C'est le premier tome de la Trilogie Fabio Montale consacrée par le regretté J-C Izzo à ce flic marseillais de banlieues « à qui échappent toutes les enquêtes ». Il se retrouve dans un m... intégral (c'est le sens du titre) à la suite de l'assassinat de ses deux amis de jeunesse (immigrés comme lui et amoureux de la même fille que lui) qui n'ont pas précisément suivi le même chemin que lui.
Ce qui fait l'originalité de ce polar, c'est que c'est avant tout un Hymne à l'amitié. Le passé commun des trois jeunes gens évoqué avec pudeur et tendresse explique la rage de comprendre chez Fabio Montale. La noirceur du contexte et du « milieu » marseillais ne supplante jamais cet arrière-plan nostalgique et même la discrète sollicitude de son collègue Pérol ne parviendra pas à arracher Montale à cette mélancolie.
Hymne à Marseille aussi dont «(la) beauté ne se photographie pas, elle se partage » et Izzo en fait la démonstration lumineuse par ses évocations contrastées des quartiers de la ville, du Panier d'autrefois et d'aujourd'hui aux cités, des calanques à l'Estaque en passant par la Corniche et le Vieux Port avec des escales dans des bistrots éminemment sympathiques. Dans ce « carrefour de tous les brassages humains » les dialogues sonnent aussi étonnamment juste, même dans les pires situations : ainsi dans les rapports avec la famille de Leila où « c'est dans les moments de malheur qu'on redécouvre qu'on est un exilé »
Pour ce Marseillais convaincu qu'était Izzo, il existe, de mon point de vue, une parenté évidente avec Montalban et Camilleri, deux autres Méditerranéens. Leurs héros récurrents - Fabio Montale, Pepe Carvalho et Salvo Montalbano ont en commun un parcours de solitaires bourrus parfois à la marge de la légalité, une passion communicative pour leur ville, une faiblesse prononcée pour la cuisine et les vins méditerranéens, une maladresse attendrissante dans les amours, des repaires- refuges (ici, un cabanon aux Goudes pour Fabio) et des proches dévoués qui sont des inconditionnels ( Cataré et Adelina pour Salvo, Biscuter pour Carvalho et Honorine pour Montale)...
Pourtant il y a une « voix » bien personnelle chez Izzo avec des références musicales (qui me touchent : question de génération ?), des phrases très, très courtes qui scandent l'action et préservent les moments d'émotion de toute sensiblerie, un art de faire passer des expressions très crues sans sombrer dans le vulgaire et enfin une immense tendresse toujours présente en filigrane.
En dépit de quelques erreurs grammaticales qui m'ont agacée - mais trouve-t-on maintenant un bouquin sans ?- je vous recommande chaudement ce polar et même carrément la Trilogie Fabio Montale (Folio Policier). Pour faire le tour de l'œuvre romanesque d'Izzo, vous pourrez poursuivre avec Les Marins Perdus (J'ai lu n°4841) et Le soleil des mourants (J'ai lu) où avec la même économie de pathos, cet auteur attachant et engagé secoue nos consciences.
Total Khéops (Jean-Claude Izzo Série Noire n° 2370 Gallimard et Folio Policier)
FIN (provisoire) DE « MES PRIVES DE SORTIE » mais je continuerai, au fil de mes lectures à vous faire part de mes enthousiasmes.