C'est grâce au Prix Femina Etranger qui lui a été décerné en 1998 pour son excellent roman Pleine lune* que j'ai découvert Antonio Muñoz Molina. Séduite par la solidité de l'intrigue et la qualité de l'écriture, j'ai poursuivi par la lecture de Beatus ille, première œuvre de l'auteur (né en Andalousie en 1956) publiée en Espagne en 1986.
En 1969, sous le prétexte d'une thèse qu'il veut consacrer à Jacinto Solana, poète méconnu abattu par les gardes civils franquistes à Magina en 1947, Minaya, jeune étudiant madrilène se fait habilement inviter dans cette petite cité iMAGINAire d'Andalousie par son oncle Manuel qui y réside. L'étudiant en est lui-même originaire. Il retrouve la ville de son enfance, la discrète générosité du riche Manuel, suscite l'intérêt d'Inès, la jeune employée de maison, découvre l'amitié qui liait son oncle et Solana mais aussi le crime non élucidé qui a coûté la vie à Mariana, la belle épouse de Manuel au lendemain de son mariage en 1937. L'auteur joue en virtuose de va-et-vient entre ces trois dates, les lieux, les personnages, les amours pour nous livrer les investigations de Minaya et exhumer le passé (ce à quoi répugnent ceux qui ont vécu la guerre civile). A-travers une micro-société, il nous donne ainsi les clés pour atteindre à la compréhension globale de la société espagnole sur plus de trois décennies.
Roman sur la MEMOIRE douloureuse du franquisme donc, à l'architecture parfaitement ordonnée, mais aussi roman sur la CREATION LITTERAIRE et à cet égard, l'avant dernier chapitre est d'une éblouissante dextérité. Avis aux lecteurs potentiels : surtout ne vous laissez pas rebuter si les premières pages vous paraissent difficiles, vous y reviendrez sans doute après avoir achevé la lecture de l'ouvrage pour vous persuader de l'habileté diabolique de l'auteur. Tout au long du roman, vous savourerez les phrases longues mais parfaitement claires qui permettent de débusquer tant la personnalité des protagonistes que les recoins du labyrinthe de la maison et de la ville ou encore les pesanteurs de la fin du franquisme et les plaies secrètes mais toujours vives de la guerre civile.
Roman admirable qui révèle l'étonnante maîtrise d'un jeune auteur (il avait juste trente ans à l'époque de sa publication en Espagne) à qui s'applique très précisément cette déclaration qu'il prête à un de ses personnages :
« CE QUI COMPTE, CE N'EST PAS QU'UNE HISTOIRE SOIT VRAIE OU FAUSSE, C'EST QU'ON SACHE LA RACONTER »
Beatus ille (Antonio Muñoz Molina Points Seuil, n° P929)
*Points Seuil, n° P667