Voilà un pur angevin, puisque né à Angers à la fin du XIXe siècle, que j’avais déjà rencontré comme illustrateur d’une des éditions (1933) du Rideau levé ou L’éducation de Laure. Mais les hasards de mes errances sur internet m’ont fait retrouver ces illustrations et poussé à y regarder de plus près.
Mercier est donc né sur les bords de la Maine (qui, pour un angevin, valent bien ceux de la Seine) en 1899. Son nom de famille, assez commun, cache que la maman était née Cointreau, petite fille du fondateur de cette prestigieuse maison angevine.
En 1920, il entre à l’école des Beaux-Arts d’Angers mais dès l’année suivante il va aux Arts déco de Paris, formation qu’il complète à l’école Estienne où il s’initie aux techniques de l’eau-forte ou de la lithographie.
Et dès 1924, il décroche la timbale : son projet est retenu pour l’affiche de la Foire-exposition d’Angers. Il travailla d’ailleurs beaucoup pour les manifestations ou produits angevins.
Ce descendant Cointreau mit son talent au service de la firme familiale. Des nombreuses œuvres publicitaires, la plus plaisante – à mon sens – où il recommande à l’automobiliste, après avoir bien déjeuné, un petit dernier pour la route.
Il fut aussi un affichiste de cinéma extrêmement prolifique. Bien que lié à une maison de distribution, Lutétia, il s’arrangea pour travailler pour d’autres. Il illustra donc les films des plus grands réalisateurs de l’entre-deux guerre.
Mais le plus plaisant et que l’illustrateur d’œuvres pieuses comme une vie de Jésus par un cardinal Grente, d’œuvres pour la Jeunesse, de chansons traditionnelles, se commit, non seulement à illustrer Le Rideau levé, mais aussi trois autres œuvres que l’on peut qualifier de licencieuses, dont Mon Noviciat ou les joies de Lolotte, d’André-Robert Andrea de Nerciat (dit Andrea de Nerciat).
Il est vrai que ces lestes illustrations datent de l’entre-deux guerres et que les saintes images vinrent bien après-guerre. Et notre artiste angevin produisit des œuvres, dont la décoration de l’espace de jeu des enfants sur la paquebot France, jusqu’en 1993 et mourut deux ans après.
Un été à la campagne
Roman épistolaire qui nous livre les échanges d’Adèle et Albertine, l’une dans un manoir campagnard avec sa tante, l’autre restée à Paris dans un pensionnat privé.
Combien je regrettais, toute seule dans ma chambre, toute seule dans mon lit, les douces nuits que nous passions dans les bras l'une de l'autre ! Combien de fois me suis-je éveillée et t'ai-je cherchée à mon côté, pour te demander un plaisir que j'étais, réduite, hélas ! à me procurer toute seule !
[Ma tante], du reste, semblait se considérer avec infiniment de plaisir dans l'armoire à glace qui se trouve au pied de son lit, et qui reflétait complaisamment tant de beautés diverses si rarement rassemblées dans la même personne.
Cette lettre [de son mari] renfermait, à ce qu'il paraît, des choses bien tendres, car la lectrice avait le visage et le regard fort animés : tout à coup, son oeil se ferme, sa tête s'appuie languissamment sur le dossier du fauteuil; sa main gauche, qui tenait la brûlante épître, la dépose sur la table, tandis que sa droite, tout doucement abaissée, s'empare de la chemise, qu'elle relève d'un mouvement insensible, et cependant assez haut pour me permettre de distinguer dans son entier une toison du plus beau brun, coquettement dessinée, gracieusement frisée, qui m'en rappela sur-le-champ une autre qui ne doit pas t'être tout à fait inconnue ; après quoi, cette scélérate de main, toujours hésitante, tâtonnant, avançant peu à peu, sans avoir l'air d'y entendre malice, se glisse sournoisement entre deux cuissçs superbes docilement entr'ouvertes, et là se met décidément à l'oeuvre avec activité.
