Il y a un peu plus de deux ans, Leila Alaoui, photographe maroco-française, grièvement blessée dans l’attentat d’Ouagadougou du 15 janvier 2016, succombait à ses blessures. Elle était au Burkina-Faso pour réaliser une série de photos sur les femmes burkinabé pour une ONG. J’avais fait écho de son travail intitulé « Les Marocains » auprès des vénérables membres de l’AAA au moment d’une exposition à Sanary-sur-Mer. Mais cette œuvre mérite d’être remise à l’honneur.
Marchand d'eau au souk de Boumia (province de Midelt)
Née à Paris en 1982, d’une mère française et d’un père marocain, Leila Alaoui a grandi au Maroc, mais a étudié cinéma et photographie à New-York. Elle vivait entre Marrakech et Beyrouth. Les migrants, des réfugiés syriens au Liban aux immigrants marocains et surtout sub-sahariens prêts à tout risquer pour rejoindre l’autre rive de la Méditerranée, furent un de ses thèmes favoris.
Mais avec sa série « Les Marocains » elle fait quasiment œuvre anthropologique. La fameuse place Djemaa-el-Fnaa, chez elle, à Marrakech, lui a offert quelques personnages – charmeur de serpent, tireuse de bonne aventure, musicien et même, sa photo favorite, le jeune sourd-muet qui l’aidait à monter son studio mobile – mais Khamlia, le village Gnawa, avec en particulier sa mariée au masque quasi africain, a aussi été riche en belles découvertes.
Place Djemaa el-Fna Marrakech
" Les Marocains est une série de portraits photographiques grandeur nature réalisés dans un studio mobile que j’ai transporté autour du Maroc. Puisant dans mon propre héritage, j’ai séjourné au sein de diverses communautés et utilisé le filtre de ma position intime de Marocaine de naissance pour révéler, dans ces portraits, la subjectivité des personnes que j’ai photographiées. Inspirée par “The Americans”, le portrait de l’Amérique d’après-guerre réalisé par Robert Frank, je me suis lancée dans un road trip à travers le Maroc rural afin de photographier des femmes et des hommes appartenant à différents groupes ethniques, Berbères comme Arabes. Ma démarche, qui cherche à révéler plus qu’à affirmer, rend les portraits réalisés doublement “documentaires” puisque mon objectif – mon regard – est à la fois intérieur et critique, proche et distancié, informé et créatif. Ce projet, toujours en cours, constitue une archive visuelle des traditions et des univers esthétiques marocains qui tendent à disparaître sous les effets de la mondialisation.
Cette manière hybride de concevoir le documentaire fait écho à la démarche corrective postcoloniale que de nombreux artistes contemporains engagent aujourd’hui afin d’écarter de l’objectif l’exoticisation de l’Afrique du Nord et du monde arabe très largement répandue en Europe et aux Etats-Unis. Le Maroc a longtemps occupé une place singulière dans cette utilisation de la culture historique – en particulier des éléments de l’architecture et des costumes nationaux – pour construire des fantasmes d’un « ailleurs » exotique. Les photographes utilisent souvent le Maroc comme cadre pour photographier des Occidentaux, dès lors qu’ils souhaitent donner une impression de glamour, en reléguant la population locale dans une image de rusticité et de folklore et en perpétuant de ce fait le regard condescendant de l’orientaliste. Il s’agissait pour moi de contrebalancer ce regard en adoptant pour mes portraits des techniques de studio analogues à celles de photographes tels que Richard Avedon dans sa série “In the American West”, qui montrent des sujets farouchement autonomes et d’une grande élégance, tout en mettant à jour la fierté et la dignité innées de chaque individu. "
Sa plus grande difficulté, a-t-elle racontée, était de convaincre les gens à prendre la pause, "dans un pays ou des personnes ont des appréhensions superstitieuses envers l’appareil photo et considèrent souvent la photographie comme une façon de voler l’âme des gens."
Essaouira
Tamesloht, près de Marrakech
Après avoir essuyé de nombreux refus et passé plusieurs minutes à persuader des passants, la jeune femme finalement réussissait à en convaincre quelques-uns. Mais spontanéité oblige, elle n’a souvent pas eu droit à l’erreur: "Intimidés par le flash, ils quittent immédiatement le studio après la première prise, me laissant avec une seule chance de prendre la photo."
Khamlia (au sud de Merzouga)
La mariée est étonnamment masquée...
Rifaines : la plus jeune de Chefchaouen
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