Pour quelle raison, Gérard et moi avions choisi « J'ai deux amours », comme signe de reconnaissance aux bains-douches municipaux de notre bled angevin, je suis bien incapable de le dire.
- A cette époque lointaine - je vous parle d'un temps que les moins de soixante ans ne peuvent pas connaître - l'eau n'était courante dans de nombreuses demeures que si on se hâtait pour porter le broc ou le seau de la pompe ou du puits à la maison... La toilette journalière se réduisait à peu. Mais chaque fin de semaine, dès que nous n'étions plus en âge d'être lavés en grand dans la lessiveuse, nous allions, avec serviette, savonnette et dose de Dop pour le shampoing, à ces bains-douches où chacun avait droit à 30' pour un bain, 20' pour une douche.
Mon ami Gérard et moi avions convenu de siffler, cette fameuse chanson de Scotto, interprétée par celle qui fut baptisée la Vénus noire. Il nous arrivait même, quand un sifflotement avait reçu un écho, de chanter pour de bon, à peu près juste pour Gérard, complètement faux pour moi, mais très fort pour les deux, ce qui ne manquait pas de provoquer l'ire du gérant ! Inutile de dire que les paroles - j'ai deux amours mon pays et Paris... - n'avait guère de signification pour nous. Je ne sais si Gérard, à l'époque, avait découvert Paris. Ayant une grand-mère parisienne, j'avais un vague souvenir d'un passage au Boulevard Davout, au 78 si je ne me trompe, mais rien qui puisse justifier d'entonner cette chanson.
De son interprète, nous ignorions évidemment son arrivée dans les années vingt où, ceinte d'un régime de bananes, elle allait faire scandale dans la Revue nègre !
Et, pour autant - hypothèse peu probable - que nos pères aient eu entre les mains quelques images de la Vénus noire posant nue pour Paul Colin, les revues étaient bien cachées dans l'enfer de leur bibliothèque, hors de notre portée. Quant aux accusations postérieures de racisme, à cette époque où l'empire colonial faisait encore la gloire d'une France, pourtant affaiblie par les années de guerre, où la publicité Banania fleurissait sur les murs, elles nous auraient été incompréhensibles. Et Joséphine Baker, née à Saint-Louis, ayant subi l'apartheid états-unien de l'époque, arrivant à Paris en 1925, y ressentait une impression de liberté. Et n'hésitait pas à se produire aux expositions coloniales.
Elle inspira de magnifiques affiches (Paul Colin encore, et d'autres) dans ces lointaines années où elle incarnait la sauvage spontanéité (elle eut sur scène pour partenaire un vrai jaguar). Mais passée de la « revue » à la chanson via l'opérette, elle se retrouva agent secret en France occupée, puis engagée volontaire, terminant la guerre comme lieutenant.
Quand nous sifflotions sa chanson fétiche, elle avait déjà dû épouser un chef d'orchestre au nom cocasse pour les gamins que nous étions, Jo Bouillon, et s'être lancée dans la construction d'une famille arc en ciel en adoptant une douzaine d'enfants de tout horizon, qu'elle ramenait de ses tournées.
Faut-il dire, mais là je ne parle que pour moi, que la fin de sa vie, où, victime d'escrocs et de sa totale incompétence financière, elle perdit le domaine où elle avait élevé ses enfants adoptés, où elle fut aidée par Grace de Monaco, où elle mourut enfin d'une attaque cérébrale au lendemain d'une ultime représentation, m'avait totalement échappé ?
Pour compléter
Une excellente biographie : http://pagesperso-orange.fr/migrateurs-transatlantique/josephine_baker.htm
Une vie : Josephine Baker
Vu des États-Unis. Joséphine Baker, la plus périgourdine des Américaines
« Paris ira voir Joséphine Baker, nue, enseigner aux danseuses nues la pudeur », s’extasiait Colette en 1936
A l'occasion de sa future entrée au Panthéon (30/11/2021) les Archives nationales rendent hommage à Joséphine Baker
Pour tout savoir sur Joséphine Baker, qui entre au Panthéon
Joséphine BAKER au PANTHEON
A l'occasion de cette panthéonisation on est en train d'assister à une récupération par les pseudo laïques à la mode "Printemps républicain" sur le thème de l'universalisme. Macron même, recevant une délégation des partisans de cette entrée au Panthéon, aurait dit à son conseiller "mémoire"(sic) Bruno Roger-Petit, dans un propos adressé en aparté qu'aurait saisi Pascal Bruckner : « Les wokes français ne vont pas être contents ! ». La crainte donc que la célébration de cette grande artiste mais aussi militante au côté de Martin Luther King (elle sera la seule intervenante le 28 août 1963, lors du fameux discours « I have a dream ») ne soit instrumentalisée pour une opération contre... les anti-racistes qui, comme elle, luttent contre des discriminations - contrôles d'identité au faciès, discriminations au logement et à l'embauche, etc. - dont sont victimes des minorités.
Si Joséphine Baker incarne bien l'universalisme, c'est l'universalisme dans la diversité, que sa famille d'enfants adoptés a bien symbolisé. « Nous formons une famille de toutes sortes de races, de toutes sortes de couleurs, et c’est pourquoi j’ai appelé mes petits chéris “la Tribu Arc-en-ciel”
Les deux premiers, Terruya – qu’elle appellera Jeannot – et Akio qu’elle fait passer pour coréen, sont ramenés du Japon. Akio sera shintoïste, son frère bouddhiste, diktat maternel destiné à garantir un échantillon représentatif de l’humanité et de ses religions. C’est ainsi qu’en 1955, un an après, le blondinet Jarry, finlandais et protestant, Julien, gamin français de l’Assistance publique, devient Moïse, le juif de la fratrie (décédé en 1997). Il est accueilli la même année que Luis (colombien, noir et catholique) et Jean-Claude, un autre Français, catholique lui aussi.
L’année suivante, en pleine guerre d’Algérie, l’artiste adopte Brahim et Marianne dans un orphelinat d’Alger. Viendront ensuite l’Ivoirien Koffi, Mara, l’Indien du Venezuela, et Noël, le nourrisson trouvé sur un trottoir parisien par une nuit glaciale de la fin de l’année 1959. (M le magazine du Monde)
Rien à voir donc avec cet universalisme abstrait agité par Bruckner et consorts.
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