Donner de la consistance à un sujet et de la profondeur aux personnages, créer une atmosphère dans un texte dont la caractéristique est la brièveté, c’est un vrai défi.
Le Catalan Quim Monzó le relève avec brio dans Mille crétins*. Il y ajoute une bonne dose d’humour caustique qui dédramatise les thèmes traités, qu’il s’agisse de la visite à la maison de retraite qui ouvre ce recueil de nouvelles, de la relation qui ré-unit deux ex-amants dont la femme est désormais condamnée ou de l’épisode de la veuve faisant disparaître méthodiquement les traces du passé ; c’est sa marque de fabrique et c’est très efficace dans la première partie plus substantielle que la seconde, trop anecdotique à mon goût, mais bien troussée tout de même.
Cette lecture m’a donné envie de me replonger dans Le cap** de Charles d’Ambrosio, une découverte d’il y a presque dix ans C’est sans doute un des maîtres contemporains du genre. Dans ce livre, on trouve sept nouvelles d’une densité exceptionnelle réunies sous le titre Le cap (qui est aussi celui de la première nouvelle) parce qu’elles évoquent toutes un cap à franchir dans des registres divers : pour l’ado chargé de raccompagner à domicile les invités bien éméchés des fêtes très arrosées de sa mère, pour le couple qui se désagrège après le décès d’un enfant, pour l’ex-engagé de la marine et sa pompiste en détresse physique et morale qui errent dans un « road-trip » misérable. Il y une remarquable cohésion interne dans cet ouvrage.
L’évocation de l’ouest des Etats-Unis s’intègre avec légèreté aux textes . L’écriture est à la fois limpide et intense ; elle n’exclut ni l’émotion, ni la poésie, ni la drôlerie et s’adapte avec élégance à chaque situation. Bref j’ai été comblée par ces retrouvailles. Coïncidence, l’auteur, originaire de Seattle était l’un des invités de la 21ème édition Les belles étrangères consacrée aux Etats-Unis et a eu droit à une double page dans Libé la semaine passée.
Pour les amateurs du genre, voilà donc deux gâteries à déguster sans modération.
PS A la suite des deux ouvrages ci-dessus, j’ai lu Les chaussures italiennes***, le dernier roman de Mankell (dont je suis une fervente admiratrice). Je suis en désaccord avec Raffy qui lui consacre un article dans le Nouvel Obs de jeudi quand il dit que Mankell « a sans aucun doute écrit là sa plus belle œuvre ». Même si l’idée du passé qui surgit de la banquise derrière un déambulateur m’a épatée, je n’ai pas été convaincue par la rédemption tardive et laborieuse ( pour ne pas dire tortueuse) du héros. Les chaussures italiennes ne délogera pas Profondeurs du même Mankell de l’étagère de mes « Privés de sortie » !
*Mille crétins Quim Monzó Editions Jacqueline Chambon 16€
**Le cap Charles d’Ambrosio Gallimard 22,20€
***Les chaussures italiennes Henning Mankell Seuil 21,50€
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