Naguère, sur Radio-France, je me régalais à écouter deux chroniqueurs bien différents par leur personnalité et leur style :
Sur France Inter, pour clore la matinale, Alain Rey, en fin linguiste à la bonhomie malicieuse et gourmande, décortiquait dans Le mot de la fin un terme, une expression en phase avec les infos qui précédaient. Il a disparu sans tambour ni trompette de la grille des programmes en juin 2006.
Une fois par mois, sur France Musique, dans l’émission Etonnez-moi Benoît (de Benoît Duteurtre) Nicolas d’Estienne d’Orves a présenté pendant 5 ans, en dandy polisson, des trouvailles discographiques olé olé, provocatrices et désopilantes à l’heure du déjeuner le samedi. Il a été viré pour « blasphème et pornographie » par le Grand Inquisiteur de la chaîne et de l’époque pour avoir diffusé « Il est né le divin enfant » version paillarde en décembre 2008.
Je viens de retrouver le premier pour le Dictionnaire historique de la langue française et le second avec Les fidélités successives.
Le Robert a eu la bonne idée de rééditer en « poche » le Dictionnaire historique de la langue française ce qui le rend plus maniable, moins fragile et moins onéreux. Mais n’espérez pas glisser un des trois volumes (4000 pages en tout) dans une de vos « profondes » !
Les intentions de l’équipe de rédaction, dirigée par Alain Rey sont décrites en présentation et ont été scrupuleusement respectées et complétées par des mises à jour. A chaque consultation de cet ouvrage, on peut vérifier la vitalité de notre langue, sa variété, ses facultés d’adaptation, son aptitude à intégrer « certains usages spontanés qu’ils soient régionaux… populaires ou argotiques » de l’ensemble de l’espace francophone comme le souligne Alain Rey dans un bref (mais dense) avant-propos très convaincant et empreint de modestie. On ne peut être qu’admiratif devant le degré d’exigence, le patient travail de recherche et la réjouissante ouverture d‘esprit dont témoigne chaque article. Bravo à toute l’équipe qui a œuvré pour cette belle réussite !
A offrir ou à s’offrir pour célébrer la Semaine de la langue française et de la francophonie* ! 70 € aux éditions Le Robert.
Avec Les fidélités successives, Nicolas d’Estienne d’Orves s’éloigne nettement de ses facéties sur France Musique.
Sur l’île anglo-normande imaginaire de Malderney, Guillaume Berkeley a connu une enfance et une adolescence privilégiées mais n’a pas eu de contacts avec l’extérieur à l’exception de ses rencontres avec Simon Bloch, un Parisien aisé et lettré qui y élit régulièrement domicile à l’été. Sur un coup de tête, le jeune homme de 18 ans débarque à Paris en compagnie de Simon … le 1er septembre 1939. Son hôte lui fait découvrir et fréquenter les intellectuels et les artistes de la capitale. En 1940, Simon fuit seul la « peste brune » sans avoir pu convaincre son jeune protégé mais en laissant à sa disposition son appartement cossu. Pendant l’Occupation, les « fidélités successives » et contradictoires de Guillaume me semblent issues non d’un choix conscient et raisonné mais d’une certaine propension à se laisser dicter sa conduite, dans l’urgence, par les circonstances. On pense bien sûr à Lacombe Lucien de Louis Malle. Cela finira évidemment aussi très mal.
La construction du récit est étonnante mais très efficace. Dés le début, on sait à quoi s’en tenir. Le prologue, qui aurait pu constituer un épilogue, est une adaptation cruelle de la prose de Madeleine Jacob, chroniqueuse judiciaire au Libération de la période de l’épuration.
La première partie, intitulée MALDERNEY L’avant-guerre nous éclaire sur la personnalité des protagonistes par l’intermédiaire d’un narrateur anonyme qui seul, à la fin de cette période pourra nous ramener brièvement sur les lieux dix ans plus tard.
Dans PARIS La guerre, c’est le JE de Guillaume qui prend le relais et le nouveau prologue fait très habilement le lien par sa datation avec la fin de la partie précédente et il fait aussi écho au prologue attribué à Madeleine Jacob. Le témoignage direct de Guillaume dispense ainsi le narrateur d’émettre des jugements ; il tient aussi le lecteur à distance, tout en le captivant et en l’engageant insidieusement à se questionner, à se projeter dans la situation sans qu’il y ait jamais identification avec le personnage. Saluons là le talent subtil de l’auteur.
La dernière partie, MALDERNEY L’après-guerre, est très courte, de nouveau rédigée (et pour cause…) par le narrateur. Elle nous réserve un dénouement inattendu qui oscille entre noirceur et grandeur d’âme.
J’avoue avoir dévoré ce roman inclassable pour lequel l’auteur explique qu’il a voulu « mettre en scène les ambiguïtés de l’époque ». Il a su faire le tri dans une abondante documentation qu’il cite en fin d’ouvrage pour créer une fiction terrible mais crédible. De surcroît, l’écriture est d’une élégance sans ostentation, à l’image des jolies trouvailles qui émaillent discrètement le récit.
23,90 € chez Albin Michel
*Je découvre pendant cette semaine le linguiste Bernard Cerquiglini et ses Petites Chroniques du français tel qu’on l’aime. C’est très enlevé, d’une pédagogie souriante avec des conseils judicieux pour éviter des expressions plus que douteuses comme « s’avérer vrai/ faux ». En outre, la mise en page est remarquable.
J’ai pourtant fait la grimace devant la définition de « se pousser du col » : « se faire valoir avec un peu d’orgueil provoQUANT » Si on substitue « vanité » à « orgueil » on voit bien que le participe présent est ici à proscrire.
Cela dit, je vais poursuivre avec jubilation la lecture de plus de 300 fiches savoureuses.
20,90 € chez Larousse
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