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22 mars 2016 2 22 /03 /mars /2016 18:25
L’anneau de la pucelle et les cyrards

Le seigneur de l’anneau, comme le nomme A. Chemin du Monde, a donc solennellement accueilli une bagouze ayant appartenu à Jeanne-la-Pucelle dans son fief du Puy-du-fou. Fanfare, cyrards, soudards – pardon fiers chevaliers sur leurs destriers et poilus de 14 – gniards précédaient la châsse où reposait la sainte relique. Alleluia !

« “Accueil de l'anneau de Jeanne d'Arc dimanche 20  mars. Le peuple de France y est invité gracieusement. Je vous y attends." Conviés par Philippe de Villiers en personne, ce dimanche 20  mars, plus de 3 000 spectateurs guettent dans la cour du château du Puy  du  Fou le pas d'une trentaine de chevaux caparaçonnés venus des hauteurs voisines. Les tambours roulent de plus en plus près, bannières et oriflammes flottent au soleil et chatoient à travers le porche. Cent cyrards, sabre au clair et casoar au vent, dressent une haie d'honneur à ces chevaliers venus directement du XVe  siècle. » nous conte Ariane Chemin, dans Le Monde du 22/03/16.

« Coincé entre un curé en soutane et quelques familles cathos extatiques, tentant de résister à la voix de fillette ululant dans les baffles une chanson faisant rimer "Jeanne" et "petite flûte dans les flammes", et voyant arriver le reliquaire de style faux Moyen Âge, précédé de cavaliers en armures en plastique, on s’en faisait la réflexion : il y a seulement dix ans, un tel sommet de kitsch aurait suffi à faire notre joie pour la semaine. » ironise François Reynaert L’OBS

Que le Vicomte Le Jolis de Villiers de Saintignon fasse dans le Walt Disney Maurrassien, pour célébrer, l’arrivée de cette bague – payée quand même 370 000 € : la rançon de Jeanne d’Arc – si ça l’amuse et si ça amuse des gogos cagots, pourquoi pas ? Que la bague en question soit d’une authenticité incertaine : qu’importe ! comme le rappelle Reynaert, on a compté des dizaines de Saint-Prépuces de Jésus de Nazareth ; l’authenticité d’une relique est secondaire, ce qui importe c’est la foi des pèlerins.

Mais en revanche, la présence d’une centaine d’élèves officiers de l’école militaire de Saint-Cyr, elle, pose un sérieux problème. En grande tenue, casoar et gants blancs, sabre au clair, ils rendent hommage aux chevaliers d’opérette, aux fillettes accoutrées façon moyen-âge, aux poilus du bocage et à la relique de la sainte et entonnent un chant aux allures de cantique ! Est-ce la vocation des cyrards que de cirer les pompes à de Villers, fût-il le frère du chef d’état-major des armées ? L’autoproclamé grand défenseur de la laïcité, Jean Glavany, serait bien inspiré de poser la question au Ministre de la Défense : que diable venaient-ils faire dans cette mascarade, ces futurs officiers d’une Armée (en principe) républicaine ?

Pour le reste, comme le note, William Blanc,Professeur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), cité par A. Chemin : "Villiers utilise la même méthode que Lorant Deutsch. Mais pas seulement. La procession de la bague au Puy  du  Fou a quelque chose de ce temps médiéval où on inventait des objets de dévotion. Il y a aujourd'hui toute une nébuleuse qui remet au goût du jour une histoire identitaire, un roman national héroïque et catholique. La Jeanne d'Arc du Puy-du-Fou est celle de l'Action française, nationaliste et catholique, appuie l'historien. Cette fois, l'ennemi, ce sont les Anglais, mais aussi les universitaires enfermés dans leur tour d'ivoire et coupés du pays réel, complices passifs du mondialisme. Ces gens-là utilisent un récit historique figé pour appuyer un propos politique, qui passe, on le sait, par les symboles. "

Jeanne et son temps

Pour nos Vendéens comme, il est vrai, pour 80% des gens qui n’ont pas ouvert un livre d’histoire depuis leur cour élémentaire, Jeanne d’Arc, c’est une sorte de Jean Moulin en armure qui a bouté les méchants Anglois hors de France. Une grande héroïne nationale. Or au XVIe siècle l’époque n’est pas nationale, mais féodale.

