Politique fiction rétrospective
“La France a peur” s’était écrié Pernaut en ouverture du journal de TF1 après le massacre qui frappait une école juive de Toulouse, massacre qui faisait suite aux meurtres de trois militaires, par un mystérieux tueur. Le Figaro titrait : « Un massacre fruit de cinq ans de laxisme socialiste ». Le candidat Sarkozy suspendait sa campagne électorale et empruntait un Falcon à l’ami Bolloré, pour précéder la Présidente sur les lieux du drame, Présidente qui, ne dérogeant pas à son engagement pris après la crise de 2008 de réduire le train de vie de l’état, avait pris un avion de ligne.
Tout s’annonçait cependant bien pour la Présidente sortante qui avait fait sensation en l’emportant en 2007 d’une très courte tête, au grand dam d’une droite désemparée qui avait vu une fraction de l’UMP rejoindre l’UDF de Bayrou. Certes le début de quinquennat, avec un Bianco 1er ministre assez effacé, lui avait valu d’être traitée d’hyper-présidente brouillonne se mêlant de tout. Le scandale qui avait frappé son Ministre des finances et ex-rival, DSK, l’avait aussi affaiblie alors même qu’éclatait la crise.
Mais elle avait su se séparer d’un fidèle pour nommer Fabius à la tête du gouvernement avec un Michel Sapin aux finances qui avait géré avec maestria l’héritage Strauss-Khanien. Quant à la sécurité, le choix de Manuel Valls à l’Intérieur (conseillé par son ami du temps du rocardisme, Alain Bauer) laissait peu de place à une attaque en règle sur ce créneau cher à la droite. Et cela, malgré les frottements entre Valls et la très jeune Garde des Sceaux, Najat Vallaud-Belkacem, très à cheval sur les prérogatives de la Justice face à la police et ô combien attaquée et de la plus nauséabonde façon par les identitaires, faux-laïques en tête.
Le sémillant Montebourg, nommé de façon très imprévue Ministre de l’emploi et des relations sociales, avait su, à la surprise générale, après de longues négociations, aboutir à un quasi consensus sur la réforme des retraites. Face à la crise, elle avait pris des accents quasi-churchilliens, tandis que Fabius était à la manœuvre, avec Sapin. Un Sapin qui avait minimisé l’impact des attaques des agences de notation en faisant appel à l’épargne interne, sur le modèle japonais : les « bons du Trésor » étaient devenus le must des épargnants qui vidaient leurs bas de laine ! Bref, malgré la dissidence de Mélenchon qui avait joué les Chevènement sur un accord européen de discipline budgétaire, démissionnant avec fracas du Ministère de l'Apprentissage et de la Formation Professionnelle, la réélection se présentait sous les meilleurs auspices.
Quand la Présidente arriva sur les lieux du drame, son challenger y jouait déjà le rôle de Shadow-Président et elle sentit comme un climat de réprobation pour être arrivée si tard.
Valls prit immédiatement l’enquête en main, venant interférer avec une hiérarchie policière qui en voulait toujours à la présidente d’avoir privilégié le corps gendarmesque, en bonne fille de militaire qu’elle était. Policiers dont beaucoup étaient restés proches de l’ancien Ministre de l’Intérieur.
Meurtres antisémites, meurtres contre des militaires d’origine maghrébine : l’hypothèse d’un terroriste d’extrême-droite était tentante. Valls se garda d’y tomber qui évoqua en contre-point l’hypothèse salafiste. Mais quelques voix du PS, heureusement accompagnées par Bayrou, évoquèrent le discours de haine de la candidate F-Haine qu’orchestrait le candidat UMP, avide une fois encore de siphonner ses voix.
Vous connaissez, la suite. Les enquêteurs enfument les journalistes, avec l’aide du ministre. Un suspect est repéré. La présidente exige que ce soit le GIPN qui le capture. L’assaut du refuge du présumé terroriste se solde par sa mort et par plusieurs blessés chez les gendarmes. L’ex-commissaire Requini, surnommé bien sûr, le requin (il avait démissionné avec l’arrivée de la gauche, pour se reconvertir dans les casinos, tout en restant proche de Sarkozy), a critiqué avec sévérité ce ratage, disant que le RAID eût certainement fait mieux.
