Sujets récurrents et chiffres mensongers* : la fameuse baisse de niveau qui n’atteint jamais l’étiage qui va se conjuguer en élèves de 6e qui ne savent plus lire ni écrire, en bacs bradés et en universités poubelles…
* Un exemple quasi caricatural de ces chiffres en est donné par Caroline Brizard du Nel Obs : dans un article sur le bac, elle osait comparer le pourcentage de bacheliers par rapport à une classe d'âge en 1936 (3%) avec celui des reçus par rapport aux candidats en 2007 (83%), ce qui n'a aucun sens.
Les 50 % d’échecs en 1ère année d’Université souvent mis en avant se transforment sous la plume de M. Y. Mény, politologue, en « quasiment une moitié des effectifs initiaux » qui « quitte les bancs de l’enseignement supérieur sans diplôme » « deux ans après ». (Ouest-France 23/08/13).
Contre vérité flagrante !
Certes seulement 52% des bacheliers inscrits en 1ère année de licence (L1) se retrouvent en L2 l’année suivante. Mais comme le rappelait le sénateur UMP, C. Demuynck, dans un rapport sur le décrochage à l’université (2011)*, "les taux d'échec, souvent soulignés, de fin de première année de licence universitaire occultent souvent une réalité bien plus positive de notre enseignement supérieur. Huit jeunes Français sur dix qui s'inscrivent dans l'une de nos formations du supérieur en sortent avec un diplôme". Et il affirmait que "la France fait partie des 'bons élèves' de l'OCDE notamment grâce à la diversité de son système, sa quasi gratuité dans de nombreux cas, son système de bourses, ses possibilités de réorientation des études longues vers les courtes."
M. Mény commet donc une lourde erreur en confondant taux d’échecs en L1 et taux de décrochage au bout de deux ans, en oubliant donc que, outre les fumistes qui traînent un peu en cours de route, beaucoup d’étudiants travaillent pour survivre, donc certains font les parcours de la Licence, non pas en 3 mais en 4, 5 voire 6 ans. D’autres vont se réorienter (BTS en alternance par exemple).
Une analyse honnête devrait aussi porter sur les bacs d’origine : les bacs généraux, bien qu’écrémés par les classes préparatoires et colonisant un peu les BTS (20 %) et surtout les IUT (60 %), ont un taux de réussite bien supérieur à 50 % ! Les échecs et les décrochages frappent donc essentiellement les bacs technos et surtout les bacs pros égarés à l’université.
Mais le politologue ne sort son chiffre inventé de toute pièce que pour attaquer la gratuité – relative – de l’université et la non sélection à l’entrée.
Du mensonge au service d’une idéologie !
* On ne soupçonnera pas ce sénateur (à l’époque) UMP d’être un affreux pédagogo comme disait élégamment J. Julliard, cependant il prône dans son rapport plus de « pédagogie » à l’Université !
En guise de commentaire, une lettre de lecteur à Ouest-France (non parue, évidemment) de J.-P. Landais
Outre les citations de l’ami GG (voir « commentaire »), j’ai reçu copie de ce courrier à Ouest-France de mon éminent collègue Jean-Pierre Landais qui, retraité actif, fait vivre l’Huma-café à Nantes. Inutile de dire que le social-démocrate, cédétiste, que je suis, ne partage pas entièrement le point de vue conclusif de J-P Landais, même s’il revendique aussi une véritable école pour tous.
N.B. Texte en gras, liens et note sont de mon fait.
« TOUS CAPABLES ! » le vrai débat !
Dans un Point de vue publié dans Ouest-France (22 mai), intitulé « Universités : le grand malentendu », Jean-Pascal GAYANT Professeur de Sciences Economiques à l’Université du Mans, réchauffe, pour résumer, le plat ancien de l’intelligence abstraite opposée à l’intelligence manuelle. On aurait pu attendre d’un universitaire de renom et ancien vice-président d’une université, dans laquelle il a accompli sa carrière depuis 1998, davantage de clairvoyance et de retenue.
Expliquer, en quelque sorte, l’échec massif en 1ère année par une organisation « absurde », qui laisse entrer des bacheliers « venus là par défaut », faute d’admission dans les filières sélectives (classes Prépas, BTS et autres), « peu à même de profiter [d’] enseignements abstraits … loin des compétences concrètes requises dans les métiers moyennement qualifiés » … « constituant ainsi une fraction non négligeable d’étudiants [qui n’a pas] le bagage intellectuel suffisant pour suivre les cours », face à des enseignants qui « ne parlent pas la même langue », est selon moi, d’une grande exagération.
Pour les avoir gérées, je considère, en ce qui concerne les filières courtes (BTS) qu’elles ne sont sélectives que parce que les places y manquent et non parce qu’elles seraient plus « faciles ». Quant au Classes Prépas, j’en ai ouvert, pendant cinq années, le recrutement bien au-delà des limites habituelles ou permises, sans diminuer leur efficacité en terme de réussite.
Mieux encore, y aurait-il une marée de bacheliers professionnels qui menaceraient les chevilles des universitaires ? Si le propos laisse planer le doute – il n’existe ni statistiques, ni analyse affinée par discipline – il y a là au moins prévention de stigmatisation !
Rien ne permet d’affirmer que Jean-Pascal Gayant n’est pas progressiste, mais laisser entendre que la seule solution soit « l’orientation sélective » en vue de placer « chaque étudiant face aux enseignants les plus aptes à les faire progresser et réussir » reste quand même parfaitement rétrograde, d’autant plus que rien n’est dit ni des étudiants (tous types de baccalauréat ?), ni des filières d’accueil, ni des enseignants (enseignants-chercheurs uniquement ?), ni des conditions sociales qui font par exemple que de très nombreux étudiants (50% ?) travaillent pour subvenir à leurs besoins.
Et pour poursuivre sur le débat actuel sur l’Université, faut-il se résumer à la seule question de l’Anglais comme langue d’enseignement ?
En pleine médiatisation du rapport de la Cour des Comptes, qui porte alors bien son nom et au moment où Vincent Peillon – qui s’en félicite ! - propose une refondation bien peu inventive dont la question des rythmes scolaires a constitué un formidable rideau de fumée, les différentes interventions ramènent toutes à la stratégie de Lisbonne (2000).
L’heure n’est pas à « moins d’école » mais au contraire à « plus d’école », une école obligatoire de 3 à 18 ans, une refonte des contenus, une avant-dernière ou une dernière année de lycée de « détermination » universitaire ou professionnelle … et pour couronner le tout une amélioration substantielle du système universitaire.
Laissons « L’Ecole Libératrice » à son niveau, fort respectable d’ailleurs, des années 50, celui du Certificat d’Etudes Primaires, faisons pour de bon un sort à « L’Egalité des Chances », miroir inversé de la méritocratie libérale !
Des champs nouveaux peuvent s’ouvrir, les bases théoriques et pédagogiques en sont déjà opérationnelles (GRDS, ESCOL, GRFDE, réseaux divers de recherche et de proposition*).
Ne ratons pas le défi d’élévation générale du niveau de connaissances !
Un projet pour l’Ecole, c’est un projet de société, ne passons pas à côté !
Jean-Pierre LANDAIS
Proviseur honoraire (au Mans, 1991-1999: Lycées Le Mans Sud et Montesquieu)
Commandeur de l’Ordre National des Palmes Académiques
* Par exemple, Education & Devenir, CRAP (cahiers pédagogiques)…
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