Ma tante, qui semblait pourtant fort actionnée, s'arrête comme frappée d'une réflexion subite ; elle se dirige vers son armoire y prend, dans un tiroir soigneusement fermé, une jolie boîte oblongue, l'ouvre et en tire... comment définir ce qu'elle en tire?... une sorte d'instrument bizarre, de forme ronde, allongée, que je ne sais, en vérité, à quoi comparer; elle l'examine, le considère amoureusement, et s'en saisissant, va reprendre la position que je t'ai décrite tout à l'heure ; là, de la main gauche écartant les obstacles, elle maintient avec la droite son singulier partenaire, et, en dépit d'une résistance désespérée, le fait complètement disparaître dans un certain réduit où il se trouve étroitement emprisonné ; une sorte de combat s'engage aussitôt : le nouveau venu, furieux, et abusant de sa position, le traître ! semble s'acharner sur ma malheureuse tante, dont le beau corps s'agite, bondit en soubresauts frénétiques, et qui bientôt, vaincue, s'affaisse sur elle-même; la honte de sa défaite, sans doute, lui arrache alors de plaintifs gémissements.
Je priai d'abord Félicie d'éteindre la veilleuse, dont la lumière, affirmai-je, m'empêcherait de dormir.
Cette précaution prise, et cinq minutes à peine écoulées, cinq siècles plutôt! hors d'état de me contenir plus longtemps, je me tourne de son côté en soupirant profondément; elle me demande si je souffre.
— Horriblement, ma chère ! lui dis-je.
Et m'approchant brusquement, je me jette à son cou, comme pour implorer du secours, et je l'embrasse.
Cette avance n'est pas mal reçue ; au contraire, je crois sentir une étreinte qui répond à la mienne. La bonne fille aurait tout fait pour me soulager !
Pour tout dire, nous fûmes contentes l'une de l'autre ; la nuit fut consciencieusement employée,
Le vieil Esope avait bien raison, ma chère, lorsqu'il affirmait que la langue est la meilleure chose du monde, et cependant parmi les nombreux usages qu'il lui assigne il ne mentionne pas celui que m'a révélé ma savantissime institutrice.
Tu devais être à peindre, perchée sur ton échelle, attendant le bon plaisir de madame la Lune pour sonder les mystères de la grange, mystères, soit dit en passant, dont mademoiselle Esaû ne pourra te fournir la clé, par la raison très-simple que, depuis trois jours, elle a quitté le pensionnat sous l'escorte d'un magnifique carabinier.
Du lit en désarroi tombait la couverture,
Le drap était en fuite, et laissait voir deux corps
Dont la chair rebondie, arrachée aux efforts
Du corset, ce moderne instrument de torture,
Libre de toute entrave, à l'abri du remords,
Splendide, s'étalait, rendue à la nature.
Rose pleure, se lamente, supplie ; larmes, supplications inutiles.
Je voyais se dresser devant moi la formidable réalité dont le consolateur de ma tante n'était que l'infime reproduction...
Il est là, près de moi, il me tient embrassée ; je sens partout à la fois sa main qui ne se fixe nulle part ; elle s'arrête pourtant, rencontre une des miennes imitant aussi exactement que possible celle de la Vénus pudique, l'éloigne doucement, et... et je meurs de plaisir !...
Tonte médaille a son revers, dit-on ; hélas ! je dus me convaincre de cette incontestable vérité; une vive douleur me tira brusquement de la voluptueuse torpeur dans laquelle j'étais plongée. Lucien essayait de conquérir la palme réservée aux amants heureux ; et, vois l'injustice ! tandis qu'il cueillait la rose, moi je me piquais aux épines !
…de fréquents éclairs et le roulement du tonnerre annoncèrent un violent orage ; quand un terrible fracas éclata ; aussitôt la porte vitrée s'ouvre; Jeanne, effarée, en chemise, se précipite vers mon lit, me suppliant de la laisser coucher avec moi, car elle a, me dit-elle, une peur affreuse. A chaque nouvel éclair, à chaque grondement de la foudre, elle se rapproche davantage et se serre sur moi ; ses frayeurs et mes caresses redoublent.