 

Les guerres n’opposent pas entre eux des peuples, liés par une même identité, acharnés à défendre un territoire qu’ils pensent leur, mais des nobles qui se disputent fiefs et provinces comme on se pique l’avenue de Breteuil au Monopoly.

Au début du XVe siècle, il y a trois protagonistes. Charles VI, le roi Valois, est fou. Deux puissantes familles cousines se déchirent pour accaparer le pouvoir : celle du duc de Bourgogne, les Bourguignons, et celle des Orléans, qu’on appelle les Armagnacs, à cause de leur alliance avec ce clan du Sud-Ouest. Et débarque en Normandie le troisième larron de l’affaire, Henri V d’Angleterre, le Plantagenêt.

En quelques victoires (dont Azincourt), il réussit à écraser la chevalerie française, et la reine Isabeau de Bavière, au nom de son mari le roi fou, tricote une sortie de crise ingénieuse : sa fille Catherine épousera Henri V, et leur fils scellera l’union pacifique des royaumes de France et d’Angleterre en devenant souverain des deux. C’est ce que l’on appelle la "double monarchie".

 

Une petite Lorraine en armure

Un seul est contre. Le dauphin Charles, exilé à Bourges chez ses amis Armagnacs. Fils de Charles VI, c’est à lui que devait revenir la couronne. Après des années à hésiter sur le parti à prendre, il voit son destin chamboulé grâce à l’arrivée d’une petite Lorraine en armure qui se dit inspirée par Dieu et voit en lui le seul vrai roi du royaume de France.

La jeune fille, arrivée de sa province, déborde d’une énergie proprement surhumaine. En quelques mois à peine, elle arrive à renverser le cours de l’Histoire. Emmenant son dauphin jusqu’à la cathédrale de Reims, il est sacré roi, en juillet 1429.

Ingratitude du roi, quand Jeanne est capturée, il ne fait rien pour la racheter aux Bourguignons, ni pour la sauver.

 

Jeanne et son mythe

 

Contrairement à ce qu’on pense au Puy du Fou, la petite bergère de Domrémy n’a pas traversé les siècles auréolée de sa gloire. Jusqu’au XVIIIe siècle, elle est restée un personnage folklorique dont on connaissait la geste, mais qui n’avait rien de central dans la façon dont on se représentait l’Histoire et n’intéressait pas grand monde. Il faut attendre le XIXe siècle pour qu’enfin, elle fasse son grand retour. Pour le coup, le concept de Nation s’impose.

La nation est une construction politique du XIXe siècle. Il s’agit d’en faire un principe surgi du fond des âges. D’où ce que l’on appelle aujourd’hui le "roman national", c’est-à-dire la lecture rétrospective d’une Histoire repeinte en tricolore, avec ses Gaulois, ses rois qui ont "fait la France", et ses patriotes éternels.

C’est d’abord Michelet, grand prêtre républicain de ce roman national qui en fait l’incarnation du peuple au secours du pays (marrant d’entendre de Villiers reprendre cette vision de Michelet en opposant son héroïne aux élites de l’époque, comme si l’entourage du dauphin sortait d’une ENA moyenâgeuse).

 

Quand la droite se rallie au principe national qu’elle accomode à la sauce xénophobe, elle s’accapare la bergère lorraine. Sauveuse de la monarchie, la vierge était inspirée par Dieu. Et cette droite catho n’eut de cesse que de faire canoniser la pucelle. Bien que les miracles recensés n’aient eu lieu qu’au XIXe siècle, elle est béatifiée en 1907, canonisée en 1920.

Son culte est au sommet. On le voit, il correspond également au moment où le nationalisme est également au pinacle : il vient, avec la guerre de 1914, de montrer ce qu’il est capable de produire.

 

De toute évidence, quand il s’exclame "Vive sainte Jeanne d’Arc ! Vive la France !", devant ses poilus d’opérette et ses Saint-Cyriens qui marmonnent du Péguy, Philippe de Villiers pense que le meilleur moyen de nous faire avancer dans le XXIe siècle est de le faire revenir à cette belle période.

