Si vos cadrages sont de traviole, vos coups de flashes se reflètent sur les sous-verres de votre séjour, si la statue de marbre surflashée a pris une allure plâtreuse sur votre cliché, si votre ombre apparaît sur la photo prise au soleil couchant, vous pouvez prétendre être un telleriste, un disciple de Juergen Teller.
“After I exhibited this picture, a lot of journalists and critics kept asking me: what is the motivation and reason to shoot Raquel Zimmerman and Charlotte Rampling naked in the Louvre? Having the Louvre to yourself, with Charlotte naked in front of the Mona Lisa – that’s enough for me.”
Juergen Teller
Ainsi, dispose-t-il du Louvre pour lui seul, qu’il y emmène Charlotte Rampling, l’inoubliable héroïne de Portier de nuit, et Raquel Zimmermann, un mannequin brésilien élancé, pour les faire poser, nues, sous une Joconde, au cadre penché et mangée par un éclair de flash. Ne parlons pas de la pauvre Joséphine dont le couronnement a plus encore subi l’éclair violent. La liberté guidant le peuple de Delacroix n’aura pas plus de chance derrière Raquel Zimmermann nue. Surexposée une sculpture n’a plus aucun relief et devient illisible. Une vitrine prend un air penché, ainsi qu'une sculpture. Le corps sans tête d’un de ses modèles prend une teinte plâtreuse. Les déambulations de ces deux nudités au milieu des œuvres exposées ne semblent obéir à aucune visée, ni esthétique, ni érotique.
Le divan de Freud anticipait un peu cette visite du Louvre par deux nudités. Ayant du coup à sa disposition l’outil du fondateur de la psychanalyse, il y installe un modèle, Malgosia Bela, qu’il flashe et surflashe allégrement avec un cadrage apparemment approximatif.
Il avait déjà mis Charlotte Rampling à contribution. En principe pour une campagne de pub pour le prêt-à-porter de Marc Jacobs. Vêtements qu’on ne voit d’ailleurs pas dans cette série qu’il baptisera Louis XV. Est-ce à cause du mobilier de l’hôtel où il a opéré ? Car y voir, comme le font des critiques, une allusion au libertinage serait assez hardi. C’est du cru, du trash. Il s’exhibe, alors que l’actrice reste beaucoup plus réservée, pudique même. Tandis qu’il expose son trou de balle, elle feint de jouer, impassible, sur le piano à queue où il s'est étendu jambes en l'air. Comment ne pas évoquer Max, mon amour, quand Teller se love entre ses bras ? Le photographe n’hésite pas à pisser dans un pot de fleurs et pratique le selfie avec complaisance. Il se met plus en scène que l’actrice. Exhibition non dépourvue d’auto-dérision puisqu’il y montre une bavaroise bedaine de buveur de bière. Faut-il voir dans le caviar gâché une dénonciation de notre société de consommation ?
Naît de cet ensemble quelque chose de paradoxal et qui ravit bien au-delà des feintes tendues par les digressions offertes sous le registre d'une pornographie prise à revers et où ce n'est plus la nymphette et le bellâtre qui sont mis en scène mais la femme d'âge mur et un homme qui ne répond pas aux critères qui répondent(sic) habituellement à ce type d'exhibition. Surgit ainsi de ces images décalées quelque chose de sacrilège où une angoisse sourde induite par la présence particulière d'une star offerte soudain telle qu'on ne l'attendait pas, qu'on ne l'attendait plus.
Surgit de la sorte une suite de situations devant lesquelles le regardeur est pris d'une sorte de gène car il ne peut se raccrocher ni à une attirance pornographique ni une propension esthétique (dont la première généralement se moque. D'une certaine manière le regardeur demeure sinon anéantit du moins perplexe face à une telle exhibition d'où paradoxalement il est peu dit du désir et encore moins de l'amour.
Jean-Paul Gavard-Perret, " Louis XV " Veillée nocturne et fête diurne (ou le triomphe de la féminité), extraits
Juergen Teller photographie ici Helen Mirren, 65 ans, interprète d'Elisabeth II (The queen), dans un bain laiteux.
