Le Figaro renoue avec sa grande époque investigatrice –souvenez-vous, du temps où Mougeotte publiait même la photocopie d’un interrogatoire de police - en publiant, en exclusivité, l’ordonnance de renvoi de DSK en correctionnelle pour proxénétisme aggravé. DSK, un marlou ? En marge d’émoluments confortables au FMI, il taxait des tapineuses ? Même si la notion juridique du proxénétisme semble assez extensive, on comprend que le parquet ait été un peu sceptique sur cette accusation. Et l’ordonnance semble plus empreinte de moralisme que de juridisme.
Le Canard enchaîné a eu beau jeu d’ironiser sur certains attendus de cette ordonnance. « Le Figaro (…) livre des détails insoutenables. Par exemple, les soirées libertines de DSK et de ses copains ressemblaient à de "la consommation sexuelle". Et même pire à un "carnage avec un tas de matelas au sol" ! Et ces experts d’ajouter « Il n’était nullement question de libertinage, mais d’abattage ».
Certes, DSK n’a pas l’élégance et le raffinement d’un Sir Stephen, dans Histoire d’O. Mais on conviendra cependant que, malgré la brutalité que lui prêtait Anne Mansouret, la mère de la célèbre Tristane Banon, il n’a jamais marqué, de ses initiales, au fer rouge (tel un gardian, les taurillons de sa manade) le fessier d’une de ses victimes ou complices.
Libertinage ou abattage ?
Et s’agissant d’abattage que diraient nos juges d’instruction en découvrant ces aveux d’une bénévole des partouzes :
Dans les plus vastes partouzes auxquelles j’ai participé (…) il pouvait se trouver jusqu’à cent cinquante personnes environ (…), parmi lesquelles on peut en compter un quart ou un cinquième dont je prenais le sexe selon toutes les modalités : dans les mains, dans la bouche, par le con ou par le cul. Dans [ces] circonstances (…) l’enchaînement et la confusion des étreintes et des coïts étaient tels que si je distinguais les corps ou plutôt leurs attributs, je ne distinguais pas toujours les personnes.
Pire encore :
Le parking de la porte de Saint-Cloud se trouve en bordure du périphérique (…) Je n’avais que mes chaussures aux pieds (…) on m’a plaquée contre un mur perpendiculaire (clouée par les bites, comme un papillon). Deux hommes me soutenaient par-dessous les bras et les jambes, tandis que les autres se relayaient contre le bassin auquel j’étais réduite.
Elle décrit ainsi un club échangiste, pourtant assez distingué :
C’était éclairé comme dans une salle à manger, il y avait du monde nu sur des matelas à terre...
Et peut-être a-t-elle croisé, chez Aimé, un autre club échangiste très couru, DSK en personne :
Eric m’énumérait les noms des personnalités, vedettes du cinéma, de la chanson ou du sport, hommes d’affaire que j’avais pu y connaître sans avoir suffisamment ouvert les yeux pour les reconnaître.
Et DSK, encore, l’a peut-être sodomisée, sait-on jamais ?
Pour quelle raison – période d’ovulation ? blenno ? – m’est-il arrivé, dans une partouze où (…) il y avait foule, de ne baiser qu’avec mon cul ?
(extraits de La vie sexuelle de Catherine M.)
On conviendra cependant que, si ces scènes défient la morale judéo-chrétienne, chère aux cagots, sauf dans l’exhibitionnisme d’un parking, elles n’enfreignent pas la loi. Mais l’héroïne de cette autobiographie sexuelle, Mme C. Millet, est une amatrice bénévole de l’amour au pluriel. Alors que, s’agissant de cet épisode de la vie sexuelle débridée de DSK, il s’agit de professionnelles.
Professionnelles « parties civiles » qui justifieraient l’accusation de proxénétisme !
DSK entre les mains des call-girls titre un article d’O. Toscer, dans le Nel Obs. « Deux au moins d’entre elles sont aujourd’hui parties civiles, c’est-à-dire victimes présumées dans le dossier. » Victimes de qui ? de quoi ? Fabrice Paszkowski et David Roquet, les amis de DSK qui les recrutaient, auraient-ils oublié de les rémunérer pour leurs services ? ou bien, les prestations demandées ne correspondaient-elles pas à celles qui étaient prévues ? L’une d’entre elles, Aurélie D., aurait participé à une dizaine de partouzes avec DSK, victime pour le moins consentante !
Mais le seul fait que des professionnelles, fussent-elles occasionnelles, aient participé à ces lubriques rencontres permet d’asseoir l’accusation de proxénétisme.
D’aucuns, dont je suis, avaient une image d’Epinal du maquereau qui mettait ses tapineuses sur le trottoir puis récupérait le fruit de leurs ébats tarifés. Autrement dit que le proxénète tirait profit de la prostitution d’autrui. Dodo la saumure, héros secondaire de l’affaire dite du Carlton, en étant un exemple quasi folklorique.
Eh bien non ! à la limite le client qui paye pratique le proxénétisme comme M. Jourdain la prose. Loue-t-il une chambre d'hôtel pour se partager avec un copain les services d’une « belle de jour » trouvée sur internet, qu’il devient maquereau ! En effet, si l’on en croit Le Figaro*, il est reproché à DSK d'avoir mis à disposition, pour ces soirées, un appartement qu'il louait: il aurait ainsi «accompli un acte matériel de proxénétisme», selon les magistrats ! Car « mettre à disposition un local pour de la prostitution, c'est du proxénétisme. Un arrêt de la Cour de cassation l'a établi dans la jurisprudence, en considérant qu'une prostituée qui prête sa camionnette à une collègue pouvait être vue comme proxénète.» Du co-voiturage comme un délit. La loi – sarkozyenne ? – a ses raisons que la raison ne connaît pas.
Mmes Stéphanie Ausbart, Ida Chafaï et M. Mathieu Vignau, les trois juges d’instruction ont donc passé deux ans pour que deux d’entre eux – qui se serait désisté ? – signent cette ordonnance de renvoi. DSK ayant sans doute de meilleurs avocats que la malheureuse prostituée taxée de proxénétisme pour prêt de camionnette, les cagots hyaineux risquent d’être déçus.
Mais, en marge de la future loi objet de polémique entre Valls et Taubira, est-il permis, sans être inculpé d’outrage à magistrats, de se demander si le trio n’a pas confondu sa morale et la justice ? et surtout s’il n’a pas perdu son temps sur une affaire bénigne qui n’aurait pas mobilisé tant de zèle si un des protagonistes n’avait eu la célébrité de DSK ? et ce faisant laissé traîner d’autres dossiers en souffrance ?
* Figaro qui avait déjà eu l’exclusivité du Procès-verbal de l’interrogatoire de DSK, le 26 mars 2012 à Lille : la source de cette violation flagrante du secret de l’instruction pouvait être policière ; ici, elle ne peut-être que judiciaire.
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