Finalement, la décision de justice devrait se concrétiser à partir du 22/04/2018.
Un abbé bénédictin qui refuse d’exécuter une décision de justice et de se rendre à une convocation du Sénat ; des sénateurs PSOE qui demandent alors la comparution de l’évêque présidant la commission épiscopale ; des sénateurs qui, contre l’avis de leurs collègues PSOE, veulent se rendre dans la Valle de los Caídos ; un imbroglio où le national-catholicisme veut affirmer sa prééminence sur la nécropole franquiste.
Faisant un véritable bras d’honneur aux juges et aux institutions démocratique, le prieur du couvent qui administre la basilique de la Valle de los Caídos, Santiago Cantera*, a refusé de comparaître le 12 mars devant la Commission de Justice du Sénat espagnol, pour s’expliquer sur les raisons de son refus d’accomplir une décisions judiciaires demandant la restitution des corps des frères Lapeña, victimes du franquisme, à leurs familles.
A plusieurs reprises, des descendants ont souhaité récupérer la dépouille de leurs proches. En vain. Jusqu’à ce qu’en 2016 un juge de San Lorenzo del Escorial donne raison à la petite-fille d’un militant anarcho-syndicaliste de la Confédération nationale du travail (CNT), et ordonne l’exhumation de son grand-père et de son grand-oncle, les frères Lapeña. La victoire judiciaire est célébrée par les descendants de républicains.
Cantera invoque ses devoirs à la tête du monastère et sa condition religieuse pour justifier sa non-venue. Et, avec arrogance, il invite les membres de la commission à venir les rencontrer pour une visite guidée de la basilique les jours de fermeture aux touristes. Bien qu'il n'ait aucune autorité légale sur la nécropole elle-même, il prétend interdire l’accès aux cryptes au prétexte qu’il craint que les ossuaires ne soient détériorés et en arguant que d’autres familles lui auraient demandé de veiller sur l’intégrité de la sépulture de leurs proches.
Le PSOE n’a pas du tout apprécié le bras d’honneur du prieur. Face à cet affront, il demande la comparution du Président de la conférence épiscopale espagnole, le cardinal Ricardo Blázquez, pour qu’il affirme le droit des familles à récupérer les restes de leurs proches. Cardinal qui a depuis reconnu que les décisions judiciaires devaient s’appliquer. Mais le prieur ne reconnaît aucune autre autorité que le supérieur de son ordre, l’abbé de Solesmes, en France.
Faut-il dire que les sénateurs socialistes ont encore moins apprécié l’invitation de l’abbé bénédictin à se rendre dans ce mausolée d’un dictateur en catimini et au mépris des institutions démocratiques ? Ils considèrent même que cette visite serait comme un encouragement à l’attitude butée du prieur. Mais leurs collègues du PP répondent que si une chance d’ouvrir le dialogue existe, il faut la saisir.
L’incident met en lumière le statut absurde du site – un incompréhensible méli-mélo civilo-religieux, public-privé, franquiste-démocratique. Le lieu est toujours régi par des décrets et normes non abrogées depuis la fin de la dictature.
Ce n’est pas un lieu de mémoire comme il en existe dans le reste de l’Europe, en souvenir des conflits. Aucun panneau pédagogique n’explique quoi que ce soit. Juste sur les deux portes : « Tombés pour Dieu et pour l’Espagne » (“Caídos por Dios y por España”).
* Des moines qui entretiennent les tombes de Franco et du fondateur de la Phalange José Antonio Primo de Rivera, et célèbrent une messe chaque 20 novembre, jour anniversaire de leurs morts. Ils sont devenus les gardiens de la mémoire du dictateur. C’est d’ailleurs Santiago Cantera qui a officié lors de la messe célébrée en l’honneur de la fille unique du caudillo, Carmen Franco, morte en décembre. Le Monde
D'après
El prior del Valle de los Caídos se niega a comparecer en el Senado
El PSOE pide que el presidente de los obispos comparezca en el Senado
¿Quién manda en el Valle de los Caídos?
Santos Juliá: “La única resignificación del Valle de los Caídos son sus ruinas”
Ce monumental ensemble, en partie enterré, se situe dans la vallée de Cuelgamuros, sur le territoire de la localité de la province de Madrid de San Lorenzo del Escorial.
Construit par les prisonniers politiques
Ce gigantesque monument a été construit entre 1940 et 1958, en plein franquisme, comme un hommage aux « héros et martyrs de la Croisade », c’est-à-dire à ceux qui luttèrent et moururent pour Franco pendant la guerre civile. Non pour la réconciliation comme le réinventa plus tard le franquisme.
En plus des ouvriers salariés, il y eut 20 000 prisonniers politiques, sur le chantier, sous l’égide d’un organisme de remise de peine par le travail (Patronato Central de Redención de Penas por el Trabajo).
Dans la vallée, il y a une basilique où sont enterrés dans des cryptes et des niches 38 833 cadavres, dont 12 410 inconnus, ce qui fait de la Valle de los Caídos la plus grande fosse commune d’Espagne. Le dernier transfert de corps a eu lieu en 1983. Les morts ont été extraits de fosses communes et cimetières de presque toute l’Espagne.
L’abbaye de bénédictins jouxte la basilique dont elle a la gestion. Un autre bâtiment héberge 50 petits chanteurs de 9 à 14 ans voués au chant grégorien (cher à Solesmes). En face de l’abbaye, une hôtellerie de 220 places, avec restaurant et bar.
Et au dessus de tout cet ensemble monumental s’érige une croix, la plus haute du monde chrétien.
Au départ, ce lieu était destiné aux morts franquistes, mais en 1958, il fut décidé d’y transférer des victimes sans distinction du camp où ils combattaient. C’est ainsi que des milliers de corps de républicains y furent envoyés le plus souvent sans en informer la famille. C’est ce qui s’est passé avec les frères Lapeña qui n’étaient plus dans la fosse que leur famille fleurissait depuis 60 ans.
Bien que les ossuaires et niches soient considérés comme cimetière public et que le reste du monument fasse partie du patrimoine national, les moines sont toujours à la barre (« Los monjes tienen la sartén por el mango » littéralement, ils tiennent la poêle par le manche) ! Ayant la gestion de la basilique, ils s’opposent aux exhumations puisque l’accès aux ossuaires se fait par cette église.
Francisco Franco (et José Antonio Primo de Rivera) y a été enterré en grandes pompes et sa tombe est en face du grand autel de la basilique. Cet emplacement est contraire au droit canonique puisque l’enterrement au pied d'un autel est réservé aux papes ou aux évêques du diocèse. Un petit-fils du dictateur a signalé que Franco désirait être enterré dans le caveau familial d’El Pardo.
Les sculptures et la basilique se dégradent
Pour les statues et la croix monumentale on a employé une pierre calcaire de Calatoroa, une carrière située dans cette commune d’Aragon, facile à travailler. Mais depuis un certain temps des fragments de la Vierge et même des avant-bras du christ se détachent, ainsi que des sculptures des évangélistes ou de la base de la croix. Le tunnel qui conduit à la basilique a des fissures. Une partie des fosses communes a été inondée. La réhabilitation est estimée à 13 millions d’euros.
Mais faut-il restaurer ce mausolée du franquisme ?
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