Le ciel en feu paraît vouloir s'entr'ouvrir ; je ne réponds pas, mais j'enlace si bien la rebelle, que toute défense est paralysée ; ma main ne perd pas son temps.
— Ah ! mon Dieu ! je ne sais ce que j'éprouve... soupire Jeanne, qui commence à perdre la tête. Non, jamais... Je vous prie en grâce, Albertine... finissez !... Je n'ai jamais ressenti... Ah! quel plaisir!... Sainte Vierge... pardonnez!... Albertine, je... je vais mourir !... Chère Albertine... ah ! ah !... bonheur des anges!... Je... je meurs !...
Les mots expirent sur ses lèvres, sa tête sans force se renverse sur mon épaule; elle frissonne, palpite, se raidit, puis s'affaisse entre mes bras.
Cette Jeanne, que je parvenais si rarement à animer, que je décidais si difficilement à une réciprocité longtemps implorée, dès qu'elle sut, ou plutôt dès qu'elle devina l'usage du joyau que j'osais à peine exposer à sa vue, se montra héroïquement décidée à tenter l'aventure; les risques à courir ne l'épouvantaient pas ; au contraire, le danger semblait l'attirer, avoir des charmes pour elle.
Je n'hésitai pas plus longtemps, tu penses; je me transformai à l'instant en amant passionné et, ton oncle aidant, je me présentai vaillamment dans l'arène, armée de toutes pièces. […] loin d'entraver mon élan, elle le secondait de tout son pouvoir. La douleur mêlée de plaisir qu'elle ressentais lui servait d'aiguillon ; son ardeur excitait, ranimait la mienne ; enfin, grâce surtout à l'emploi du cold-cream, je surmontai toutes les difficultés, je franchis tous les obstacles.
Cet été à la campagne a inspiré de nombreux illustrateurs :
Anonyme
Édouard-Henri Avril
Martin van Maële
Auguste Brouet
Frans de Geetere
Gaston Barret
La jeune héroïne-narratrice suit sa mère, en instance de divorce, dans un couvent de province. Lolotte, qui a joui jusque là d’une éducation particulièrement libre, dispensée par d’immoraux instituteurs espérant bien en profiter un jour, emporte avec elle « deux volumes [...] ornés », cadeaux de ses premiers maîtres. Il s’agit de l’Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux, écrite par lui-même (1741), d’une part, et du Rideau déchiré(sic), ou l’Éducation de Laure (1786), d’autre part. Le premier, (…) quasi entièrement située dans un cadre claustral (monastère masculin du narrateur principal Saturnin, couvent féminin de la longue histoire insérée de la sœur Monique) en fait, par excellence, le roman libertin des débauches conventuelles, véritable emblème de la veine anticléricale du roman pornographique de cette époque. Le rapport du roman de Mirabeau, (…) avec le roman de Nerciat peut d’abord apparaître moins évident : si la narratrice est supposée en rédiger le texte au couvent, la place que celui-ci occupe dans la narration proprement dite est minime, à la toute fin du texte. Mais l’on se rappellera que L’Éducation de Laure est centrée sur une relation père / fille, ou plus exactement beau-père / belle-fille. (…) Or, Lolotte s’avérera finalement bien l’histoire de cet inceste père-fille consommé ici sans remords. (…) la contemplation de leurs gravures sert de support, dans un premier temps, aux activités masturbatoires de la jeune fille, puis de sa mère lorsqu’elle se sera avisée de la présence de ces ouvrages (…) Une troisième référence [est] introduite plus obliquement dans le texte : Thérèse philosophe (1748) (…)
Dans le texte de Nerciat, la référence à Thérèse philosophe se fait sur le mode apparent du dénigrement et de l’ironie, dans le contexte du désappointement de la narratrice face à son entrée forcée au couvent et à la réduction de ses espérances érotiques à la seule activité masturbatoire qui caractérise le personnage de Boyer d’Argens.