Mais surtout le tir de barrage se déclenche. Les titres assassins de Mougeotte barrent la une du Figaro. Pernaut, sur TF1, abandonne les reportages de terroirs pour des enquêtes dans tous les cafés du commerce de notre France profonde. FOG et Le Point, longtemps sceptiques sur la candidature de l’agité, comme l’avait surnommé FOG, cognent à bras raccourcis sur la sortante. L’Express n’est guère en reste. RTL et Europe 1, sans oublier RMC, se concurrencent sur le créneau. Le Monde, comme à son habitude – Valls ayant répliqué à une attaque de Copé – titre « Valls engage une polémique avec l’UMP ». Même Libé et le Nel Obs, jusqu’alors soutiens sans faille de Royal, s’inquiètent d’une campagne qui bascule. D’autant que le Ministre des Affaires étrangères, Jean-Pierre Jouyet, interrogé sur Europe 1 concède : « Je comprends qu'on puisse se poser la question de savoir s'il y a eu une faille ou pas. Comme je ne sais pas s'il y a eu une faille, je ne peux pas vous dire quel genre de faille mais il faut faire la clarté là-dessus. »
Evidemment l’UMP ne se fait pas faute de dénoncer cette faille, devenue gouffre, entre les différents services. Le « présumé coupable » comme ils disent, avait fait des séjours en Pakistan et Afghanistan, dont il avait été expulsé vers la France par la CIA. La DGSE avait donc alerté la DST qui n’avait fait qu’une note de routine aux RG ; ceux-ci, bien que connaissant l’individu pour divers petits délits, ne l’avaient soumis qu’à une surveillance distraite. La droite avait beau jeu de rappeler la décision de Sarkozy, ministre de l’intérieur, de fondre DST et RG dans un seul service, ce qui aurait permis, prétendaient-ils, une véritable surveillance.
A un article du Figaro demandant pourquoi ce djihadiste n’était pas sur écoutes, un communiqué du ministère de la Justice voulut rappeler les règles de droit qui régissent ses écoutes. La quasi-totalité des médias s’empressa d’asséner que ces fameuses règles n’avaient guère été respectées dans l’affaire Pascoup, un groupuscule identitaire, vivant dans un pseudo village Gaulois, soupçonné d’avoir saboté le chantier d’une future mosquée. Ni dans des histoires de fadettes de journalistes saisies quand des rumeurs avaient couru sur la participation de la Présidente à des « parties fines » organisées par DSK !
L’enquête elle-même fut passée au crible. Le premier militaire avait été tué alors qu’il était à un point de rendez-vous pour vendre une moto. L’annonce de cette vente avait été faite sur un site internet. Pourquoi avait-il fallu cinq jours pour que l’on recherche les adresses IP des personnes s'étant connectées sur l'annonce ? C’est un site proche de la gauche qui le révèle : « D'ordinaire, nous confirme une source policière, ce genre d'opérations ne prend que quelques minutes. Une autre source, proche de ceux qui répondent à ce type de réquisitions judiciaires, indique de son côté qu'elles sont traitées “en 48 heures maximum”. »
Non seulement, la collecte des IP avait tardé, mais il avait encore fallu plusieurs jours pour qu’on les recoupe avec la liste des suspects (d’extrême-droite ou islamistes). Quand enfin le nom de la mère de Merah qui figurait sur la liste d'adresses IP a fait tilt, car il était lié à ceux de deux de ses fils, eux-mêmes « connus des services de police », le meurtrier avait continué ses méfaits. Les explications des enquêteurs arguant que Mohamed Merah, condamné à quinze reprises par le tribunal pour enfants de Toulouse avait un “profil d'autoradicalisation salafiste atypique” ne pouvaient qu’être jugées dérisoires.
Faut-il ajouter que la volonté de Manuel Valls de superviser toute l’opération lui a valu une critique acerbe de sa collègue de la Justice qui a estimé que les opérations auraient dû être menées par un magistrat soit du parquet, soit du siège. Même la candidate écologiste, parti membre de la coalition gouvernementale, a ajouté : "Voir un ministre de l'Intérieur présent sur le théâtre des opérations, commentant en temps réel ce qui se passe, se faisant le haut-parleur des dires de Mohamed Merah en temps réel, c'est du jamais vu, c'est inouï".
Le déchaînement des lieutenants de Sarkozy a atteint, lui aussi, un degré inouï. Copé qui n’a jamais caché qu’il visait 2017 est en 1ère ligne, concurrencé par tous les féaux Hortefeux, Morano, Lefebvre, Lucca, Wauquiez, et les autres. Juppé, replié sur Bordeaux, sentant peut-être le vent tourner, sort de sa réserve et concurrence, dans l'outrance, Fillon, candidat au poste de 1er ministre si Sarko l’emporte.
Même les observateurs les plus modérés parlent d’un tournant dans la campagne. Bien qu’il reste encore un mois avant le 1er tour, il faudrait un miracle pour que la sortante, S. Royal, l’emporte.
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