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25 août 2014 1 25 /08 /août /2014 15:39

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

EXIL

de Jakob Ejersbo

(Editions Galaade)

LE MOT DE L’EDITEUR

Fille d’immigrés britanniques, Samantha grandit à Tanga près de l’océan, entre un père ancien agent des forces spéciales, qui loue désormais ses services aux despotes locaux, et une mère qui s’abîme dans l’ennui et l’alcool. Arrivée à trois ans en Tanzanie, Samantha ne connaît pas son pays natal. Blanche et habituée à fréquenter les lieux privilégiés des occidentaux et des riches africains, elle parle le swahili et côtoie les Tanzaniens. Adolescente, son corps et ses désirs sont ceux d'une femme, mais ses parents et ses professeurs la voient encore comme une enfant. Samantha ne trouve sa place nulle part. Livrée à elle-même, elle risque sa peau dans les premiers apprentissages du sexe, de l’alcool et de la drogue. Où peut-elle aller, elle qui n’appartient à aucune terre – sinon vers l’inéluctable ?

 

Premier livre de la « Trilogie africaine », Exil du danois Jacob Ejersbo dresse le portrait cinglant d’une jeunesse occidentale en roue libre dans l’Afrique postcoloniale des années 1980. Fiction ample et ambitieuse, qui n’est pas sans rappeler Conrad ou Blixen, Exil fait la part belle aux personnages déracinés, dans une écriture visionnaire et virtuose.

Je me suis fait piéger par l’originalité de la couv’ et la présentation élogieuse de la 4ème (là, j’aurais pu me méfier...).

 

Bon, il s’agit du journal non daté et rédigé en courts épisodes (c’est déjà ça !) d’une ado de milieu privilégié, en quête de son identité (classique !). Le hic, c’est que j’ai eu l’impression d’être tombée dans un chaudron de séquences de téléréalité (du moins par ce que je peux en juger dans les extraits du Zapping...) tant pour les situations que pour l’expression de la demoiselle.

 

Bref, les tribulations de la jeune Samantha ne m’ont pas emballée -j’ai même failli lâcher prise- et je n’ai pas vu le rapport (évoqué par un critique en bas de 4éme) entre son mal-être et celui d’un continent dont les tourments sont à peine effleurés.

 

CANADA

De Richard Ford

(Editions de l’Olivier)

LE MOT DE L’EDITEUR

«D'abord, je vais vous raconter le hold-up que nos parents ont commis. Ensuite les meurtres, qui se sont produits plus tard.»


Great Falls, Montana, 1960. Dell Parsons a 15 ans lorsque ses parents braquent une banque, avec le fol espoir de rembourser un créancier menaçant. Mais le hold-up échoue, les parents sont arrêtés. Dell doit choisir entre la fuite et l'orphelinat. Il traverse la frontière et trouve refuge dans un village du Saskatchewan, au Canada. Arthur Remlinger, le propriétaire d'un petit hôtel, le prend alors à son service. Charismatique, mystérieux, Remlinger est aussi recherché aux États-Unis... C'est la fin de l'innocence pour Dell. Dans l'ombre de Remlinger, au sein d'une nature sauvage et d'hommes pour qui seule compte la force brutale, il cherche son propre chemin. Canada est le récit de ces années qui l'ont marqué à jamais.


Ce roman, d'une puissance et d'une beauté exceptionnelles, signe le retour sur la scène littéraire d'un des plus grands écrivains américains contemporains

 

Ce roman a été lauréat du Femina étranger 2013. Il est d’une lecture aisée ; l’intrigue donne une image très crédible de l’ouest profond étatsunien et canadien des années 60 ; les paysages sont superbement décrits et le personnage de Dell, gamin issu d’un cocon familial surprotégé par la mère, est très attachant. Après le cataclysme causé par un père inconséquent, la longue lutte solitaire qu’il entreprend pour se re-construire dans un contexte rude, voire brutal, et glauque constitue un parcours atypique. Elle est décrite par Ford avec doigté : l’auteur n’utilise jamais la grosse artillerie pour déclencher les rebondissements. Une réserve cependant : l’itinéraire très dissemblable de la sœur de Dell m’a paru moins convaincant et relever d’un schéma convenu, presque caricatural dans la noirceur, sans doute d’ailleurs en raison de la rareté des échanges entre les jumeaux et de la brièveté de leur évocation. Bon roman toutefois mais je ne partage pas l’avis d’un critique, cité sur la quatrième, qui le qualifie de chef d’œuvre.

