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19 mars 2013 2 19 /03 /mars /2013 21:05

creche-babyloup

La cour de cassation a donc annulé le licenciement de l’employée d’une crèche, pour cause de port de foulard dit "voile islamique". Et Manuel Valls a perdu une occasion de se taire, en se contentant de respecter une décision de Justice.

Premier constat, la lenteur de la justice : jugement en 2008, confirmé par une cour d’appel en 2011, cassé en 2013. Deuxième constat : comme il se doit la cour de cassation se prononce en Droit et confirme un avis de la Halde qui avait valu à son président un déchaînement haineux. Troisième constat : un immense gâchis.

Eh oui ! n’en déplaise aux braillards qui crient « au coup de poignard dans le dos de la laïcité », la France reste malgré tout un état de Droit. En tout cas la cour de Cassation fonde ses décisions sur le Droit. Elle ne se prononce pas sur le fond – elle renvoie l’affaire à la Cour d’Appel de Paris – mais casse l'arrêt de la cour d'appel de Versailles (Yvelines), qui avait confirmé en octobre 2011 le licenciement, pour port du voile islamique, d'une salariée d'une crèche.

Crèche associative en tout point remarquable, qui rend d’incontestables services au public concerné, mais qui est de droit privé. "Les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché", écrit la chambre sociale de la Cour de cassation dans un communiqué. "Tel n'est pas le cas de la clause générale de laïcité et de neutralité figurant dans le règlement intérieur de l'association Baby Loup applicable à tous les emplois de l'entreprise. Une telle clause étant invalide, le licenciement de la salariée pour faute grave aux motifs qu'elle contrevenait aux dispositions de cette clause du règlement intérieur constitue une discrimination en raison des convictions religieuses et doit être déclaré nul". C’est ce que disait déjà la Halde dans un premier avis  "Le fait que l'association Baby Loup reproche à Mme A. d'avoir refusé d'ôter son voile islamique sur le fondement d'un règlement intérieur illicite, établit à lui seul que la décision de licencier Mme A. n'est pas étrangère à sa religion, sans qu'il soit nécessaire de prendre en compte les autres motifs du licenciement."

La crêche Baby Loup, à Chanteloup-les-vignes, est née à l’initiative de Natalia Baleato, sage-femme, réfugiée politique, ayant fui le Chili, puis l’Argentine. Ouverte 24 h sur 24, sept jours sur 7, elle offre une solution aux mères seules, astreintes dans leur travail à des horaires éclatés ou décalés. Elle est aussi un outil de formation et de promotion pour ses salariées. Fatima A. en est un parfait exemple, puisqu’elle a démarré à la fondation en 1991 comme assistante maternelle en contrat emploi-solidarité. Six ans plus tard, elle décroche le diplôme d’éducatrice (niveau Bac+2) alors qu’elle avait quitté le collège après la cinquième. Elle était devenue directrice-adjointe.

 

La fondatrice, qui se dit «laïque mais respectueuse de toutes les opinions», avait fait inscrire dans le règlement intérieur (RI) une obligation de "neutralité philosophique, politique et confessionnelle".

creche-afifFatima A., de retour de congé parental, décide de porter un fichu que les pseudos spécialistes nommeront hijab et qui sera, pour les médias, « voile islamique ». Le genre de conflit où, dès qu’on en fait une question de principes, ne peut que s’envenimer. D’autant qu’il se nourrit inconsciemment de ressentiments et de soupçons. Eh quoi ! celle qui nous doit sa formation refuse de se plier au RI ; en quoi, mon fichu peut influencer des bambins ; entrisme vs racisme…  A partir du moment où les médias s’emparent du conflit, ça ne peut aller que de mal en pis.

 

creche-Baby-Loup-desaccord-entre-la-Halde-et-sa-presidente-Après que Jeannette Bougrab, succédant à L. Schweitzer, eut désavoué son prédécesseur, Fatima A. a affronté la grosse artillerie. Bien sûr tous les identitaires – gaulois, de souche, catholiques et français toujours, faux laïcs et vrais xénophobes, tous pourfendeurs de sarrazins au cimeterre entre les dents – se sont déchaînés et vont encore se déchaîner. Mais aussi Manuel Valls, maire d’Evry à l’époque, Elisabeth Badinter, au nom des grands principes laïques, la condamnaient. L’avocat de l’association Baby Loup, Richard Malka, conscient sans doute de la faille juridique, axa son réquisitoire sur le fait que la crèche « qui fonctionne 24 heures sur 24 et sept jour sur sept est une activité de service public et donc astreinte à la neutralité ».

creche richard-malka-un-des-avocats-de-la-creche-et-natalia

C’est à cette question que la Cour de cassation répond négativement. Est-ce que ça doit amener Me Malka à des réactions outrancières comme "C'est tout l'édifice de la laïcité qui se fissure aujourd'hui" ? Est-ce que ça doit autoriser un Ministre à bafouer le respect des arrêts d’une des plus hautes juridictions en déclarant : "En sortant quelques secondes de mes fonctions, je veux vous dire combien je regrette la décision de la Cour de cassation aujourd'hui sur la crèche Baby Loup et sur cette mise en cause de la laïcité".

 

Qu’un avocat ait le verbe un peu trop véhément – qu’elle serait fragile notre belle laïcité si une décision fondée en Droit la fissurait – rien que d’habituel. Mais le Ministre ferait bien de s’inspirer d’un de ses lointains prédécesseurs, cheville ouvrière de la Loi de 1905, qui prônait une « laïcité de sang-froid* », Aristide Briand !

 

* « Je crois pouvoir dire à mes amis : Ayez du sang froid, sachez résister aux  surenchères, ne craignez pas d’être taxés de modérés, d’opportunistes. Personnellement, j’ai été traité de clérical, à cause de la modération de mon projet [de séparation des Eglises et de l’Etat] ; peu importe ! Le pays nous saura gré de la sincérité de nos efforts. »

NB Le même jour - 19/03/13 - la cour de cassation rejetait le recours d'une employée d'une Caisse primaire d'assurance maladie, dans un arrêt qui donne tout le sens de la laïcité : "la mise en oeuvre du principe de laïcité [est] de nature à assurer aux yeux des usagers la neutralité du service public".

 

Pour compléter : Baby-Loup : "La Cour de cassation défend une liberté publique"

 

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