Trois magnifiques photos de la créatrice de mode Vivienne Westwood ornent les murs du Palais de Beaux-Arts [de Bruxelles, jusqu’au 13 septembre]. Des portraits nus. Le seul qui pouvait convaincre la sexagénaire de poser de la sorte, c'est Jürgen Teller (°1964, Allemagne), l'un des plus importants photographes contemporains. Ses idées provocantes lors de shootings avec des célébrités ébranlent les relations conventionnelles entre artiste et modèle. Son oeil précis et son esprit d'ouverture lui ont permis de se faire un nom comme photographe d'art et de mode …
Présentation de l'exposition par le Musée des Beaux-Arts de Bruxelles
Vivienne Westwood, ou plutôt Dame Vivienne Westwood car en tant que membre de l’Order of the British Empire elle a droit à ce titre équivalent à celui de knight pour les mâles, toute anoblie qu’elle soit, a gardé son vieux fond de rousse incendiaire punk. Non contente de confier les photographies de ses collections à Juergen Teller, d’y figurer d’ailleurs elle-même affublée de ses créations, en 2009, elle a posé nue pour celui que Photo n° 519 qualifie de "bad boy de la photo de mode. Sur son propre canapé rococo, l’artiste de 68 ans ne cache rien" et montre qu’elle est une vraie rousse.
Autre vraie rousse, l’actrice et mannequin Lily Cole.
Il va d’abord l’affubler d’une coiffure ridicule et d’une barbotteuse, avant de révéler sa sulfureuse beauté. (Ce cliché – rousse sulfureuse, car dans les âges lointains on prêtait aux rousses des accointances avec Lucifer – s’est révélé juste, car les cheveux roux contiendraient des traces de soufre.)
Cette série démontre, si besoin en était, que l’apparent amateurisme, voire le je-m-en-foutisme, est délibéré.
Juergen Teller est né à Erlangen en Allemagne en 1964. Il était destiné à la fabrication d’archets, mais une allergie l’a conduit vers la photo à laquelle un oncle l’avait initié. Mais il a eu des bases solides à la Bayerische Staatslehranstalt für Photographie à Munich (1984-1986).
Donc quand il surexpose à grands coups de flashes, qu’il fait un cadrage foutraque, il manifeste sa volonté de travestir les codes de la photo de mode ou glamour.
Parfaitement équilibrée quant à la couleur sont les photos qu’il va prendre, quasiment au lendemain de son accouchement, du mannequin Lara Stone. La transgression, si transgression il y a, se joue presque dans le côté convenu des poses.
Jeffrey Kastner d’Artforum parle d’un créateur d’"érotisme consumériste". La grossièreté étudiée de ses clichés s’est peu à peu transformée en anti-art maniéré qui, malgré son association alchimique aux produits de consommation, aux célébrités et à l’argent, engendre une espèce abjecte et dégénérée de glamour. À l’instar de nombreux artistes, Monsieur Teller aime prendre ses distances avec toute interprétation critique de son travail. Récemment, dans une interview accordée à Artinfo UK, il a déclaré « les gens prennent tout ça beaucoup trop au sérieux. Ce ne sont que des photos ! ».
Chloe Wyma Le choc du nu
Une espèce abjecte et dégénérée de glamour, C. Wyma n’y va pas par le dos de la cuiller ! Et si notre bavarois ventru, à l’exhibitionnisme masochiste, qui avoue « Je n’ai jamais eu d’autre culture que celle de la télévision et du football », n’était pas resté un grand enfant, faisant un pied de nez aux adeptes de la photo de mode ou glamour aseptisée.
Il débute sa carrière par des pochettes de disque et, sympathisant avec Bjork, la photographie aussi bien avec son enfant, que posant jambes ouvertes sur un peu érotique collant islandais ou mangeant salement des sortes de nouilles noires.
Il met Kate Moss dans une brouette et la shoote sans les apprêts habituels. La pauvre Kristen McMenamy se prête aussi à ses facéties peu flatteuses, a priori, pour son image. Quant à Mariacarla Boscono, elle se plie à des mises en scène plus ou moins scabreuses. Et tout semble se passer dans une atmosphère complice.
Ses campagnes de pubs sont pour le moins osées.
Dans le genre on peut hésiter entre celle pour les sacs Marc Jacobs où la pauvre Victoria Beckham est réduite à une paire de jambes écartées autour d’un sac blanc géant dont la marque se voit à peine et celle de Versace où Kristen McMenamy, nue, non retouchée (un hématome sur l’épaule et une cicatrice sur le ventre) affiche un cœur entre les seins, dessiné au rouge à lèvres, avec inscrit Versace à l’intérieur.