CONFITEOR

de Jaume Cabré

(Actes sud)

Le Mot de l’Editeur

Barcelone années cinquante, le jeune Adrià grandit dans un vaste appartement ombreux, entre un père qui veut faire de lui un humaniste polyglotte et une mère qui le destine à une carrière de violoniste virtuose. Brillant, solitaire et docile, le garçon essaie de satisfaire au mieux les ambitions démesurées dont il est dépositaire, jusqu’au jour où il entrevoit la provenance douteuse de la fortune familiale, issue d’un magasin d’antiquités extorquées sans vergogne. Un demi-siècle plus tard, juste avant que sa mémoire ne l’abandonne, Adrià tente de mettre en forme l’histoire familiale dont un violon d’exception, une médaille et un linge de table souillé constituent les tragiques emblèmes. De fait, la révélation progressive ressaisit la funeste histoire européenne et plonge ses racines aux sources du mal. De l’Inquisition à la dictature espagnole et à l’Allemagne nazie, d’Anvers à la Cité du Vatican, vies et destins se répondent pour converger vers Auschwitz-Birkenau, épicentre de l’abjection totale.


Confiteor défie les lois de la narration pour ordonner un chaos magistral et emplir de musique une cathédrale profane. Sara, la femme tant aimée, est la destinataire de cet immense récit relayé par Bernat, l’ami envié et envieux dont la présence éclaire jusqu’à l’instant où s’anéantit toute conscience. Alors le lecteur peut embrasser l’itinéraire d’un enfant sans amour, puis l’affliction d’un adulte sans dieu, aux prises avec le Mal souverain qui, à travers les siècles, dépose en chacun la possibilité de l’inhumain – à quoi répond ici la soif de beauté, de connaissance et de pardon, seuls viatiques, peut-être, pour récuser si peu que ce soit l’enfer sur la terre.

Confiteor  a été sélectionné pour de nombreux prix littéraires ; il n’a finalement obtenu « que » le prix Courrier International qui a eu le courage de distinguer ce roman exigeant, impressionnant, hors du commun.

 

Adrià, le narrateur, dédie les Mémoires de sa vie (et celles de sa famille) à la femme qu’il a aimée et perdue. Il le fait dans l’urgence : «Alzheimer le Grand » a déjà entamé sa conquête. On le constate très vite car la composition du récit n’est pas linéaire mais composée de fragments où époques, personnages, intrigues, objets se superposent, s’enchevêtrent, se bousculent, se télescopent sur une même page. La personnalité du narrateur est elle-même éclatée : on la découvre à travers le prisme du « je », du « il », d’ « Adrià » parfois présents dans un même paragraphe. Evidemment, au départ, c’est déconcertant mais si on admet le postulat de la lente détérioration mentale, c’est vertigineux et fascinant  et  l’adhésion du lecteur crée une véritable connivence avec le narrateur, mais aussi avec l’auteur qui sollicite l’intelligence  du lecteur et requiert son attention constante.

 

Le thème du roman, c’est la dualité bien/mal symbolisée par un violon d’exception : « objet  de valeur convoité par son père, c’est pour Adrià un moyen d’accéder à la beauté » précise Jaume Cabré dans un entretien (avec Philippe Lefait ) dont la lecture éclaire aussi d’autres points, notamment la valeur du je, du il et du prénom Adrià en justifiant leur utilisation, en rien aléatoire. D’autres objets-repères jalonnent les itinéraires du Mal tandis que deux petites figurines sont la voix cocasse de la conscience de l’enfant solitaire dont les parents font montre d’exigences extravagantes en matière de formation intellectuelle et artistique et d’une négligence absolue dans le domaine de la tendresse. Cependant, avant qu’on découvre les dégâts causés par le carcan familial, et les malversations paternelles, Adrià déclare dès la première page : « mes succès et mes erreurs sont de ma responsabilité, de ma seule responsabilité. » Dans sa quête de vérité et de justice comme dans les refuges qu’il s’est créés (le savoir, la beauté, l’amour, l’amitié) il a en effet connu bien des ratés qui mettent en évidence la terrible permanence du mal.

