité. Car les restrictions à la libre circulation des citoyens de Roumanie ou Bulgarie vont sauter d’ici peu. Il faudra bien traiter cette question. Autant s’y mettre dès maintenant.
C’est avec des pincettes que je cite des extraits d’un article de l’Humanité signé d’un ex- secrétaire particulier de Georges Marchais, puis député PC, qui s’est donc parfaitement accommodé du « bilan globalement positif » de l’Union soviétique ! Cependant, ce n’est pas parce qu’il s’est longtemps trompé qu’il a toujours tort.
"Tu as été naturalisé français en 1982. Franco est mort en 1975. Sept ans avant ta naturalisation. Quand tu es devenu français, il n’y avait donc plus de dictature en Espagne. Tu avais «vocation» à retourner à Barcelone, en Espagne où tu es né, pour reprendre tes propos qui concernaient uniquement les Roms.
Celui qui t’écrit, en ce moment, est un Français d’origine manouche par son père. Mon père, manouche et français, est allé en 1936 en Espagne pour combattre le franquisme, les armes à la main, dans les Brigades internationales. Pour la liberté de ton pays de naissance, et donc celle de ta famille. Il en est mort. […]
Manuel, «on» a accueilli la Roumanie et la Bulgarie dans l’Union européenne alors que ces pays ne respectaient pas, et ne respectent toujours pas, un des fondamentaux pour devenir ou être membre de l’Union européenne: le respect des minorités nationales. […]
Et aujourd’hui, dans ces pays, la situation des Roms s’est encore aggravée. Pas améliorée, je dis bien «aggravée». Et ils ont «vocation» à rester dans leurs pays ou à y revenir? C’est donc, pour toi, une espèce humaine particulière qui pourrait, elle, supporter les brimades, les discriminations et les humiliations de toutes sortes? […]
Savoir accueillir et savoir faire respecter nos lois ne sont pas deux concepts antagoniques. Mais quand on est de gauche, on n’a pas la matraque en guise de cœur. C’est un Français d’origine manouche qui t’écrit et qui écrit au Français de fraîche date que tu es. C’est un fils de «brigadiste» qui se rappelle à toi. Souviens-t-en: «Celui qui n’a pas de mémoire n’a pas d’avenir.»"
Jean-Claude LEFORT
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