« Cependant, dès qu’une fois j’eus passé le seuil de la funeste retraite ; dès qu’avec horreur je me senti prisonnière dans un lieu où tout homme est exclu ; réduite à n’en plus rien voir que dans les gravures dont mes deux volumes étaient ornés, je compris bien que la nécessité devait me forcer à suivre l’exemple de Thérèse, et je devins, à cet égard, tout aussi philosophe. ».
Le couvent qu’imagine Nerciat dans Mon noviciat est le double inversé de celui de Thérèse philosophe. La frustration de Lolotte n’y est que de courte durée, comme d’ailleurs celle de tous les autres personnages du roman qui, dès lors qu’ils sont surpris dans une situation de manque (rêve érotique, lectures libertines et onanisme, mélancolie), voient aussitôt celui-ci comblé par des interventions que Nerciat pare des codes du merveilleux et d’un surnaturel emprunté à l’Antiquité païenne. Ainsi, Lolotte est d’abord le témoin des effets d’un songe luxurieux de son chaperon, Félicité. La description semble presque celle de l’apparition d’un être invisible :
Une nuit cette ardente créature eut un songe tellement agité que j’en fus éveillée.
Elle était sur le dos, les cuisses écartées et respirant avec oppression ; ses reins s’élevaient et s’abaissaient périodiquement, toujours de plus en plus vite, ce fut enfin avec un trémoussement convulsif, à travers lequel elle se mit à prononcer, avec les accents de la plus extrême passion : « Pousse, pousse, mon cher Fanfare (Fanfare était le nom d’un domestique chasseur de mon père) mets tout… tout… avec moi… par…tons ensemble… Fou…ou…ou…outre !… tiens… tiens donc… ha !… ha !… »
Ces derniers accents, d’une expression si déclinante, furent suivis d’une parfaite immobilité. Un moment après elle ajouta d’un ton triste : « Qu’avons-nous fait ! Ah, mon ami ! je suis prise… du coup tu m’auras fait un enfant, j’ai senti ton foutre à la pointe de mon cœur. »
(…) Avoir surpris cette scène donne à Lolotte un moyen de pression sur Félicité qui devient son amante, première étape de la satisfaction des désirs, déjà affirmés, de l’héroïne, et de ceux, ainsi révélés, de sa gouvernante. La seconde étape va se faire en basculant du mode fantasmatique au mode proprement fantastique, lorsqu’il s’agira d’obtenir la satisfaction d’un commerce avec un homme. La conversation entre Lolotte et Félicité est alors brusquement interrompue par l’intervention d’« une faible voix » venue de nulle part, qui manque « faire mourir de peur » les deux personnages, et qui leur promet la satisfaction de leurs désirs pour le soir même, à minuit, si elles laissent entrouverte la fenêtre de leur chambre donnant sur le jardin.
(…)
« À la fin, cependant, comme je revenais pour la centième fois à la fenêtre… quelle satisfaction ! J’entrevois quelque chose de mouvant dans le jardin... Cet objet s’avance ; j’appelle Félicité... Nous voyons d’abord une figure... ensuite une échelle... et c’est à nous qu’on en veut... comme le cœur me bat ! » Venu d’un extérieur indéfini et obscur, l’être apparaît d’abord sous les auspices du non-humain (« quelque chose de mouvant », « cet objet ») avant de se matérialiser. Le personnage apparaît déguisé en religieuse, mais « L’attirail de la béguine s’envole à l’instant de dessus le corps de notre visiteur »
Vous comprenez bien, mes amours, nous dit-on, que ce n’est pas pour filer un roman qu’on se réunit à minuit dans un couvent de filles ? Au fait. J’ai plus d’une fois écouté vos familiers entretiens et entendu vos ébats. Je suis donc parfaitement orienté sur tout ce qui vous regarde. Connaissant à fond ce que vous pensez, ce que vous désirez, je viens fournir ce qu’il vous faut
(…)
« Aux ailes près, c’était un ange, ou bien que l’on se figure l’Apollon du Belvédère, mais pourvu d’un vit ! Ah quel vit ! C’était le premier en nature que je voyais de ma vie ; jamais, hélas je n’ai joui du bonheur de retrouver son pareil. »
(…)
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