C'est à la librairie des femmes, quand elle était encore sise rue des Saints-Pères (ça ne remonte pas à hier) que j'ai commencé la lecture de La Chrysalide, confortablement installée dans un des fauteuils d'osier installés dans la boutique à l'intention des lectrices (à l'époque - 1977, je crois - on n'y voyait pas de lecteurs) où les filles échangeaient volontiers leurs impressions.
Sous-titré « Chroniques algériennes », ce roman, sorte de saga familiale, met en relief l'évolution de la condition féminine sur plusieurs décennies (colonisation, guerre, indépendance) à-travers le quotidien d'une famille rurale relativement aisée.
Mariée à seize ans à Mokrane par la volonté de leurs pères respectifs, Khadidja est très éprise de son jeune époux qui le lui rend bien mais tardant à se retrouver enceinte, elle subit les commérages du village qui stigmatisent la stérilité féminine. Après avoir eu recours sans succès, de gré ou de force, aux pratiques traditionnelles, elle consulte en cachette mais avec l'assentiment de son époux, la t'biba (doctoresse) locale, une Française qui l'aidera, au grand dam du village, à accoucher d'un fils, Mouloud. Mais elle devient définitivement stérile. Mokrane, ne pouvant se contenter d'un unique rejeton, lui inflige l'humiliation d'une deuxième épouse (qui mourra en couches) puis d'une troisième avec laquelle elle partagera son époux et une affectueuse complicité mais qui n'enfante que des filles...
Mouloud, le fils de Khadidja a des résultats brillants à l'école, il apprend à lire à l'aînée de ses demi-sœurs, Faïza, qui, encouragée par Khadidja, sera la première fille à franchir l'entrée de l'école et se passionnera pour les études. Il disparaît pour rejoindre les combattants de la liberté et son père est repris par ses vieux démons mais Khadidja s'oppose avec une violence inouïe à un quatrième mariage.
Après l'indépendance, Mouloud accueillera Faïza à Alger pour qu'elle y mène des études de médecine. C'est là, dans la capitale, à l'occasion de retrouvailles familiales, que ce qui aurait dû être un scandale permettra à Mokrane et à Faïza de se comprendre enfin : au lieu du reniement, la fille rebelle obtiendra la protection paternelle.
Ces destins de femmes menés parallèlement à l'histoire* de l'Algérie, d'abord maintenue dans ses traditions par l'occupant puis secouée par la guerre et ses humiliations et accédant enfin à l'indépendance, sont particulièrement attachants, même si certains enthousiasmes paraissent ingénus, même si on sait bien que la cause des femmes n'est pas faite que de progressions ...
La Chrysalide (Aïcha Lemsine - Editions des Femmes, 1976 - réédité en Poche, 1998)
* Sur le même thème d'une trajectoire féminine au travers de l'histoire, on pourra aussi se plonger dans Les années avec Laura Diaz du Mexicain Carlos Fuentes (Folio Gallimard), roman plus ambitieux et... plus volumineux ! J'ai hésité entre les deux titres, finalement ma solidarité féminine l'a emporté !
Voir aussi :
L'opéra de Vigata (MLF 3)
Le Pianiste (MLF 2)
MLF (Mes Livres Favoris)
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