Avec Westwood, si les mannequins portent les créations de Dame Vivienne, les mises en scène sont toujours des plus foutraques. La marque Celine a droit aussi à son inventivité souvent potache. (Pour voir encore plus : http://juergenteller.tumblr.com/)
Coupe du monde de foot 2014
«Pendant un mois, tu ne vis que pour ça. Plus ton équipe gagne, plus la tension monte. Le jour de la finale, tu es émotionnellement à ton maximum! En l’espace de quelques minutes, tu peux passer de l’euphorie à la déprime. Ce moment unique, ce mouvement, j’avais envie de le fixer sans en perdre l’énergie.»
Juergen Teller
Siegerflieger – le dernier livre du photographe – porte sur la victoire de la Mannschaft (l’équipe de foot allemande) à la dernière Coupe du monde. Siegerflieger – c’est l’avion du vainqueur - nous montre donc la coupe du monde vécue par les supporters, à commencer par les proches de Teller, son fils et ses cousins. «A force de photographier des stars, je me suis lassé de leur vanité. Il y a plusieurs années déjà, j’ai commencé à prendre en photo mes proches.» La saucisse qui sert de couverture à l’ouvrage symbolise-t-elle l’Allemagne ? Les buts de l’équipe teutonne excitent-t-ils à ce point une spectatrice qu’elle glisse sa main dans un slip aux couleurs de son équipe ?
Il faut bien que se glisse quelques facéties provocatrices.
Ce livre est aussi une révolution technique pour Teller puisqu’il est passé au numérique, alors que jusqu’alors c’était un fidèle de l’argentique : j'ai eu le plaisir d'apprendre à utiliser un appareil numérique… Je me sens un peu plus libre, notamment parce que je n'ai pas à me balader en permanence avec des pellicules et des batteries diverses. Et comme ça ne coûtait rien, j'ai pu expérimenter tranquillement. (entretien avec Grey Hutton)
Finalement, cet amour du foot très premier degré - On se contente de regarder des types en train de courir après un ballon, et c'est fantastique - est sans doute révélateur du bonhomme. Il est resté comme un gamin facétieux. Et son absence de calculs, d’arrière-pensées, mais aussi, sans doute, une formidable empathie qui seule peut faire accepter à toutes celles qu’il a photographiées une telle mise en danger de leur image, expliquent qu’il ait pu faire passer une approche qu’on n’ose qualifier d’iconoclaste.
Avec, il est vrai, la complicité de ses clients dont Dame Vivienne en est la plus emblématique représentante.
Pour aller plus loin dans l'oeuvre de Juergen Teller : un diaporama de 114 photos (attention, le démarrage de ce diaporama n'est pas très visible : sous la grande photo noire et blanc, à droite, cliquer sur diaporama sous les petites vignettes).
Juergen Teller, le sale gosse qui a libéré la photo de mode
M le magazine (le magazine du Monde) a consacré un article à Teller :
Top-modèles au naturel, gastéropodes festoyant, nus déconcertants… Juergen Teller, un photographe sans filtre
Photographe de mode détonnant, portraitiste courtisé, artiste truculent. Depuis ses débuts, dans les années 1980, l’Allemand Juergen Teller semble avoir vécu plusieurs carrières. La somme de son travail radical et réaliste est aujourd’hui réunie dans les six cents pages de « Donkey Man and Other Stories ».
Les mannequins et les groupes de musique dont il réalise le portrait sont mis en scène de manière nouvelle. Le cadrage semble improvisé, voire maladroit, les couleurs sont très crues, les peaux brillent, les imperfections des corps sautent aux yeux. Son travail va alors à rebours des photos classiques, où des mannequins apprêtés posent devant des fonds blancs et dont chaque défaut est gommé par le maquillage.
Au même moment, dans tous les domaines artistiques, l’époque découvre le grunge. Juergen Teller participe à ce bouleversement.
Cette « normalité » revendiquée, Juergen Teller l’assume d’autant plus depuis qu’il est passé au numérique. Au cours de la première décennie du millénaire, l’image numérisée a remplacé la pellicule. Lui s’en félicite. « Je détestais l’argentique et l’impression qu’il donnait de fausseté, ce filtre qui montrait que c’était une photographie. » Alors que de très nombreux confrères nourrissent une nostalgie, achètent des lots de Polaroid et persistent à travailler avec des pellicules, lui se positionne aux antipodes. « Je ne les comprends pas. Ils veulent obtenir un grain, quelque chose qui prouve qu’ils travaillent vraiment. »
Extraits
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