C’est ma période italienne : après avoir relu Le Guépard et avant de me plonger dans les deux derniers Camilleri, j’ai dévoré Les deux vieilles filles. Ce texte étonnant de Tommaso Landolfi (1908-1979) , dandy, joueur impénitent et antifasciste avait été publié dans IL MUNDO en 1945 mais il vient juste d’être traduit en français.
C’est dans une ville italienne à la localisation imprécise (comme pour mieux en souligner le manque d’intérêt) où les seuls espaces verts sont les jardins bien clos des innombrables couvents et où le modernisme n’inspire que méfiance que se déroule Les deux vieilles filles. Ces quinquagénaires qui possèdent à la campagne des biens qu’elles surveillent jalousement vivent dans une sévère maison bourgeoise en compagnie d’une mère hypocondriaque à l’autorité hargneuse et d’une servante qui « s’était, sans s’en apercevoir, modelée à leur image ». Leurs liens sociaux, assez réduits, sont empreints d’hypocrisie, de pingrerie et de bigoterie.
Le décès de la douairière aurait pu leur ouvrir un espace de liberté mais c’est un de leurs « familiers » (je n’apporterai pas d’autres précisions pour préserver l’effet de surprise) qui secouera cette médiocrité figée en commettant un sacrilège (croustillant !). Pour éviter le scandale, elles s’en remettent discrètement au jugement du clergé, ce qui nous vaut une dispute théologique surréaliste entre un monsignore bouffi de condescendance, bardé de certitudes bafouillantes et un jeune abbé timide qui défend avec fougue -mais maladresse- la cause du bon sens et qui passera finalement pour fou. Il y aura finalement bien une victime expiatoire.
Le récit est conté dans un style précieux, un peu suranné, qui s’adapte parfaitement au contexte mais avec des inflexions sarcastiques qui traduisent la distance entre l’auteur-narrateur et les protagonistes. Ce petit livre d’à peine cent pages est un réquisitoire efficace contre les autoritarismes, notamment religieux ; il secoue la poussière (c’est un terme récurrent dans l’ouvrage) des conformismes et du dogmatisme : au sortir d’une période historique qui les imposait, c’était une entreprise salutaire. Mais en sommes-nous vraiment débarrassés aujourd’hui ? …
Je vous recommande chaudement ce petit bijou captivant qui se lit d’une traite. Idéal pour se remettre d’un gros pavé.
Les deux vieilles filles (Tommaso Landolfi aux Editions Allia 6,10€)