 

D’après François Reynaert

Cette communauté de l’anneau que décrit Ariane Chemin, déçue de Sarkozy, méprisant Juppé ou Fillon, se décrit comme une grande famille nationale traditionnelle, fer de lance de la Manif (anti mariage) pour tous, admirant Zemmour, soutenue par Ménard, implantée dans le monde des patrons avec Charles Beigdeber, et soutenue par les cagots les plus réacs dont Maître Trémolet de Villers est un digne représentant.

Comment Philippe de Villiers récupère le mythe de Jeanne d’Arc

Cet article des historiens William Blanc et Christophe Naudin, leur a valu plus de cinq ans de procédures judiciaires, avant que le Vicomte Le Jolis de Villiers de Saintignon, soit définitivement débouté.

La fondation du Puy du Fou annoncait début mars 2016 avoir acheté un anneau dont la possession aurait été attribuée à Jeanne d'Arc et évaluée à 376,883, mais dont "l'authenticité ne pourrait cependant pas être certifiée" selon les dires du musée de l'Historial Jeanne d'Arc, à Rouen

 

Le récent rachat d’une bague attribuée à Jeanne d’Arc par Philippe de Villiers constitue un événement révélateur d’une utilisation symbolique de l’Histoire à des fins mémorielle, politique et économique. Il ne s’agit pas de savoir si l’anneau a véritablement appartenu ou pas à Jeanne d’Arc, même si les spécialistes, comme Colette Beaune ou Olivier Bouzy, émettent de sérieux doutes quant à son authenticité. Notons simplement que cette découverte a lieu alors que nous avons fêté en 2012 le 600e anniversaire de la naissance de Jeanne d’Arc, qui devient par conséquent l’objet de véritables enjeux.

Politiques tout d’abord. Depuis le début du XXe siècle avec l’Action française de Charles Maurras, Jeanne d’Arc a été accaparée par l’extrême droite qui en fera, sous Vichy, une égérie de l’antisémitisme. Aujourd’hui, la nouvelle fièvre johannique doit se comprendre dans la perte d’influence du catholicisme au sein de la société française. Réactiver la figure de la jeune martyre revient à affirmer que la France serait, par nature, une nation chrétienne. Jeanne d’Arc, tuée par des Anglais – en fait, de nombreux sujets du royaume de France ont participé à sa capture et à son procès –, sert aussi à mobiliser les foules d’hier et d’aujourd’hui contre la figure de l’étranger. Pour l’Action française, ce fut le juif. En ce début de XXIe siècle, ce sont les migrants et les musulmans qui viendraient détruire les « racines chrétiennes » de la France.

On remarque en effet, depuis le début des années 2010, une véritable stratégie de reprise en main de la figure de Jeanne d’Arc par la droite extrême. En 2012, Patrick Buisson, ancien rédacteur en chef du journal Minute, convainc Nicolas Sarkozy d’organiser une cérémonie pour l’anniversaire de la naissance de la sainte catholique. En 2014, Philippe de Villiers publie son Roman de Jeanne d’Arc (Albin Michel, 452 p., 22,50 euros), applaudi par Eric Zemmour. En janvier 2016, Jacques Trémolet de Villers, proche de l’ancien ministre, publie les minutes du procès de Jeanne d’Arc (pourtant disponibles gratuitement sur Internet). Quelques semaines après, il découvre la vente aux enchères de l’anneau et persuade le fondateur du Puy du Fou de l’acheter, pour l’exposer à la foule le samedi 20 mars, avant de le déposer dans une chapelle. Pas un historien, et encore moins les spécialistes de Jeanne d’Arc, ne s’est associé à ce spectacle. Seul le journaliste d’Europe 1 Franck Ferrand, bien connu pour ses prises de position en faveur d’un récit national identitaire, s’est prêté au jeu en affirmant qu’il fallait aborder le passé avec « une part de foi »....

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commentaires

J
Reçu par courriel :<br /> "En "bon" maurrassien, au Puy du Fou, de Villiers aura réuni le sabre et le goupillon". PL
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J
Reçu par courriel :<br /> "Excellente réplique à cette mascarade traduisant la méconnaissance totale de l'histoire réelle de l'affaire de Jeanne d'Arc" AC
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