J'ai fait l'acquisition de Sotos à sa sortie en 1993 parce que j'ai été appâtée par la quatrième de couverture, particulièrement bien tournée et alors que je n'avais encore rien lu de l'auteur et je n'ai pas été déçue !
Comme dans beaucoup de romans de Djian (lus depuis), la localisation géographique est improbable et propice aux spéculations de l'imagination, mais elle fait référence au monde hispanique.
Trois hommes s'y affrontent : Victor Sarramanga, le patriarche omnipotent, autoritaire, pugnace et manipulateur, mais aussi passionné de tauromachie ; Mani son petit-fils qui sort de
l'adolescence et accomplit là un véritable parcours initiatique, partagé entre la soumission et les tentatives de rébellion envers son grand-père ; et enfin le mystérieux Vito, nouveau
beau-père de Mani, qui le considère comme «une nouvelle friandise que s'offre (sa) mère » et nouveau gendre de Sarramanga, lequel lui voue une haine tenace liée à un passé vieux de
vingt ans.
Les trois parties du roman s'articulent (dans le désordre pour les besoins de la narration) comme les différentes phases d'une corrida. Toutes s'achèvent par un épisode d'extrême violence : la première (intitulée second tercio) se conclut par une pose pour le moins inhabituelle de banderillas de fuego au cours du très select Bal des Sotos ; dans la partie centrale (premier tercio) on voit un des protagonistes perdre ...une oreille ( !!!) ; et le troisième tercio, dans une chaleur d'enfer, se clôt classiquement par l'estocade.
Cette violence contraste efficacement avec la futilité de la société friquée (d'une «écœurante facticité » comme dit Mani au sujet de son amitié pour Vincent). Ceux qui en sont exclus cherchent à s'y faire admettre mais ils n'y sont tolérés que pour les services rendus et s'y engluent si bien que lorsqu'ils cherchent à secouer le joug, ils se retrouvent tous, sauf un, scotchés sous l'emprise de Sarramanga. Quant aux personnages féminins (« complètement siphonnées » résume Mani à propos de sa mère et de sa sœur) ils sont cantonnés dans des rôles de séduction, mais bon ! il n'existe pas beaucoup de « toreras » ...
L'usage du JE (celui de Mani dans la première et dans la dernière partie) met adroitement en évidence le rôle central du jeune homme et le roman est servi par un style alerte,
nerveux, particulièrement adapté aux dialogues. On y trouve bien sûr les scènes d'érotisme torride (mais le climat s'y prête !) et les tics qui sont la marque de fabrique de Djian comme les
curiosités lexicales et l'utilisation fautive (votive ?) du « malgré que » (curieusement absente -sauf erreur- dans Impardonnables mais très présente dans sa série déjantée Doggy Bag). Comme la corrida, on
aime ou on déteste . Moi, je suis sortie enthousiaste de ces arènes et suis devenue une « aficionada » de cet auteur.
Sotos (Philippe Djian Gallimard, 1993 réédité en Folio n° 2798)