 

Tout cela n’est pas résolument optimiste, mais la longue confession de cet homme « sans croyances, sans prêtres » prouve qu’il veut cesser de subir. M’est alors revenu à l’esprit le titre ambigu de Semprun "L’écriture ou la vie". Adrià annonce d’entrée : «Je suis seul devant le papier, ma dernière chance ». Il sait la saisir et du coup, ici, pas d’hésitation : l’écriture, c’est la vie (même si elle est proche de son terme).

 

Si vous êtes en période de disponibilité intellectuelle, lancez-vous dans ces presque 800 pages (rédigées en près de 8 ans). La construction, si déroutante qu’elle apparaisse au début, devient une évidence grâce à la maestria avec laquelle elle est conduite.  Ajoutons que la traduction d’Edmond Raillard relève de l’exploit : on imagine la somme de travail qu’elle représente et la flexibilité mentale qu’elle suppose. A l’occasion de la sortie en français de Confiteor, la SGDL lui a attribué le Prix de la Traduction 2013 pour l’ensemble de son œuvre de traducteur (dont  Mille crétins de Quim Monzo que j’ai évoqué dans cette rubrique) et c’est amplement mérité.

 

Après avoir terminé ce roman exceptionnel, on en perçoit longuement et puissamment l’écho. Alors, j’ose : pour moi, c’est CHEF- D’ŒUVRE !

EN PRIME :

ET QUELQUEFOIS J’AI COMME UNE GRANDE IDEE

de Ken Kesey

(éditions Mpnsieur Toussaint Louverture)

LE MOT DE L’EDITEUR

Alors que la grève installée à Wakonda étrangle cette petite ville forestière de l’Oregon, un clan de bûcherons, les Stampers, bravent l’autorité du syndicat, la vindicte populaire et la violence d’une nature à la beauté sans limite. Mené par Henry, le patriarche incontrôlable, et son fils, l’indestructible Hank, les Stampers serrent les rangs… Mais c’est sans compter sur le retour, après des années d’absence, de Lee, le cadet introverti et rêveur, dont le seul dessein est d’assouvir une vengeance. Au-delà des rivalités et des amitiés, de la haine et de l’amour, Ken Kesey, auteur légendaire de Vol au dessus d’un nid de coucou, réussit à bâtir un roman époustouflant qui nous entraîne aux fondements des relations humaines. C’est Faulkner. C’est Dos Passos. C’est Truman Capote et Tom Wolfe. C’est un chef-d’œuvre.

Par contraste avec les trois romans du dessus, je ne résiste pas à l’envie de présenter ce roman polyphonique qui présente cependant des analogies avec Confiteor : c’est, sur près de 800 pages, la saga du clan familial des Stampers (irréductibles exploitants forestiers de l’Oregon des sixties) où les multiples points de vue des protagonistes surgissent sans crier gare au sein d’une même page.

 

C’est aussi un roman rude, tumultueux, tourbillonnant, brutal, imprévisible comme le cadre et les circonstances dans lesquels il se déroule  mais la psychologie des personnages, y compris les seconds rôles, ceux qui gravitent autour du clan et au-delà, n’est pas réductrice et cela confère ampleur et profondeur au récit en donnant vie à une petite ville tout entière.

 

Notons que quand on vient de lire Confiteor, on n’a pas trop de peine à prendre ses repères dans l’intrication des interventions des protagonistes d’autant que la typographie vient au secours du lecteur. L’architecture du roman est épatante ; après l’avoir terminé, je suis allée reconsulter le début pour vérification : tout s’articule parfaitement. Le rythme est haletant, le savoir-faire de l’auteur, éblouissant et la traduction d’Antoine Cazé parfaitement adaptée.

 

Bravo !

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